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Objet : activités urbaines du F.R.P.

Date : 26 novembre 2008. Ni le bureau de Philadelphie ni vos assistants n’ont tenu compte de mes recommandations suggérant la mise en état d’alerte de tous les bureaux locaux et notification à la garde nationale d’un clash imminent. J’ai toutes raisons de croire que les groupes du F.R.P. préparent un soulèvement général dans les villes sur toute l’étendue du territoire des États-Unis. Le jour serait très proche. Je vous demande respectueusement de bien vouloir m’accorder un entretien après le week-end du Thanksgiving pour que nous puissions discuter de vive voix de cette affaire. C’est de la plus haute urgence, j’en suis certain.

Jamais Lacey n’avait encore eu un instrument aussi chouette dans les mains. La crosse de métal, noire et luisante, épousait le creux de sa paume comme si elle avait été faite sur mesure. Le canon trapu s’achevait par un suppresseur de recul. Le magasin incurvé comme une banane recelait cent projectiles bon poids. On pourrait couper des arbres avec cet engin.

Assis à l’arrière d’une vieille camionnette, Lacey attendait que l’horloge de la compagnie d’assurances, quelques centaines de mètres plus bas, sonne midi pour passer à l’attaque. Il adressa un sourire nerveux à Fade et à Jojo accroupis au milieu des feuilles de laitue et autres détritus qui jonchaient le plateau de la camionnette. Elle servait d’étal de fruits et légumes tous les jours de la semaine. Mais pas aujourd’hui.

Ils étaient arrêtés devant la sinistre façade de pierre de l’arsenal. Lacey se rappelait ce qu’avait dit Leo : Il y a des flingues à la pelle, à l’intérieur. Et aussi des camions et des blindés.

— Quand c’est qu’elle va se décider à grelotter, cette putain d’horloge ? gronda Jojo.

Aucun des garçons n’avait de montre. Lacey avait suggéré d’en voler quelques-unes pour avoir un meilleur minutage mais Leo s’y était catégoriquement opposé :

— Faut pas prendre le moindre risque. Si vous vous faisiez épingler en train de piquer quelque chose ou d’agresser un mec, vous louperiez tout le spectacle.

Fade se trémoussa, mal à l’aise, et s’humecta les lèvres.

— Peut-être qu’ils ont été mis au parfum et qu’ils la feront pas sonner.

— Elle sonnera, te bile pas, rétorqua Lacey en s’efforçant de leur faire comprendre par son ton que ça l’agaçait de les voir qui ne tenaient pas en place. Elle sonnera et on ouvrira le feu. Tâchez seulement à pas paniquer quand c’est que les gaziers qui sont à l’intérieur commenceront à riposter.

Ils se turent. Les rues étaient désertes. Il n’y avait pas un son en dehors du bruissement du vent glacé qui faisait s’envoler les vieux papiers et autres cochonneries.

— Ça va plus être long, reprit Lacey.

— Comment qu’on saura si les autres sont là où ils doivent ? s’inquiéta Jojo.

— On est là, nous, pas vrai ? Eh bien, eux aussi.

— Espérons-le.

Le premier coup de midi retentit comme la voix de Dieu. L’espace d’un instant, les trois garçons furent comme paralysés. Lacey avait brusquement la bouche sèche. Il déglutit avec effort et lança sur un ton fêlé :

— En avant !

Il fut le premier à sauter à terre et, sans un regard en arrière, il escalada au pas de course les marches de l’arsenal. Il entendait cliqueter les cartouchières et les grenades de Fade et de Jojo qui se ruaient sur ses talons.

Attaquer l’entrée principale. C’était la mission qui leur avait été attribuée, leur premier objectif.

C’était une haute grille de fer par-delà laquelle on apercevait le porche plongé dans l’ombre. Personne ne montait la garde. Au premier abord, on aurait pu croire que l’arsenal était vide et sans défense. Mais Lacey n’était pas si bête. Peut-être qu’ils dormaient, les gardes, mais ils étaient à l’intérieur. C’étaient des gens de la garde nationale rappelés pour servir de renfort à la police de New York.

La grille était cadenassée. Lacey s’arrêta net dans son élan à quelques mètres et lâcha une rafale. L’écho, répercuté par la maçonnerie, fut assourdissant. Des balles ricochèrent, accompagnées de fragments de métal qui jaillissaient dans toutes les directions. Quelque chose de brûlant érafla la joue de Lacey mais la chaîne, rompue, tomba en ferraillant et les trois garçons poussèrent la grille qui pivota sur ses gonds en grinçant.

— En avant !

Fade franchit la grille le premier et il lança une grenade sur la porte intérieure, un massif panneau d’acier encastré dans la pierre. La puissance de la déflagration les renversa mais quand Lacey leva la tête, la porte, démantibulée, était béante. Il se retourna. Une douzaine d’autres jeunes Noirs traversaient l’avenue au pas de course pour les rejoindre. Chacun d’eux avait un fusil d’assaut à la main.

— Quand j’te disais qu’ils étaient là ! brailla-t-il à l’adresse de Jojo.

Ils s’engouffrèrent par la brèche et se retrouvèrent dans un étroit passage divisé par une cloison de bois. Un gros type en kaki était à quatre pattes d’un côté de celle-ci. C’est l’explosion qui à dû l’ensuquer, songea Lacey.

Fade contourna la cloison et tira sur le garde à bout portant. Littéralement soulevé, ce dernier décolla du sol et fut projeté contre le mur. Ce n’était plus qu’une bouillie sanguinolente.

Le second groupe arrivait et se lançait à l’assaut de l’escalier menant au dortoir. Lacey entendit des détonations et l’explosion sourde d’une grenade.

Il se rappelait clairement le plan de l’arsenal qu’il avait appris par cœur et il s’engagea dans le corridor de droite. Un coup de pied eut raison de la porte du garage. C’était une ancienne salle de spectacle. Bien des années auparavant, les gosses du quartier y jouaient au basket. Et, à une époque encore plus lointaine, les enfants des écoles s’y entraînaient au tennis. Maintenant, la salle abritait des voitures blindées et des camions alignés sur quatre rangs.

— La porte latérale ! ordonna Lacey.

Jojo s’élança. Un troisième groupe attendait sur le trottoir. Ces gars-là n’avaient pas d’armes, il n’y en avait pas assez pour tout le monde, mais ils prendraient le volant des véhicules une fois qu’ils seraient entrés.

Une mitrailleuse cracha soudain et Jojo s’écroula sur le ciment, couvert de sang.

— Putain de fumier ! hurla Fade au garde qui avait surgi d’une autochenille, et il fit feu.

Mais les projectiles ne firent qu’égratigner les plaques de blindage qui protégeaient le tireur. La mitrailleuse à canons jumelés pivota pour se pointer sur Fade qui se mit à l’abri derrière un poids lourd tandis que les balles de gros calibre commençaient à pleuvoir alentour.

Lacey se plia en deux et, moitié courant, moitié rampant, il se dirigea vers le flanc de la voiture blindée en se glissant entre deux rangées de véhicules. Lorsqu’il fut à la bonne distance, il dégoupilla l’une des grenades qu’il portait, en bandoulière et la lança comme pour faire un panier depuis le milieu de terrain.

L’œuf de mort décrivit une parabole et disparut dans la meurtrière. Lacey eut le temps de voir la stupéfaction se peindre sur le visage blême du mitrailleur quand la grenade s’écrasa à ses pieds. Une explosion retentissante éclata en même temps que s’élevait un furieux tourbillon de fumée.

Fade, le visage ruisselant de larmes, balbutiait des paroles incohérentes en essayant maladroitement de mettre en place un chargeur neuf.

— La porte ! lui cria Lacey en battant en retraite.

— Jojo…

— T’occupe ! Il est mort, mec. Vite, la porte !