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— Toi, on te gardera avec nous, dit Brandy à Shéhérazade. On va rigoler un bon coup, tu verras.

Avec une force qu’il ignorait posséder, David empoigna à bras-le-corps celui des trois hommes qui était le plus près de lui, le souleva et le fit passer à travers la mauvaise porte qui s’ouvrait sur le palier. Elle vola en éclats et le patibulaire dégringola l’escalier en vol plané. Son camarade se rua sur David, un couteau à la main, mais il en fut pour ses frais : le jeune homme pour qui le karaté n’avait pas de secret lui fractura le sternum d’un coup de pied.

Quand David pivota sur lui-même pour s’expliquer avec Brandy, celui-ci, à genoux, plié en deux, vomissait en se tenant le bas-ventre. Bahjat, ses petits poings noués, un rictus lui découvrant les dents, était debout devant lui.

Elle insista pour qu’ils filent sans demander leur reste mais David, faisant preuve d’un machiavélisme qu’il ne se connaissait pas, ramassa le couteau abandonné sur le plancher crasseux et s’employa à persuader Brandy de téléphoner à la banque pour faire ouvrir un crédit d’un montant coquet au nom de M. et Mme Able. Quand la pointe de la lame lui caressa la paupière, Brandy s’exécuta.

Ce fut seulement alors qu’ils jouèrent la fille de l’air. Ils se rendirent ventre à terre au premier terminal bancaire ouvert toute la nuit et transférèrent la totalité du crédit à leur compte.

Cela fait, ils entrèrent dans le plus grand hôtel de La Nouvelle-Orléans où ils s’inscrivirent sous les noms de senor et senora Pizarro, bien que Bahjat ne parlât pas un mot d’espagnol. Un vrai portier en uniforme les conduisit à leur appartement. Le réceptionniste hocha la tête en les voyant entrer dans l’ascenseur et maugréa intérieurement : Encore des Espingos qui ne paient pas de mine ! Où diable trouvent-ils autant d’argent ? Moi, je ne pourrais pas prendre une chambre ici !

Il y avait deux lits. David tourna en rond dans la chambre recouverte d’une moelleuse carpette pendant que Bahjat s’abandonnait aux délices de la douche en se demandant ce qu’il allait faire. Quand elle ressortit de la salle d’eau, son corps menu pudiquement dissimulé par une serviette, il se doucha à son tour. Il fit très vite mais lorsqu’il revint dans la chambre, Bahjat était déjà couchée dans le lit du fond, tournée vers le mur.

David s’assit au bord du lit. Sans bouger, elle murmura :

— Je vous en prie, David… Je sais ce que vous voulez. Mais je ne peux pas… absolument pas.

Au bout d’un bon moment, il finit par se lever. Il déposa un baiser sur l’épaule nue de la jeune fille et alla se coucher à son tour. Contrairement à son attente, il s’endormit presque immédiatement.

Le lendemain matin, M. et Mme Pizarro réservèrent deux passages sur le vol de New York après que Bahjat eut eu une longue conversation téléphonique avec Naples.

— Tigre va à New York, avait-elle annoncé à David. Nous avons rendez-vous avec lui là-bas.

David avait acquiescé. Tigre était le patron. Ils se retrouveraient à New York et Bahjat le remettrait entre les mains du leader du F.R.P. Il est sans doute mal porté de faire l’amour avec ses prisonniers, songea-t-il avec dépit.

Evelyn prenait le soleil sur le balcon de sa chambre. Barbade était une île d’une beauté somptueuse. Les luxuriantes plantes tropicales qui montaient à l’assaut des montagnes déchiquetées remplissaient l’air d’un parfum exotique entêtant. Le ciel était une coulée de cuivre en fusion et le soleil au zénith faisait miroiter les flots. Des vagues venaient lécher le sable blanc de la plage, un peu plus loin.

Mais la ville qui cernait l’hôtel suppurait comme une plaie ouverte sous l’implacable soleil. Des enfants hâves et apathiques jouaient dans les rues et dans les anciens parkings disparaissant sous les gravats où, autrefois, les touristes garaient leurs voitures de location. Il n’y avait plus de touristes, à présent. L’île tout entière sombrait dans un abîme de misère sans fond. Il n’y avait pas de travail sauf sur les rares et pitoyables chantiers subventionnés par le Gouvernement mondial pour créer quelques emplois. Mais la faim régnait à l’état endémique. Et les bébés pullulaient. Comme les rats de Hamelin, se disait Evelyn. Il y en a partout. Des bébés étiques au ventre gonflé. Pas un seul qui eût bonne mine.

Evelyn secoua la tête comme pour chasser de son esprit les malheurs de Barbade. Tu es dans le coup pour le plus formidable scoop du siècle. Ce n’est pas le moment de faire de la sensiblerie, ma petite vieille.

Hamoud avait gardé le contact avec Shéhérazade grâce à tout un réseau d’intermédiaires. Et David était avec la dirigeante du Front. Tous deux menaient une belle partie de cache-cache avec tout le monde. Ils avaient réussi à rallier La Nouvelle-Orléans mais, depuis, Hamoud n’avait plus de nouvelles. Il était justement sorti pour essayer de renouer le contact.

Evelyn avait peu à peu appris comment fonctionnait le Front révolutionnaire des peuples. Hamoud ne l’avait jamais quittée des yeux plus de quelques heures depuis le jour où il l’avait abordée dans ce bistrot napolitain, trois mois auparavant, mais cela voulait dire qu’Evelyn ne l’avait pas quitté des yeux, lui non plus.

Elle avait rapidement découvert ce qu’il cherchait en réalité : la célébrité. La notoriété et la publicité. Il était jaloux de Shéhérazade qui accaparait les manchettes des journaux. Maintenant, il avait son attaché de presse personnel et son propre agent de publicité. Ainsi que son propre harem privé dont les effectifs étaient réduits à une seule pensionnaire. Evelyn avait compris que son ego machiste ne pouvait être réellement satisfait qu’au lit.

En tout cas, il a au moins de l’imagination, se dit-elle avec une grimace. Encore quelques semaines et je pourrais me recycler et entamer une nouvelle carrière. D’entraîneuse de call-girls !

Hamoud se voyait sous les traits du mâle dominateur, mais Evelyn savait depuis belle lurette que pour mener un homme par le bout du nez, il suffit de lui faire croire que l’on est totalement à sa botte. Aussi, serrant les dents, elle lui dispensait les voluptés anales dont il était friand et tout le reste en prime. Elle était devenue experte dans l’art de tirer parti du mobilier, en particulier des fauteuils quand ils étaient assez solides pour supporter les gesticulations et les contorsions de leurs corps enlacés. Cependant, elle était intraitable sur un point : l’hygiène. Ils se douchaient avant de baiser — Evelyn était incapable de dire « faire l’amour » en pensant à leurs débats. Et Hamoud avait l’air d’apprécier qu’elle le savonne et s’occupe de son pénis en faisant des bruits de succion.

Au lit, il parlait. Jamais beaucoup. La loquacité n’était pas son fort. Mais Evelyn en apprit suffisamment, bribes par bribes, pour commencer à se faire une idée générale du F.R.P. Au bout de quinze jours, elle en savait assez pour déchiffrer les propos qu’Hamoud tenait au téléphone malgré toute la circonspection et toute la prudence qu’il déployait.

Elle ne fut pas étonnée lorsqu’elle comprit que c’étaient les multinationales qui assuraient le plus gros du financement du Front. C’était logique. L’objectif des guérilleros et des grands consortiums était le même : abattre le Gouvernement mondial.

Fouillant encore davantage, elle avait cherché à savoir de quels consortiums il s’agissait au juste. Le plus grand secret recouvrait leurs noms mais la Société pour le Développement d’Île Un revenait à tout bout de champ dans les conversations et elle entendit plus d’une fois parler de certaines personnes comme al-Hachémi et Garrison. T. Hunter Garrison, lui souffla sa mémoire de journaliste. Le Garrison des Entreprises Garrison. Et Wilbur St. George, ce salaud.