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Population mondiale : 7,27 milliards d’habitants.

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POUR DIFFUSION IMMÉDIATE

Messine : Le Gouvernement mondial a fait savoir aujourd’hui que le directeur Emanuel De Paolo a été victime d’une crise cardiaque légère « il y a quelques jours ». Une équipe médicale se relaie à son chevet. La date exacte de cet accident cardiaque n’a pas été révélée.

Le Dr Lorenzo Matriglione, l’une des sommités européennes en matière de cardiologie, a déclaré ce matin, lors d’une conférence de presse convoquée d’urgence, qu’il n’y a pas de raison de s’alarmer outre mesure. « L’état de santé du directeur De Paolo est bon. Il se repose. Nous avons affaire à une insuffisance cardiaque, non à un infarctus. »Parmi les spécialistes mondiaux qui se sont rendus à Messine la semaine passée se trouvait le Dr Michael Rovin de l’école de bionique et de prosthétique médicale du Massachusetts Institute of Technology. « Je n’ai pas le sentiment, a dit le Dr Rovin, que le directeur aura besoin d’un cœur artificiel ni même d’un stimulateur temporaire. »Toutefois, d’autres célébrités du monde médical de réputation internationale ne font pas mystère de leur préoccupation. Le grand âge du chef du Gouvernement mondial est leur principal motif d’inquiétude…

Dépêche International News,
1er juillet 2008.

Il fallut près d’un mois à David pour repartir de Séléné.

Un mois d’inactivité forcée. Un mois d’attente. Et d’interrogatoires. Et de négociations. Légalement parlant, il était apatride. Et, sur le plan technique, il était un bien meuble, propriété de la Société pour le Développement d’Île Un, et il avait rompu le contrat de travail qui le liait à celle-ci. Mais il demanda à bénéficier du statut de citoyen du monde, nia qu’il eût été compétent selon la définition de la loi quand le contrat avait été signé cinq ans auparavant et sollicita le droit d’asile jusqu’à ce que le Gouvernement mondial lui accorde la citoyenneté qu’il réclamait.

Il passait ses journées à déambuler dans les corridors et les salles communes surpeuplés de Séléné. Au bout de quelques heures, la petite communauté lui sortait déjà par les yeux. Près de cinquante mille personnes s’entassaient au coude à coude dans un espace de quelques kilomètres cubes presque entièrement occupé par des cultures souterraines malingres et d’énormes machines. Tous les endroits se ressemblaient : la grisaille et le surpeuplement. C’était rébarbatif. Mais les Sélénites étaient très fiers de leurs jardins et des immenses étendues de la surface.

David, lui, en avait sa claque.

Finalement, il eut une entrevue avec un Russe du nom de Leonov. Leonov était l’un des fondateurs de Séléné, un héros de la révolution lunaire, l’un des rebelles qui avaient fait des colonies américaines et russes de la Lune une nation une et indépendante.

La peau de son visage paraissait flaccide comme si l’âge avait liquéfié la chair qu’elle recouvrait, mais ses cheveux blancs retombaient en une frange juvénile sur son front et ses yeux d’un bleu arctique étaient vifs et alertes. Il avait été plusieurs années le chef du gouvernement sélénite. Maintenant, il tenait le rôle d’un sage respecté. En dépit de sa vieillesse, il était plein d’allant et de pétulance. Sa voix de basse avait des sonorités graves, ses rides tenaient autant au rire qu’aux outrages du temps, ses mains étaient mobiles et expressives — elles ne cessaient de remuer que lorsqu’il allumait une des longues et minces cigarettes blanches qu’il affectionnait.

Il consacra presque un jour entier à écouter le récit du jeune homme en ouvrant lui-même à peine la bouche, se contentant de fumer à la chaîne et d’opiner du menton. Enfin, il ferma les yeux et murmura :

— C’est l’occasion ou jamais de repasser l’enfant, comme on dit. À mon avis, nous devrions vous laisser vous rendre à Messine. Et au Gouvernement mondial de jouer !

David eut l’impression d’être soulagé d’un gros poids.

— C’est formidable ! Merveilleux…

Leonov leva un doigt pour doucher son enthousiasme :

— Mais ce n’est pas moi qui décide, attention. Il va falloir en parler avec l’administrateur en chef.

David passa encore une journée à traîner son désœuvrement à travers les galeries et les placettes souterraines de Séléné avant de recevoir un coup de téléphone de Leonov l’avertissant de se présenter le lendemain matin au bureau de l’administrateur en chef.

Pas très impressionnant, ce bureau : juste une petite pièce, deux divans et un terminal. En guise de plancher du gazon auquel les rampes fluorescentes encastrées dans le roc nu du plafond donnaient une teinte rougeâtre.

L’administrateur en chef était un ex-Américain noir, petit et sec, du nom de Franklin D. Colt. Il serra la main de David d’une poigne ferme en le scrutant intensément. Le jeune homme avait l’impression d’être jaugé par un lion.

Tout le monde s’assit, Leonov parfaitement détendu, David si crispé qu’il ne posait que deux centimètres de son derrière sur le coussin à côté du vieil homme, Colt se prélassant en face d’eux.

Quand David eut brièvement exposé son affaire, Leonov dit :

— Nous devrions le laisser partir pour Messine comme il le souhaite. Ce n’est pas notre problème. Il ne nous appartient pas de décider s’il est un citoyen du monde ou s’il fait légalement partie du bien-fonds d’Île Un.

— Les consortiums n’apprécieraient pas que nous ne leur restituions pas un patrimoine qui leur appartient, répliqua Colt d’une voix sèche et tranchante.

Leonov haussa les épaules.

— Vous oubliez que je suis né dans une société socialiste, mon cher. D’accord, les consortiums sont maîtres de la quasi-totalité de la Terre et de la totalité d’Île Un. La Russie elle-même s’en est accommodée. Mais pas moi. Dans la déraison de ma seconde enfance, je continue à espérer que le vrai communisme s’instaurera un jour.

Colt sourit.

— Vous n’êtes pas d’avis que nous devions laisser la société d’Île Un nous imposer sa loi de gré ou de force ?

— Sommes-nous une nation indépendante, affiliée au Gouvernement mondial, ou sommes-nous les laquais des capitalistes ?

L’administrateur lança un coup d’œil à David.

— Je n’ai jamais approuvé ces contrats de travail léonins. Cela ressemble un peu trop à l’esclavage.

— Il est important que j’aille à Messine, dit David. J’ai des informations d’un intérêt vital sur les multinationales et leurs intentions à communiquer au directeur du Gouvernement mondial.

— Vous êtes las de vivre au paradis ?

— Je suis las de vivre dans un paradis frelaté.

— Eh bien, il serait bon, en effet, que vous vous rendiez sur la Terre, fit Colt avec un sourire sarcastique. Messine sera un bon début. Mais je vous conseillerais d’aller plus loin.

— Où ça ?

— Dans les montagnes de Sicile où il y a encore des vendettas sanglantes et où on se sert toujours d’araires en bois pour enlever les pierres des champs. Ou dans le sud du Sahara que la famine a totalement dépeuplé. Ou en Inde où des charrettes évacuent les cadavres tous les matins mais où on laisse les immondices pourrir dans les rues. Ou dans une de ces grandes villes américaines où je suis né et où les pauvres vivent dans les ghettos des quartiers insalubres tandis que ceux qui ont un peu d’argent habitent les banlieues résidentielles. C’est un monde de toute beauté. Vous aimerez !

David regarda fixement Colt.

— Mais si c’est aussi atroce, là-bas, pourquoi n’essayez-vous pas de faire quelque chose ?