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— Vous avez trop de scrupules, répliqua Sir Charles en faisant mine de froncer les sourcils. Vous n’iriez pas très loin dans la politique.

— Vous, si.

— Indiscutablement.

— C’est parfait. Comme ça, quand vous serez Premier ministre, vous pourrez ouvrir une enquête afin de déterminer pourquoi Evelyn Hall, jeune journaliste promise au plus bel avenir, est morte de faim dans son appartement de Paddington.

— C’est à ce point là ?

— La situation est plutôt sombre.

Sir Charles caressa sa moustache.

— Je… euh… j’ai une nouvelle assez délicate à vous apprendre. Si j’ai bonne mémoire, vous m’avez demandé de m’informer sur le statut légal d’un jeune homme que vous avez interviewé quand vous étiez à Île Un. Un certain David Adams, c’est bien cela ?

Evelyn s’assit sur le lit.

— Oui. David Adams.

Sir Charles eut un instant d’hésitation avant de reprendre, après avoir jeté un coup d’œil derrière lui comme pour s’assurer que personne ne l’observait :

— Tout cela est archi-secret pour le moment mais il semble qu’il y ait eu un détournement dans l’espace. Le Front révolutionnaire des peuples s’est emparé d’une navette partie de la station Alpha et faisant route vers Messine.

— Une information aussi énorme, on ne peut pas l’étouffer.

— Sans doute. Même l’actuel gouvernement en est conscient. Le F.R.P. va l’annoncer à son de trompe à la Terre entière d’une minute à l’autre. Mais j’ai pensé qu’il vous intéresserait de savoir qu’un dénommé David Adams figure sur la liste des passagers. Il est parti de Séléné et il a indiqué comme lieu de domicile Île Un.

Evelyn sentit soudain le sang affluer à ses tempes.

— Il est là !

— Comme il a été détourné, on ne sait pas au juste où il se trouve. La navette devait originellement rallier Messine.

— Il faut que j’y aille !

Sir Charles secoua la tête.

— N’y comptez pas. Les services de sécurité ont entièrement bouclé la capitale du G.M. L’endroit le plus proche où vous pouvez vous rendre est Naples.

— Eh bien, va pour Naples !

— J’ai l’impression qu’il m’est très antipathique, votre David Adams. Pouvez-vous vous payer le voyage ? ajouta Sir Charles après un silence.

Evelyn avait l’estomac noué. L’impression d’être creuse à l’intérieur…

— Je me débrouillerai. J’ai encore un compte crédit pas trop raplapla.

Son interlocuteur haussa imperceptiblement les sourcils.

— Mon bureau s’occupera de votre réservation et vous retiendra une chambre à Naples.

— Je ne peux pas…

— Mais bien sûr que si ! Et dépêchez-vous ! Dommage que j’aie tant de travail, soupira-t-il avec un sourire lugubre. Enfin… Je crois savoir qu’il fait une chaleur infernale là-bas à cette saison de l’année.

— Est-ce que vous êtes folle ? Vous n’avez donc aucune jugeote ? Vous ne voyez pas plus loin que le bout de votre nez !

El Libertador arpentait rageusement l’ancienne et somptueuse salle de bal. Des portraits de généraux en uniforme, de vieux messieurs au col empesé, de dames pâles et languides ornaient les murs de la pièce haute de plafond. Trois lustres, avalanche de cristal, réfléchissaient la lumière qui s’engouffrait par les larges fenêtres au-delà desquelles on ne voyait que les prairies sans limites qui se déployaient jusqu’à l’horizon que barraient des pics embrumés semblables à de frémissants mirages.

Bahjat était désemparée. Et elle se sentait sale. Elle n’avait pas pris de bain et ne s’était pas changée depuis qu’elle était montée à bord de la navette à Alpha, trente-six heures plus tôt. Le reste du commando se trouvait dans une autre aile de cette « pension de famille » en pleine pampa argentine. La police de l’air, à l’aéroport de Buenos Aires, n’avait pas accepté l’aimable cadeau de la navette spatiale. Bahjat s’y était attendue mais elle avait pensé qu’El Libertador serait enchanté. Hamoud lui-même avait assuré que les révolutionnaires latino-américains feraient le meilleur accueil à la jeune femme et à ses otages.

Eh bien non : El Libertador était hors de lui. L’homme cramoisi, grand et maigre, qui tournait comme un ours en cage dans la somptueuse salle de bal, était l’image même du courroux.

Il a le même âge que mon père, se dit Bahjat. Et cela la mettait bizarrement mal à l’aise.

En tout cas, il n’était pas vêtu avec plus de recherche qu’elle : son treillis kaki chiffonné ne valait même pas le chemisier de soie et les babouches qu’elle portait. Assise sur une des chaises raides en vrai bois alignées le long du mur lambrissé, elle suivait des yeux l’homme dont les bottes sonnaient sèchement sur le parquet.

Enfin, il s’immobilisa. Si près d’elle qu’elle put se rendre compte que ses yeux étaient injectés et son regard las. Il secoua la tête.

— Pourquoi le F.R.P. ne m’a-t-il pas contacté préalablement ? Comment avez-vous eu l’audace de me mettre cette cargaison d’otages sur les bras sans me prévenir, sans même me demander… (Laissant sa phrase en suspens, El Libertador exhala un soupir et reprit sur un ton plus faible :) J’ai tort de m’emporter. Je viens de rentrer d’Afrique du Sud. Vous savez sans doute que la révolution est victorieuse, là-bas ?

— Oui, répondit Bahjat avec une joie qui n’avait rien de feinte. Cela a été une merveilleuse nouvelle.

— Qui a fait près d’une centaine de morts dans les rangs de l’armée du Gouvernement mondial. Ce qui est moins merveilleux.

— Mais elle défendait un régime malfaisant.

— Les soldats obéissaient à leurs ordres. Il y a trois jours, c’était un contingent anonyme de l’armée mondiale. Maintenant, ces hommes sont des martyrs et la Terre entière crie vengeance.

Bahjat ne répliqua pas et le vieil homme se laissa choir pesamment sur la chaise voisine.

— Voyez-vous, nous ne pouvons pas nous permettre de nous mettre aussi radicalement à dos le Gouvernement mondial. S’il mobilise ses troupes contre nous…

— Mais elles sont numériquement faibles. Nous pouvons lancer contre eux des forces cent fois plus nombreuses.

— Ce sont des troupes professionnelles. Elles disposent de deux atouts : la mobilité et la puissance de feu. Nous, nous avons le nombre et l’enthousiasme — la chair à canon, quoi.

— Nous nous battrons jusqu’à la victoire.

— Jusqu’à ce que nous soyons tous massacrés, plutôt. Pourquoi avez-vous détourné cette navette ? Quel intérêt cela représentait-il ?

— Pour mettre en évidence la fragilité du Gouvernement mondial, répondit Bahjat qui ne voulait pas avouer ses véritables motifs. Pour l’obliger à verser une rançon en échange des otages, ces industriels et ces touristes gras à lard.

— Et vous les avez conduits ici parce que vous pensiez que je vous protégerais ?

— Oui.

— Mais je ne pourrais même pas me protéger moi-même si l’armée mondiale envahissait l’Argentine.

— Vous êtes un révolutionnaire, oui ou non ?

— Oui, dit-il en se redressant. Mais pas un terroriste. Pas un pirate.

— Nos buts sont les mêmes, même si notre tactique est différente.

— Croyez-vous ? Je me le demande.

— Vous êtes une source d’inspiration pour nous tous. Pour tous les gens du Front, vous êtes un modèle.

El Libertador la dévisagea longuement.

— Parlez-vous sérieusement ?