Ben Bova
Colonie
(Tome II)
LIVRE III (suite)
JUIN 2008
23
FLASH FLASH FLASH
Buenos Aires : Le gouvernement argentin a annoncé dans le courant de l’après-midi que tous les passagers de la navette spatiale détournés vont être incessamment libérés et rapatriés.
Le chef du commando, une femme que l’on ne connaît que sous son romantique nom de guerre, Shéhérazade, placée en résidence surveillée avec ses complices, a réussi à s’évader. On avait antérieurement indiqué au siège du Gouvernement mondial, à Messine, qu’elle avait été tuée lors du détournement.
La décision des autorités argentines d’accorder le droit d’asile aux autres pirates de l’espace agissant pour des mobiles d’ordre politique a été accueillie avec la plus vive réprobation par les dirigeants mondiaux…
T. Hunier Garrison étira ses membres noueux et s’enfonça jusqu’au cou dans l’eau brûlante. Son crâne chauve se couvrit de transpiration et voyant la sueur qui lui dégoulinait dans les yeux, l’une des deux petites Orientales qui partageaient avec lui l’hospitalité de la baignoire démesurée lui essuya les sourcils d’un doigt attentif avec un sourire qu’il lui rendit. Sa compagne, debout dans l’eau, prit des huiles aromatiques et des parfums sur l’étagère.
Des tourbillons de vapeur s’élevèrent à l’entrée d’Arlène qui attira à elle un banc de bois et s’assit au bord de la baignoire encastrée dans le sol.
— Ma robe va être toute fripée, dit-elle en tirant sur sa jupe qui dissimulait à peine ses cuisses bronzées.
— Eh bien, tu n’as qu’à l’ôter et nous rejoindre, répliqua Garrison. Il y a largement la place.
— Je n’ai malheureusement pas le temps.
— Comment trouves-tu mes pêcheuses de perles ? C’est Hashimoto qui m’en a fait cadeau tellement il était heureux d’avoir été libéré après le détournement.
Arlène jeta un coup d’œil aux deux filles.
— Elles sont ravissantes.
— Elles peuvent rester cinq minutes d’affilée sans respirer. C’est sous l’eau qu’elles font leurs meilleures prestations.
— Eh bien !
— Tu n’as jamais essayé de souffler dans la trompette sous l’eau ?
Arlène repoussa en arrière ses cheveux flamboyants.
— C’est leur spécialité ?
— Entre autres choses, répondit Garrison avec un sourire libidineux.
— Dites, j’ai parlé avec Steinmetz à Rio…
— Où est ce garçon ?
— Il a disparu sans laisser de trace.
— Mais, sacré bon Dieu, il ne s’est quand même pas volatilisé ! s’exclama-t-il sur un ton si violent que les petites Japonaises sursautèrent et eurent un mouvement de recul. Voyons, reprit-il, il n’a pas pu aller très loin sur un scooter.
— Le pays est vaste.
— Foutaises !
— Et il est avec cette fille du F.R.P., celle qui se fait appeler Shéhérazade. On ne sait d’ailleurs pas trop, semble-t-il, s’il l’a prise en otage ou si c’est le contraire. Apparemment, c’est lui qui a ouvert le feu.
— Je me fous éperdument de savoir qui a fait quoi et à qui. Je veux ce type. Il m’appartient, que diable, et je tiens à le récupérer. Cobb le réclame à cor et à cri. Il a besoin de lui sur Île Un.
Arlène hocha la tête et ses mèches détrempées par la vapeur lui retombèrent dans les yeux.
— Si elle l’aide… ou s’il l’a prise en otage… elle connaît toutes les caches des guérilleros, tous les terroristes d’ici à…
Garrison réfléchit un instant.
— Dans ce cas, je veux aussi la fille.
— Ce ne sera pas facile.
— Tu vas dire à Steinmetz qu’il est viré. Que son lieutenant à Rio prenne sa place. Convoque-le, le Steinmetz, je vais faire un exemple. Et que tous nos correspondants en Amérique Latine se mettent à la recherche du garçon et de la fille. Je les veux tous les deux.
— Autant chercher deux fourmis dans la jungle, objecta Arlène.
— Tu as envie que je te fasse subir le même traitement qu’à Steinmetz ?
— Oh non !
— Alors, fais ce que je te dis.
Elle se leva et Garrison dut rejeter la tête en arrière pour voir ses jambes qui n’en finissaient pas, son corps aux rotondités généreuses, sa figure cramoisie.
— Où vas-tu ?
— Passer les coups de fil que vous voulez que je passe.
— Il y a un appareil là-bas, fit Garrison en désignant quelque chose du doigt au milieu de la buée qui remplissait la pièce. Pas la peine de te déranger. Et déshabille-toi pendant que tu téléphones, enchaîna-t-il avec un nouveau sourire. Quand tu auras fini, j’aimerais que tu viennes nous rejoindre dans la baignoire pour que tu puisses voir combien de temps ces petites sont capables de retenir leur respiration sous l’eau.
Arlène le dévisagea et l’ombre d’une désapprobation lui pinça imperceptiblement les lèvres.
— Et ne fais pas ta mijaurée. Laisse ces petites te travailler au corps et je te montrerai ce que Hashimoto m’a envoyé d’autre. Il s’est aussi souvenu de toi.
— Vraiment ?
Garrison acquiesça. Les deux « pêcheuses de perles » sourirent et dodelinèrent du menton. Elles disparaissaient jusqu’à la taille dans l’eau parfumée et fumante. Elles avaient pour instruction de faire tout ce qu’on leur dirait de faire et de ne pas prononcer un seul mot dans aucune langue à moins qu’on ne leur donne l’ordre de parler.
Un léger sourire retroussa les lèvres d’Arlène.
— Vous êtes un vieux cochon, vous savez ?
— Le fait est, reconnut Garrison avec bonne humeur. Mais, à mon âge, le voyeurisme est à peu près le seul plaisir qui me reste. D’ailleurs, tu es une exhibitionniste. Tu aimes ça. Avoue, insista-t-il avec un soupçon de dureté dans sa voix rocailleuse. Tu aimes te montrer, hein ? Ce n’est pas vrai ? ajouta-t-il comme Arlène s’obstinait dans son mutisme.
— Bien sûr que si, mon chou, répondit-elle enfin tout en déboutonnant son corsage. J’adore.
Bien qu’ils appartinssent tous les deux à la même espèce biologique, Kowié Bowéto et Chiu Chan Liu n’auraient pas pu être plus différents qu’ils ne l’étaient.
Le premier était un colosse dont le front large et bombé dominait deux yeux minuscules et méfiants, toujours en alerte. Au naturel, son expression était renfrognée. C’était un homme qui, d’instinct, attaquait les problèmes bille en tête.
En d’autres temps, Liu, quant à lui, aurait été un philosophe, un sage, un mandarin. Frêle et menu, c’était un taciturne. On aurait presque dit un ascète.
Ils étaient dans l’appartement de fonction qu’occupait le Chinois au siège du Gouvernement mondial à Messine. La peinture sur soie qui ornait l’un des murs et le vase précieux qui trônait dans un coin étaient les seuls éléments exotiques de la pièce par ailleurs décorée de chromes, de plastique et de verre conformément au style occidental contemporain comme tous les autres logements des fonctionnaires du G.M.
— Mais il se remet de son attaque, était en train de dire Bowéto, affalé dans un fauteuil résille en plastique, une chope de bière brune posée sur la table basse devant lui.
Liu était assis sur une chaise droite garnie de peluche, un verre de la taille d’un dé à coudre rempli de vin d’abricot à portée de la main.
— Il a plus de quatre-vingts ans, murmura-t-il. Il n’en a plus pour bien longtemps.