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David tâta de ces singuliers passe-temps. C’était un danseur gracieux mais spontané. Il dévorait de façon prodigieuse en prenant soigneusement note des mets qui lui étaient inconnus : beefsteak, riz, pastèques, gibier, magret de canard. C’était d’ailleurs le magret qu’il préférait à tout. Dans la section 0 G nommée Brave New World baignant dans une pénombre rougeâtre, il trouva des partenaires qui ne demandaient pas mieux que de partager l’intimité tiède et parfumée d’un moelleux nid d’amour de gravité nulle. La majorité des filles de son âge n’avaient encore jamais expérimenté l’apesanteur et elles avaient un vif désir de combler cette lacune.

Mais chaque fois que David regagnait sa cabine, si fatigué qu’il fût, la première chose qu’il faisait était d’allumer l’écran d’observation pour contempler le globe bleu et blanc de la Terre qui grossissait à vue d’œil ; C’est pour de vrai, se disait-il. J’y vais pour de vrai.

Il se demandait parfois fugitivement ce qu’était devenue Evelyn. À Séléné, il avait essayé à plusieurs reprises de lui téléphoner à International News mais on lui avait répondu qu’elle n’appartenait plus à l’agence et on avait refusé de lui donner un numéro où il pourrait la joindre. L’analyse par ordinateur de la liste complète des abonnés de Londres n’avait rien donné. Quelques semaines auparavant, Evelyn avait effectivement une ligne à son nom, mais celle-ci était à présent coupée.

Beaucoup de passagers restèrent à la station Alpha pour poursuivre leurs vacances. C’était la plus ancienne structure spatiale artificielle habitée et il n’était pas un écolier qui ne connût par cœur les photos de cette espèce de roue de bicyclette, copieusement reproduites dans les manuels comme sur les écrans.

Mais l’impatience de quitter Alpha dévorait David qui ne s’attarda que le temps qu’il fallut pour jeter un bref coup d’œil derrière les longues vitres incurvées de la section de transfert. Immense, la Terre se déployait sous ses yeux, occultant tout le reste, si proche qu’on aurait pu la toucher. Des nuages blancs mouchetaient l’azur éblouissant des océans. Des taches brunes et vertes prenaient soudain des formes familières : il reconnut la corne de l’Afrique, la péninsule arabe et même la botte italienne.

Aussi excité qu’un enfant, son petit sac de voyage à la main, il se fraya un chemin à travers la cohue pépiante des touristes qui tournaient en rond, suivant les panneaux et les flèches lumineuses indiquant la direction du quai où attendait la navette en partance pour la Terre.

Les formalités de douane, le contrôle automatique de son billet et la fouille destinée à s’assurer qu’il n’avait pas d’armes, ni sur lui ni dans ses bagages, ne prirent que quelques minutes. Une hôtesse souriante le pilota jusqu’à la trappe d’accès de la navette qu’il se baissa pour franchir et être accueilli par une autre hôtesse tout aussi souriante qui le conduisit à sa place.

Il n’y avait pas de hublots mais un écran était encastré dans le dossier de chaque siège. David boucla son harnais et examina les programmes des divers canaux. Il jeta son dévolu sur l’enregistrement en temps réel fourni par les propres télécaméras de la navette.

Un Oriental bedonnant et asthmatique s’installa pesamment à côté de lui au bord de l’allée centrale. Murmurant quelque chose en japonais, il attacha sa ceinture de sécurité en travers de sa brioche, ferma les yeux et, croisant ses mains boudinées sur sa panse, il ne tarda pas à piquer du nez. David fit le compte des mentons de son voisin — il arriva au total de cinq — et reporta son attention sur l’écran.

Le départ fut d’une telle douceur que si l’hôtesse ne l’avait pas annoncé, le jeune homme ne se serait aperçu de rien. Il bascula vivement sur la caméra de poupe : les longrines d’acier du quai s’éloignaient lentement. Quelques minutes plus tard, la station Alpha, série de roues emboîtées dans d’autres roues qui pivotaient majestueusement sur la toile de fond étoilée du ciel, fut entièrement visible.

David revint à la vue de la Terre. Son aspect se modifiait à mesure que la navette amorçait sa longue orbite ellipsoïdale autour de l’étincelante planète bleue et blanche.

Les haut-parleurs de la cabine se mirent à débiter les conseils d’usage préenregistrés. Les passagers étaient priés de ne pas quitter leurs places sans l’aide d’une hôtesse ou d’un steward. Les Garrison Aerospace Lines déclinaient toute responsabilité en cas d’accidents sous gravité nulle dus à l’inobservation des consignes de sécurité. Puis la voix du commandant de bord s’éleva tandis que son visage, menton carré et tempes grises, apparaissait sur les écrans :

— Nous nous placerons sur une orbite terrestre basse dans une demi-heure environ et la procédure d’entrée en atmosphère interviendra lorsque nous serons à l’ouest de l’isthme de Panama. Je vous recommande de bien regarder l’Amérique centrale sur les écrans avant que nous ne mettions en place les boucliers antithermiques devant les caméras. Nous devrions arriver dans la capitale mondiale à l’heure prévue. Il fait un temps superbe à Messine…

David cessa d’écouter et jeta un coup d’œil sur ses compagnons de voyage. C’étaient apparemment presque tous des hommes d’affaires revenant sans doute d’Île Un. La station Alpha était le point de correspondance utilisé par la majeure partie du trafic à destination et en provenance de la Terre. Il reconnut quelques touristes qui avaient pris le même vol que lui, dont une des partenaires de ses ébats sous gravité nulle. Plusieurs autres passagers, cependant, n’étaient ni des touristes lunaires ni des industriels : c’étaient des gens de son âge.

Le capitaine avait fini son discours. L’image de la Terre se forma à nouveau sur l’écran et David s’abîma dans la contemplation de la planète.

Il était si absorbé qu’il ne remarqua pas que quelques-uns des passagers les plus jeunes se levaient et progressaient en flottant dans la travée centrale. Ils étaient six. Trois d’entre eux se dirigèrent vers l’office, à l’arrière. Quelques minutes plus tard, trois autres se propulsèrent vers le poste de pilotage à l’avant.

Bahjat avait été sidérée par le manque de sérieux de Hamoud en matière de planification. Elle avait été obligée de se mettre elle-même en quête de cinq camarades ayant déjà voyagé sous gravité nulle : il n’avait même pas songé à ce problème. Les cinq hommes n’appartenaient pas plus qu’elle aux masses misérables et affamées. C’étaient des fils de famille qui militaient au F.R.P. parce que ça faisait chic.

Hamoud ne participait pas à l’opération. Il n’avait jamais été dans l’espace et ce détournement était une affaire trop importante pour que l’on puisse se reposer sur quelqu’un qui risquait d’être malade en expérimentant pour la première fois les conditions d’apesanteur.

Et ç’avait été Bahjat, encore, qui avait choisi le meilleur endroit pour faire atterrir la navette volée : l’Argentine. Le commando se poserait chez El Libertador et lui demanderait le droit d’asile : il ne pourrait décemment pas le refuser à des corévolutionnaires.