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Brusquement, elle parut plus grande, plus droite.

— Tu as entendu parler de Shéhérazade ? Eh bien, Shéhérazade, c’est moi.

— Toi… Shéhérazade ? Non, ce n’est pas possible ! s’exclama-t-il en prenant le ciel à témoin. Pas ma propre fille !

Bahjat fit le tour du bureau et s’agenouilla aux pieds de l’émir.

— C’est la vérité, père. Mais… si tu épargnes l’architecte, Shéhérazade disparaîtra. Je serai à nouveau ta fille docile.

L’esprit en déroute, al-Hachémi balbutia :

— Mais… toi ! Toi acoquinée avec les terroristes du F.R.P. ! Et pas seulement une militante de base mais une dirigeante ! Comment as-tu pu ? Pourquoi ?

— Peut-être parce que je t’en voulais de me tenir pour quantité négligeable et de m’envoyer étudier à l’étranger, répondit-elle avec un sourire triste.

— Oh non… non ! (Il prit le gracieux visage de la jeune fille entre ses mains.) Mais tu aurais pu te faire tuer ! La moitié de la police d’Europe et du Moyen-Orient est à ta recherche. L’armée mondiale…

— Je ne crains plus rien, dit-elle en posant la tête sur les genoux de son père. Shéhérazade a cessé d’exister. Elle a fait don de sa vie en échange de la vie de l’architecte.

Al-Hachémi caressa sa chevelure sombre et lustrée.

— C’est pour ton bien, tu verras. Ce n’est pas par cruauté envers toi que j’agis.

— Je comprends, père.

Il remarqua qu’elle avait l’œil sec.

— Je dois moi-même me rendre bientôt sur Île Un. Tu t’y plairas, tu verras. Dans quelques semaines, un mois tout au plus, tu auras oublié ton architecte.

— Peut-être, murmura-t-elle.

Il lui souleva le menton et, se penchant, la baisa au front. Bahjat étreignit un instant ses deux mains dans les siennes, puis elle se releva et sortit sans un mot.

Al-Hachémi resta longtemps immobile, les yeux fixés sur la porte close. Enfin, il décrocha le téléphone.

Il passa trois coups de fil.

Le premier à son majordome pour lui ordonner de prendre toutes dispositions en vue du départ de Bahjat, fixé au lendemain matin.

— Et je veux que sa chambre soit gardée. Portes et fenêtres. Elle court un grave danger et si elle disparaît au cours de la nuit, tu m’en répondras sur ta tête. Et tu choisiras des hommes de confiance, tu m’as compris ? Pas des gens qui se laissent acheter comme ceux qui étaient chargés de surveiller l’étranger.

Il appela ensuite Hamoud qui logeait au-dessus du garage. Quand les traits maussades du chauffeur se formèrent sur l’écran, son maître fut concis :

— Voici mes instructions. Rien de fâcheux ne doit arriver au rouquin aussi longtemps qu’il sera en ville. Mais il cherchera à se rendre demain à l’aéroport. Quand l’avion de ma fille aura décollé, carte blanche.

Hamoud haussa ses épais sourcils noirs.

— Votre fille quitte Bagdad ?

— Oui. Et l’architecte la quittera également aussitôt après. Par une autre porte.

— Je comprends.

Al-Hachémi raccrocha et se renversa dans son fauteuil. Et maintenant, le dernier coup de téléphone. Pour Irène, servante infidèle. Que le châtiment soit à la hauteur de son crime.

Le sommeil fuyait Bahjat. Étendue sur son lit hydropneumatique, recouverte seulement par un impalpable drap de soie, les yeux grands ouverts dans l’obscurité, elle ne cessait de voir le visage de Denny, d’entendre sa voix.

Adieu, mon AH-REESH, songeait-elle. Je ne t’oublierai jamais. Jamais.

Elle se dressa d’un bond sur son lit quand un coup fut soudain frappé à la fenêtre. Il y en eut un second, sec et bref.

S’enveloppant dans le drap comme d’un sarong, elle alla ouvrir. Une silhouette massive était tapie sur le balcon.

— Hamoud ! chuchota-t-elle. Qu’est-ce que tu fais là ?

D’un mouvement vif, Hamoud entra dans la pièce.

— Ton père est devenu fou. Ses gardes ont emmené Irène il y a une heure. Il a ordonné qu’on te conduise demain à l’aéroport…

— Oui. Je pars pour Île Un.

— Et il a aussi donné l’ordre d’assassiner ton architecte.

La nouvelle glaça Bahjat mais elle se ressaisit immédiatement.

— Peux-tu m’aider à sortir de la maison ? Tout de suite ? Dans la minute qui suit ?

— Oui.

Il faisait trop noir pour qu’elle puisse voir le sinistre sourire de triomphe de Hamoud.

15

UNE ENQUÊTE RÉVÈLE QUE LA JEUNESSE PROFITE DU UPWARD BOUND

On constate que les étudiants pauvres sont plus nombreux à poursuivre leurs études lorsqu’ils participent à ce programme.

Il ressort d’une étude effectuée au sujet du Upward Bound, le programme fédéral de 44 millions de dollars par an destiné à motiver les étudiants nécessiteux, qu’il développe l’ambition et incite davantage ceux qui y participent à entrer dans l’enseignement supérieur que ceux qui n’y participent pas.

À l’origine, élément clé de la campagne contre la pauvreté lancée en 1965, le Upward Bounda dépensé depuis cette date 446,8 millions de dollars pour promouvoir l’aide pédagogique, l’enrichissement culturel, les consultations et autres formes d’assistance à l’intention des jeunes gens dont les potentialités étaient mises en échec par une formation universitaire inadéquate et faute de motivation.

D’après les estimations, 82 % des 194 337 bénéficiaires de ce programme étaient des Noirs, des Espagnols, des Américains d’origine asiatique et des Amérindiens…

Un aspect apparemment paradoxal de ce programme est que l’espoir d’une éducation de meilleure qualité combat mieux le mécontentement dû à la médiocrité de la préparation universitaire, à l’absence de l’appui matériel familial et à l’insuffisance de l’aide financière chez les participants que chez leurs homologues non participants. 

The New York Times
11 décembre 1977.

Le jour, Manhattan donnait encore l’impression d’être vivable. De vieux bus à vapeur poussifs sillonnaient les grandes avenues, des grappes de gens accrochées aux fenêtres et à la plate-forme. Leur peinture bleue et blanche était pisseuse et leurs flancs étaient naturellement couverts de graffiti. Les taxis avaient disparu depuis belle lurette et il n’y avait pour ainsi dire pas de voitures privées. Toutefois, les half-tracks ferraillants de la Garde nationale patrouillaient constamment dans les rues bruyantes et encombrées.

Le trafic était essentiellement composé de vélos. Il n’était pas difficile de voler un électrocyclo mais le prix de l’électricité était si pharamineux que la plupart des habitants de Manhattan renonçaient à ce moyen de transport une fois que les batteries étaient à plat.

Manhattan avait commencé à mourir longtemps avant les premières crises énergétiques. D’abord lentement, puis de plus en plus vite, la ville s’était désagrégée. Les familles qui en avaient les moyens avaient émigré en banlieue. Les entreprises leur avaient emboîté le pas. Les pauvres, eux, étaient restés. En fait, venues du Sud, de l’Ouest et même de Porto Rico, des familles rurales indigentes envahirent la ville. Et le cycle infernal se perpétuait : les riches contribuables s’en allaient tandis que les miséreux restaient.

Et se multipliaient.

À l’orée du XXIe siècle, des branches industrielles entières avaient abandonné New York. La Bourse avait fui, suivie par les maisons d’édition et les agences de publicité. Puis le quartier de la confection s’était vidé à son tour et la Septième Avenue était devenue une cité fantôme peuplée d’ivrognes qui ne faisaient pas de vieux os et de rats aux dents aiguisées. Les ordinateurs domestiques et le vidéophone avaient tué New York. Grâce à eux, on pouvait vivre où l’on voulait et demeurer en contact avec tout le monde n’importe où à l’intérieur des frontières du pays. Plus d’allées et venues de banlieusards. Les communications avaient porté le coup de grâce aux grandes villes.