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Néanmoins, David s’assit prudemment. Le médecin prit une carafe en plastique posée sur le bureau et versa du café bouillant dans une tasse. David était fasciné par la lenteur avec laquelle le liquide s’écoulait d’un récipient à l’autre.

— Buvez ça pour vous réchauffer. Je vais demander qu’on vous apporte quelque chose à manger.

— Merci.

David prit avec reconnaissance la tasse à deux mains. C’était bon, cette chaleur. Le médecin tapota sur le clavier téléphonique et dit sans regarder le jeune homme :

— Vous êtes dans un sacré pétrin, vous savez.

— Je m’en doute.

David n’avait guère pensé qu’à une seule chose jusqu’à présent : s’enfuir d’Île Un. Mais maintenant qu’il se trouvait dans la zone minière de la Lune, il était toujours sous la juridiction de la Société — et à portée du Dr Cobb. Bah ! J’ai parcouru 400 000 kilomètres. Encore un peu plus de 1 500 et je suis à Séléné. Mais comment arriver jusque-là ?

Le toubib disparut quelques instants. Quand il revint, il apportait un plateau et David s’attaqua avec diligence à son contenu. Du poulet, des légumes, du pain tout chaud, des fruits. Le régime était en tout point semblable à celui d’Île Un. C’est sûrement produit par la colonie.

Tout en jouant des mâchoires, il répondit aux questions sans fin du médecin intrigué par l’état de transe dans lequel on avait découvert l’insolite voyageur en ouvrant le module.

— Vous avez flanqué une peur bleue à tout le monde, dit-il à David. Sur le moment, on vous a cru mort.

— Je me faisais un peu de bile à ce propos.

— Comment avez-vous fait ?

Tandis que David le lui expliquait, le docteur prenait fébrilement des notes. Ses doigts voletaient sur les touches du terminal de bureau.

— Je vais étudier ça de près. Il y a peut-être là un moyen de transporter les mineurs victimes d’accident à l’hôpital en L4…

David était en train d’exprimer les dernières gouttes de jus de son fruit quand une jeune femme rondouillette revêtue d’une tenue de saut jaune vif entra.

— David Adams.

C’était une constatation, pas une question. Son badge d’identification était orné d’une étoile d’argent. David connaissait la signification de cet emblème. Les services de Sécurité… Il tendit son plateau au médecin et se leva.

— Oui, c’est moi.

— Suivez-moi, je vous prie.

Elle était assez mignonne — une figure toute ronde, des cheveux acajou coupés court et des yeux assortis. Elle n’était pas armée mais, dans le couloir, deux gardes en uniforme, d’un gabarit impressionnant, emboîtèrent le pas à David.

Il ne savait pas si c’était la faible pesanteur lunaire qui lui liquéfiait les jambes ou si c’était là la conséquence de son long sommeil dans le module. Et la présence des gardes derrière son dos, le martèlement de leurs bottes sur ses talons n’étaient pas de nature à lui remonter le moral. Dans ce long et étroit corridor, il éprouvait un sentiment de malaise. Il faisait de la claustrophobie ! En outre, les rampes fluorescentes, trop espacées, éclairaient mal.

— Où m’emmenez-vous ? demanda-t-il à la femme.

— Le chef de la Sécurité veut vous parler. Il semble que le Dr Cobb a porté l’éther au rouge entre Île Un et ici.

— Je n’en suis pas autrement surpris.

Il y avait des portes de part et d’autre de la galerie. Des gens affairés ne cessaient d’entrer et de sortir. David entendait cliqueter les machines à écrire et fredonner les ordinateurs. Derrière une porte fusa soudain un éclat de rire et il se demanda quelle bonne plaisanterie l’avait provoqué. Enfin, ils arrivèrent devant une dernière porte à laquelle était fixée une pancarte : SÉCURITÉ — M. JEFFERS.

La femme frappa deux coups.

— Faites-le entrer, dit une voix bougonne.

Elle se tourna vers David et fit avec un petit sourire triste :

— Si vous voulez bien pénétrer dans l’antre du lion, monsieur David…

David poussa le battant et entra.

C’était une petite pièce parfaitement en ordre mais il avait l’impression que le plafond allait l’écraser. Jeffers, assis derrière un bureau métallique gris et nu comme la main, tirait sur une pipe noircie. Le regard qu’il décocha à son visiteur était glacé. Il était grand — le genre d’homme dont la seule taille intimide. Ses cheveux gris acier étaient taillés en brosse. Un nez aquilin. Des yeux d’un bleu de givre. Des mains épaisses et noueuses.

Un autre homme était debout devant un alignement d’armoires de classement désuètes. Grand, lui aussi. Les épaules assez larges pour donner l’impression qu’il remplissait à lui tout seul cette pièce exiguë, une poitrine comme une futaille et des muscles qui faisaient presque craquer sa combinaison. Et il était furieux. Il fusillait David du regard en émettant des petits reniflements secs et saccadés. Ses mains semblables à des battoirs se nouaient et se dénouaient rageusement.

— Vous êtes bien David Adams ? commença Jeffers.

— Oui.

— Exactement ce que disait Cobb, gronda le deuxième homme. Un petit morveux qui fait une fugue.

— Du calme, Pete.

Jeffers leva la main qui tenait la pipe. L’autre lui lança un coup d’œil indigné mais il garda la bouche close.

— Pourquoi êtes-vous venu ici ? reprit Jeffers.

— Pour me rendre à Séléné. Je voulais quitter Île Un.

— Et pour ça, vous avez embarqué clandestinement à bord d’un de nos transbordeurs, dit Pete — et c’était presque un rugissement. Si vous étiez mort, vous savez ce que seraient devenus nos tarifs d’assurances ? On ne plaisante pas avec ça, bon Dieu !

— J’ai risqué ma vie. Je ne plaisante pas.

— Entendre ça ! (Il se tourna vers Jeffers.) Je propose qu’on le réexpédie d’où il vient par le même chemin.

— Allons, Pete, vous savez bien…

— Je veux aller à Séléné, insista David. Vous n’avez pas le droit de me retenir.

Pete le toisa.

— Pas le droit ! Mais pour qui te prends-tu, espèce de foutriquet ?

— Et vous, pour qui vous prenez-vous ? rétorqua le jeune homme avec emportement. Je n’admets pas qu’on m’insulte.

L’autre fit un pas en avant et son poing droit partit. David qui fréquentait les gymnases depuis des années n’ignorait rien des arts martiaux, qu’il s’agisse de l’aïkido ou du sport cher au marquis de Queensberry, mais il fut pris au dépourvu et, en raison de la faible pesanteur, il coordonna mal sa parade et le poing de Pete s’écrasa sur sa mâchoire. Il ne sentit rien mais, brusquement, il décolla, partit lentement en arrière et entra en collision avec la porte. Ses genoux ployèrent sous lui et il se retrouva sur les fesses.

Poussant un juron, Jeffers contourna son bureau, empoigna Pete par l’épaule et le tira en arrière.

— Ce n’est qu’un gamin, s’écria-t-il. Vous perdez la tête.

Pete se dégagea.

— J’ai sous mes ordres vingt-six personnes, hommes et femmes, qui risquent leur peau tous les jours. Et voilà ce galopin qui vient plastronner en se figurant qu’il est le patron !

David se releva. Il avait un goût de sang dans la bouche. Chaud et salé. Quand Jeffers poussa Pete vers la porte, il s’écarta en se palpant la mâchoire, les yeux plantés dans ceux, déments, de l’homme qui l’avait frappé. La rage bouillonnait en lui.

Calme-toi, se dit-il. N’oublie pas les gardes dehors. Attends le moment où tu pourras le coincer seul à seul. Mais quelque chose au fond de lui criait vengeance.