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— Viens t’asseoir.

Il tapota la chaise voisine au cas où elle ne comprendrait pas l’anglais. Elle s’approcha et s’arrêta, plantée de l’autre côté de la table, l’air méfiant, presque effrayée.

— Est-ce que tu parles anglais ? lui demanda McCormick en souriant pour la mettre en confiance.

— Oui.

Une voix d’enfant, haut perchée et incertaine. Elle aurait été jolie si elle avait été propre — d’immenses yeux noirs, des cils qui n’en finissaient pas, des lèvres charnues et sensuelles, mais la poussière des rues incrustait son visage.

— Assieds-toi, répéta-t-il. Tu t’es rudement fatiguée. Veux-tu prendre un verre de thé ?

Elle s’assit sur la chaise qu’il lui indiquait, si près que McCormick fut assailli par l’odeur aigre de son corps. Le petit frère resta accroupi à l’écart.

Le vieillard fit une nouvelle apparition et Denny lui demanda du thé pour la fillette.

— Et auriez-vous encore de la bière, par hasard ?

— Je vais voir.

— Oh ! Apportez donc aussi quelque chose à manger pour notre jeune danseuse pendant que vous y serez — une pâtisserie par exemple.

La gitane ne souriait pas, elle ne réagissait pas mais son regard ne cessait d’aller de Denny à son frère.

— Comment t’appelles-tu ?

— Médina.

— Et lui, c’est ton frère ? Il te ressemble un peu.

— Oui, c’est mon frère.

— J’aimerais te donner un petit quelque chose pour ta danse.

Il fouilla ses poches.

— Non. (Les yeux de la danseuse s’écarquillèrent.) S’il vous plaît…

Denny finit par extirper un billet chiffonné qu’il posa sur la table.

— Non ! s’exclama-t-elle à nouveau, manifestement terrifiée. Je ne peux pas accepter. À cause du mauvais sort.

— Mais pourquoi dansais-tu ? Ce n’était pas pour qu’on te donne de l’argent ?

— Si.

— Eh bien, prends.

— Le mauvais sort ! murmura-t-elle sur un ton farouche — comme si elle cherchait à se convaincre elle-même plus que qui que ce soit d’autre, se dit Denny.

Sa main fine aux ongles cassés et noircis glissait vers le billet froissé comme animée d’une volonté propre.

— Pourquoi parles-tu de mauvais sort ?

— La mort… la mort est sur vous.

Denny sentit ses sourcils se hausser presque au ras de ses cheveux.

— La mort ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

Elle s’arracha à la contemplation de la coupure et vrilla son regard à celui de McCormick qui songea qu’avec des yeux pareils, elle devait briser bien des cœurs.

— On entend dire des choses dans le souk.

— Par exemple ?

— Il y aura un chrétien, un homme grand avec une barbe rousse, un étranger venu pour construire le palais du calife…

— C’est moi, fit-il en hochant la tête.

Elle jeta un coup d’œil affolé autour d’elle — sur la rue maintenant déserte, sur son frère, sur la fenêtre obscure du café.

— Il ne sortira pas du souk vivant, acheva-t-elle.

— Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ?

— C’est la rumeur qui a couru aujourd’hui. Le grand chrétien à la barbe rouge ne quittera pas le souk vivant.

Denny fit mine de rire mais sa gorge était singulièrement sèche.

— C’est ridicule.

Il s’empara de la bouteille de bière. Elle était vide.

— C’est la vérité, riposta l’adolescente.

— Mais qui voudrait me tuer ? Et pourquoi ?

Elle ne répondit pas. Pris d’un brusque mouvement d’impatience, Denny cogna sur la table avec la bouteille et cria :

— Patron ! Ça vient, oui ou non ?

Le tenancier sortit de l’établissement, les mains vides. Cette fois, il ne souriait plus. Il dit quelque chose en arabe à la danseuse. Denny comprit les deux premiers mots : « Va-t’en ! » et une référence à Ah-reesh. La fillette fila sans demander son reste, suivie de son petit frère.

— Monsieur, prenez garde à ne pas vous laisser exploiter par ces gens-là. Ils vous enjôlent avec des contes à dormir debout et ils vous prennent tout votre argent.

Denny se leva, pêcha au fond de sa poche les derniers fils qui lui restaient et les jeta sur la table.

— C’est tout ce que j’ai. Elle ne m’aurait pas pris grand-chose.

Le vieil homme regarda longuement les billets, puis il dévisagea Denny. Sous la blanche broussaille de ses sourcils, ses yeux bordés de rouge étaient tristes.

— Vous feriez peut-être mieux de repartir par le même chemin que vous avez pris pour venir et de ne pas vous promener dans le souk ce soir. L’heure est maléfique, pleine de présages funestes.

Lui aussi, il est au courant.

— Vous avez peut-être raison.

— Votre argent, lui rappela le patron comme Denny faisait mine de s’en aller.

— Gardez tout. Ce sera pour la bière… et pour votre conseil.

Il s’éloigna d’un pas vif dans la ruelle des chaudronniers. À un moment donné, il se retourna — juste à temps pour voir trois solides gaillards en dishdasha noire et turban à damiers jaillir du café en bousculant le vieillard planté sur le pas de sa porte et lui emboîter la pas.

Les marteaux des chaudronniers s’étaient tus. Le soleil était couché et, malgré les quelques lampes qui brillaient, la venelle sinueuse était obscure et inquiétante.

Est-ce que c’est vrai ou est-ce que je me laisse impressionner par les légendes du cru ? s’interrogea Denny. Une petite traîne-semelles de gitane me fait son numéro et voilà que, maintenant, j’ai les mains qui tremblent.

Mais quand il regarda derrière son épaule, les trois hommes étaient toujours là.

Pourquoi moi ? Qu’est-ce qui se passe, bon Dieu de bon Dieu ?

Tout en marchant, il forma le numéro de son bureau sur son communicateur. La réponse de l’ordinateur s’inscrivit en lettres rouges et lumineuses sur le minuscule voyant : VEUILLEZ INDIQUER VOTRE NOM, L’HEURE ET LE NUMÉRO OÙ ON POURRA VOUS JOINDRE. NOUS VOUS RAPPELLERONS DANS LA MATINÉE.

Tandis que le message s’effaçait pour se réimprimer, mais en caractères arabes, cette fois, Denny lâcha un juron. Alerter la police ? Allons donc ! pour qu’elle s’aventure dans le souk, il fallait qu’il y ait déjà au moins un cadavre sanglant gisant dans la poussière.

Hâtant le pas, il composa le numéro de son chef de chantier. Pas de réponse. Il essaya alors le bureau des antiquités, maître d’œuvre du palais qu’il construisait. À nouveau, ce fut un répondeur automatique qui se manifesta.

Les hommes qui le suivaient avaient, eux aussi, accéléré l’allure. Ils se rapprochaient et Denny se rendit compte qu’en revenant vers le chantier, il leur facilitait la tâche. Là-bas, il n’y aurait personne. Ils pourraient le tuer sur le pont ou sur le site même, l’enterrer sous les murs qu’il était en train d’édifier et on ne retrouverait jamais son corps.

Couvert de sueur, il se mit à courir et composa le numéro d’appel de l’antenne locale du Gouvernement mondial. Trois lettres rouges apparurent sur l’écran : oui ?

Il rapprocha le bracelet électronique de ses lèvres et dit d’une voix haletante dans le micro miniaturisé :

— Passez-moi la Sécurité. C’est urgent !

— Sécurité écoute, fit instantanément une voix masculine au timbre grave.

C’est au moins un être humain !

— Ici Denny McCormick du…

Il fit brutalement halte et manqua de déraper dans une flaque de boue à la vue d’un second groupe de trois hommes qui lui bloquaient le chemin.