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Et il avait silencieusement ajouté : Et c’est peut-être mon dernier repas avant longtemps. Voire le dernier tout court.

Le sas était installé dans la paroi arrondie d’un des dômes qui se hérissaient comme autant de cloques sur la surface lunaire. À l’intérieur de la plupart d’entre eux étaient alignées des théories de tracteurs colossaux dont les lourdes chenilles avaient laissé des traces profondes dans le plancher de ciment. Des empreintes de dinosaures, songea David en se remémorant les enregistrements paléontologiques qu’il avait étudiés autrefois.

Le tambour du sas ressemblait à l’épaisse porte d’acier chromée d’une chambre forte géante. Vingt hommes auraient facilement pu y passer de front et il y aurait encore eu de la place pour une demi-douzaine d’autres rangées de vingt superposées.

— Enfile une combinaison, lui lança Grady en guise de bonjour.

Il avait presque l’air déçu que David fût exact au rendez-vous. Du doigt, il désigna les placards qui occupaient toute une paroi. Ils contenaient des combinaisons aux couleurs vives et un casque était suspendu au-dessus de chacune d’elles à un crochet. Toutes portaient un nom écrit sur la poitrine.

— Pas celles-là, maugréa Grady. Tu ne vois pas qu’elles appartiennent à des gens ? Les blanches, au fond.

Est-ce qu’il est toujours d’aussi mauvais poil ou est-ce que c’est seulement moi qui le mets en rogne ? se demanda David.

Il se dépêcha de revêtir une combinaison blanche. Le garde l’aida à la boucler hermétiquement tandis que le jeune homme coiffait le casque et le fixait au collier métallique.

— Je vous attendrai ici, lui lança-t-il en se dirigeant lourdement vers le tambour de sortie.

Grady, revêtu d’un vidoscaphe vert bouteille, était déjà aux commandes d’un tracteur jaune, celui qui se trouvait le plus près du sas. David gravit pesamment l’échelle métallique conduisant à la cabine et prit place à côté de lui. Il agita le bras en signe d’adieu et le garde parut trop gêné pour lui répondre.

— Eh bien, tu y as mis le temps, grommela le contremaître. Accroche ton assistance.

Il pointa un doigt en direction de l’espèce de sac au dos de métal posé entre les deux sièges.

— La cabine n’est pas pressurisée ? s’enquit David en se tortillant pour passer ses bras dans les sangles.

— Foutre pas. Tu crois qu’on passe la journée calés sur ses fesses comme si on était des chauffeurs ? Faut descendre et se salir les gantelets dix, vingt fois par jour. On ne va pas s’amuser à repressuriser cette foutue cabine à tous les coups.

— Je vois, fit David qui espérait bien que cela se passait ainsi. Et ces bouteilles derrière les sièges ? C’est une réserve d’air supplémentaire, n’est-ce pas ?

— Ouais. Maintenant, baisse ta visière et en route.

— Je n’arrive pas à brancher les tuyaux.

Poussant un grognement d’exaspération, Grady empoigna les flexibles qui sortaient du barda de David et les connecta aux embouts du gorgerin de sa combinaison.

— Voilà. Tu ne veux pas que je te mouche aussi le nez pendant que j’y suis ?

— Merci, dit David, insensible au sarcasme. (Il vérifia les manomètres fixés à son poignet et rabattit la visière de son casque.) Je suis paré.

Grady fit de même et mit les moteurs en marche. Ils étaient alimentés non par des batteries mais par l’énergie nucléaire. Chaque tracteur recelait au fond de ses entrailles un générateur isotopique miniature protégé par un épais blindage de plomb.

Grady empoigna les leviers de commande. David l’observait avec attention tandis qu’il lançait des ordres dans le micro incorporé de son casque. Le tambour intérieur du sas s’ouvrit pesamment et le tracteur s’engouffra dans la brèche noire et béante. Le sas était une énorme matrice de métal. Une fois le tambour refermé, quand les pompes commençaient à chasser l’air, l’obscurité était totale. La seule lumière était la lueur rougeâtre des instruments de bord.

Elle éclairait le visage de Grady et David le regardait. Et si tu le tues ? se demandait-il. Il répondit aussitôt à sa question muette : Il ne mourra pas. Tout au plus, il demeurera inconscient pendant un moment et, après, il sera dans ses petits souliers. Ça lui servira de leçon.

Tout l’air du sas était maintenant évacué. Le tambour extérieur s’ouvrit à son tour. David jeta un coup d’œil au tableau de bord. La pendule digitale indiquait 8 heures pile.

Le regard du jeune homme se posa sur le paysage lunaire.

Un paysage d’une désolation totale. À perte de vue se déployait une étendue rocailleuse vide, nue, morte. Une plaine à peine vallonnée, grêlée de milliers — non, de millions — de cratères dont certains n’étaient pas plus profonds que le doigt. Un monde noir et gris sous un ciel ténébreux piqueté d’étoiles. Un monde usé, un monde très vieux, sans air, sans eau, exposé depuis des milliards d’années à l’érosion météoritique. À gauche s’étiraient quelques collines émoussées par cet immémorial travail d’attrition qui en avait amolli les reliefs. On aurait dit des blocs de cire qui avaient fondu au soleil.

Mais devant cette vision, on avait le souffle coupé. Une immensité désertique qui s’étendait jusqu’à l’horizon sans le moindre signe de présence humaine. Et le silence. Les seuls sons que percevait David étaient le léger bruissement électrique du tracteur et sa propre respiration régulière.

Il n’avait encore jamais vu une ligne d’horizon sauf en photo. C’est vraiment comme la limite du monde. Au-delà, rien que le vide de l’espace et les étoiles solennelles qui ne scintillaient pas.

Soudain, Grady braqua à droite et David vit alors les mines. À mesure qu’ils approchaient de la fosse d’extraction, le jeune homme vit à quel point elle était petite. Les champs de la colonie sont plus grands.

Ce n’était qu’une excavation de quelques mètres de profondeur. Deux pelleteuses repoussaient des tas de poussière vers une benne ventrue que tractait un troisième engin.

— C’est… c’est ça ?

Le rire de Grady crépita dans les écouteurs.

— Eh oui, mon gars, c’est ça. Toute la matière première destinée à votre jolie petite colonie vient de ce trou.

David regarda son compagnon. Eh oui, le contremaître souriait ! Il avait l’air détendu, presque joyeux. Je me demande s’il change comme ça chaque fois qu’il sort du sas… Grady n’était plus ni hargneux ni tendu.

Le tracteur atteignit le bord de la fosse et avant que David ait eu le temps de dire ouf, il s’engageait sur la rampe de poussière compressée qui conduisait au chantier.

— Pour commencer, dit Pete, tout le matériel qui a servi à construire Île Un est venu d’une fosse qui a à peu près la même taille que celle-ci. Elle est de l’autre côté du dôme. L’accélérateur de masse aussi.

— Je sais, je l’ai vu hier au poste de contrôle.

— Ouais. Maintenant, on va jeter un coup d’œil sur le site pour chercher de nouveaux puits. J’ai une équipe de repérage qui va s’amener dans… (Grady consulta la montre du tableau de bord)… dans douze minutes.

Il avait autant de bagout qu’un guide touristique et David était furieux. Pourquoi as-tu cessé de me faire la gueule ? Si tu continuais de jouer les grosses brutes, ça me faciliterait la tâche !

À l’autre extrémité de la fosse, Grady lança le tracteur à l’assaut du plan incliné et ils retrouvèrent l’étendue désolée. On avait l’impression d’être en pleine mer ; rien que l’horizon à perte de vue dans toutes les directions et le ciel noir.