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— Bien sûr, mec. Prêt à tout et le reste.

Poussant un soupir de soulagement, Raja se pencha sur les commandes. Finalement, il jeta un coup d’œil à la pendule digitale, exhala un nouveau soupir et enfonça un gros bouton rouge.

Instantanément, il y eut onze autres personnes réunies autour de la table, aussi solides et réelles que si elles se trouvaient effectivement dans la même pièce au lieu d’être disséminées dans onze villes différentes situées à des centaines, voire à des milliers de kilomètres les unes des autres.

Raja fit un petit salut constipé et quitta précipitamment les lieux en passant à travers les images holographiques des deux personnes « assises » le plus près de la porte. Sans se préoccuper des bavardages des participants de la conférence, Leo tendait l’oreille, écoutant le déclic de la serrure et le bruit décroissant des pas de Raja dans l’escalier.

Au bout d’un moment, il se tourna vers l’assemblée. Il y avait quatre femmes. Et deux Blancs — dont une femme. Tous avaient été passés au crible et étaient accrédités mais Leo éprouvait de la méfiance envers ce couple.

— C’est Leo que je m’appelle, commença-t-il en parlant fort pour qu’ils se taisent et le regardent. Et j’ai une question à vous poser.

— Laquelle ? demanda l’une des femmes noires en souriant.

— Combien qu’il y a de Noirs aux États-Unis ? Combien d’Espagnols, de Chicanos, d’Asiatiques et d’Indiens ?

— Des foultitudes, dit quelqu’un — et tout le monde s’esclaffa.

Sauf Leo.

— À nous tous, on est des tonnes de fois plus nombreux que les culs-blancs. Comment ça se fait que c’est eux qui dirigent le pays au lieu que ce soit nous ?

Pendant quelques secondes, personne n’ouvrit la bouche. Enfin, un jeune homme trapu à la peau sombre répondit :

— Les Blancs ont l’armée avec eux, mon pote. Ils ont des flingues. Ils sont organisés.

— Voilà ! Ils sont organisés ! C’est ça, leur secret. Eh bien, il est temps qu’on s’organise à notre tour. Au lieu qu’on ait une douzaine de mouvements différents dans une douzaine de villes différentes — ici, le F.R.P., là les Panthères, ailleurs les Latinos —, faut qu’on s’organise et qu’on travaille ensemble.

— Ah bon ? lança l’un des Noirs. Et qui c’est qui dit ça ?

— Moi. Et je dis qu’on peut obtenir toute l’aide qu’on voudra du F.R.P. et des autres.

— Des conneries, oui !

— Cause toujours. Comment c’est ton nom, frère ?

— Mon nom ? Je t’le dirai pas, mon blaze. T’as qu’à m’appeler Cleveland.

— O.K., Cleveland. Comment tu crois qu’on a récupéré tous ces chouettes bidules de communication ? Tu te figures qu’ils sont tombés du ciel ? On a des amis, mon vieux… des amis puissants. C’qu’on a besoin, c’est de s’organiser, de travailler la main dans la main. On peut virer Monsieur Tout-Blanc. C’est notre pays, quoi ! On n’a qu’à le prendre.

— L’armée est presque entièrement noire… ou brune, dit une femme.

— Pas c’te putain d’garde nationale. Et elle est appuyée par la flicaille blanche.

— On peut les posséder, dit Leo. On peut les battre si on travaille ensemble.

Installé dans son fauteuil motorisé, T. Hunter Garrison était attentif. L’intérêt et l’ambition commençaient à transparaître dans l’expression des hommes et des femmes qui écoutaient Leo. Par les fenêtres de la pièce qui dominait la nappe de fumée charbonneuse déployée au dessus de Houston, la vue était dégagée jusqu’à Clear Lake et à la masse fuligineuse, très loin à l’horizon, qui correspondait à la ville de Galveston.

Un large sourire fendait le visage plissé de Garrison qui ne quittait pas des yeux les images holographiques miniatures des douze leaders de mouvements clandestins. On aurait dit des marionnettes assises autour d’une table de poupée.

— Ils sont plutôt minables, hein ?

— Je ne sais pas, répondit Arlène Lee, debout derrière le fauteuil. Celui du bout, avec le bandeau apache… il a l’air assez costaud.

Arlène Lee, une grande femme à la luxuriante chevelure rousse, avait la physionomie fraîche et souriante d’une cheerleader. Elle était tout à la fois la secrétaire personnelle de Garrison, son garde du corps, son courrier, sa confidente et son porte-flingue.

— Donne-moi une autre bière, ordonna-t-il sans cesser de suivre la discussion de plus en plus animée que dirigeait Leo.

Arlène disparut derrière un écran de plantes vertes. De l’extérieur, la Tour Garrison ressemblait à tous les autres buildings de style international de Houston : quelques étages de plus, naturellement, davantage de panneaux solaires fixés aux murs assez hauts pour s’élever au-dessus du smog et un héliport sur le toit. Mais les appartements privés de Garrison qui occupaient le tout dernier étage combinaient le confort au fonctionnel : des lambris en bois véritable, des peaux d’ours et autres animaux jonchant le sol, tous les accessoires inséparables de la vie moderne dissimulés derrière des miroirs ou dans des meubles.

Arlène revint avec la bière et elle s’accota au dossier du fauteuil, enroulant autour d’un doigt manucuré les quelques rares mèches qui demeuraient encore sur le crâne de Garrison tout en s’admirant dans la glace.

— Ce ne sont pas des lumières, dirait-on, fit-elle.

— Quoi ?

— Ces gamins qui se prétendent des révolutionnaires. Leur pensée ne va pas très loin. Pourquoi l’idée de travailler la main dans la main ne leur était-elle encore jamais venue ?

Garrison eut un reniflement de mépris.

— La coopération ne s’apprend pas dans les bas-fonds. Le grand moricaud — celui qui se fait appeler Leo — a à lui seul plus de cervelle que tous les autres réunis. Il a déjà largement unifié les gangs de rues de New York.

— Il a une tête qui me dit quelque chose.

— Ce n’est pas étonnant. C’était un footballeur professionnel. De l’équipe de Dallas.

— Comment est-il passé du football à la voyoucratie ?

— C’est une longue histoire, répondit Garrison avec un sourire inquiétant. Regarde dans les archives si le cœur t’en dit. C’était un homme d’honneur, une conscience. Il voulait une vie meilleure pour ses frères de race. Et puis, il a fait la découverte du pouvoir. C’est la pire des drogues.

Arlène hocha la tête et ses longs cheveux flamboyants caressèrent la calvitie du vieil homme.

— Vous devez en connaître un bout là-dessus !

Il lui sourit.

— Le pouvoir est un aphrodisiaque, pas vrai ?

— Pour ça oui, cher, répondit-elle avec son sourire de chef de claque texan.

— Mais qu’est-ce que c’est que ce cinéma qu’il faut qu’on travaille ensemble ? grommela Cleveland. Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? Qu’on t’envoie un télégramme tous les samedis ?

— Non, répondit Leo dans un ronronnement caverneux. Ce que je veux, c’est ébranler jusqu’aux fondations la structure du pouvoir des culs-blancs. Je veux faire quelque chose de si énorme et de si spectaculaire qu’ils seront fous de joie de nous transmettre la barre rien que pour qu’on soit plus sur leur dos.

— Jesu Christo ! Qu’est-ce que tu veux dire, mec ?

Leo sourit et se pencha en avant sans égards pour les protestations de sa chaise.

Est-ce que quelqu’un a déjà entendu causer d’une action militaire qui s’appelait l’offensive du Têt ?

16

Ce qu’il fait chaud au Texas ! C’est bien simple, on fond au soleil. Le sol est tellement calciné, tellement durci qu’il n’y pousse rien que de l’armoise. En tout cas, c’est ce que des stagiaires m’ont dit.