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— C’est elle que tu as entendue, dit Karen à son collègue en souriant de soulagement.

C’était, en fait, un gros transporteur de troupes surmonté d’une tourelle hérissée d’une mitrailleuse à canons jumelés. La cabine du conducteur, entièrement blindée, était seulement percée de fentes par où passaient les périscopes électro-optiques. Une grosse étoile blanche à cinq pointes était peinte sur le flanc beige du véhicule.

Le blindé s’immobilisa devant le camion du détachement. Karen entendit le grincement de ses freins et la plainte étouffée du turbo mourut.

Le sergent se leva et s’approcha du véhicule.

— Qu’est ce que c’est que ce bordel ? s’exclama-t-il. On est là depuis…

Une giclée de mitrailleuse le coupa proprement en deux. Du sang et des fragments de chair s’écrasèrent sur les joues de Karen. Elle entendit quelqu’un pousser un cri — c’était elle — et toutes les armes légères du détachement se mirent à crépiter en même temps.

Les doubles canons de la mitrailleuse pivotèrent lentement tandis que les balles sifflaient et éraflaient la tourelle. L’espace d’un instant, Karen eut directement leurs yeux vides devant elle mais, déjà, l’engin se pointait sur le camion qui se désintégra dans un geyser de flammes.

Des hommes sautèrent du blindé. Ce n’étaient ni des gardes nationaux ni des soldats mais des gamins. Noirs. Qui s’en donnaient à cœur joie avec leurs P.M. et leurs fusils d’assaut.

Joey DiNardo décolla de la rambarde du pont. Sa tête n’était plus qu’une masse sanguinolente, informe. Une grenade explosa quelque part et le staccato de la mitrailleuse du détachement s’éleva. Des étincelles fusèrent sur les plaques de blindage du transport frappé de l’étoile blanche et plusieurs jeunes Noirs s’affaissèrent comme des poupées de son.

La fumée et ses larmes brouillaient la vision de Karen, ses oreilles bourdonnaient. Et sa carabine était vide. Elle se rendit soudain compte que depuis quelques secondes, son index était crispé sur la détente mais que rien ne se passait. Se courbant en deux derrière la rambarde pour se protéger des projectiles qui sifflaient de partout, elle rejoignit en rampant Max et Gerry.

Qui étaient morts. Leur mitrailleuse n’était plus qu’un tas de ferraille tordue. Brusquement, Karen se rendit compte que le vacarme s’était tu. Elle jeta un coup d’œil derrière elle. Une poignée d’adolescents, le fusil fumant à la main, la contemplaient fixement.

L’un d’eux réarma sa mitraillette.

— Attends un peu, lui lança le garçon maigre et boutonneux qui était à côté de lui.

Il avait le teint plus clair. Un Portoricain, peut-être. Il s’approcha de Karen et, du bout du canon de son fusil d’assaut, il fit sauter le casque de la jeune fille qui tomba avec un bruit métallique, révélant une chevelure blonde miroitant au soleil.

— J’te disais bien qu’c’était une gonzesse, fit le garçon en ricanant.

Karen voulut sortir le poignard glissé dans la tige de sa botte mais ils se jetèrent sur elle, lui tordirent douloureusement les bras derrière le dos et lui arrachèrent d’un seul coup sa chemise. Elle ne commença à hurler que quand ils lui écartèrent les jambes et déchirèrent son slip.

Kiril Malekoff se hâtait le long de la rampe couverte reliant le 40e étage de l’aile européenne du siège du Gouvernement mondial au 40e étage de l’aile africaine. Par-delà la vitre teintée qui s’incurvait au-dessus de la galerie, l’éclatant soleil de la Sicile rôtissait la ville et les collines semblables à des ossements blanchis. Mais à l’intérieur des bâtiments climatisés régnait en permanence une tonique fraîcheur et le taux d’humidité était constant.

Malekoff ne se souciait ni de la température ni de l’humidité tandis qu’il bousculait les secrétaires stupéfaites et les assistants empressés mais quand il entra en trombe dans le bureau de Kowié Bowéto, il suffoqua tant la chaleur était oppressante.

— Comment pouvez-vous travailler dans cette étuve ? s’exclama-t-il en refermant la lourde porte de bois.

Bowéto leva les yeux de l’écran sur lequel une secrétaire visiblement ébahie s’efforçait de le prévenir que Malekoff venait le voir et répliqua :

— Comment pouvez-vous goûter des températures inférieures à zéro ? Et la neige ?

— Nous ne les goûtons pas, nous les subissons.

Le Russe dégingandé s’assit lourdement dans un fauteuil en face du vaste bureau d’une irréprochable netteté et Bowéto se laissa aller contre le dossier de son fauteuil pivotant, recouvert de peau de zèbre. Son visage mafflu, puissamment charpenté, ne trahissait ni ennui ni surprise.

— Vous avez l’air inquiet, dit-il. C’est à cause des émeutes en Amérique ?

— Dame ! Que voulez-vous que ce soit d’autre ?

— C’est le problème de Williams, pas le nôtre. Enfin… pas encore. Je crois savoir que le gouvernement américain a demandé l’aide de l’armée canadienne.

— Et les Mexicains ?

Bowéto secoua la tête.

— Les Yankees craignent que leurs voisins à la peau bistre ne prennent fait et cause pour les rebelles contre les Blancs. Ils ne feront pas appel aux Mexicains. En fait, d’importants effectifs de l’armée américaine ont été envoyés en renfort le long de la frontière du Mexique.

— Alors que leurs villes brûlent ! Ce n’est pas possible !

Bowéto haussa les épaules.

— Disons que c’est là une expérience de redéveloppement urbain sans précédent.

— Comment pouvez-vous être si serein ! Et si c’était le lever de rideau d’un soulèvement frontiste à l’échelle de la planète ? Si des insurrections du même genre éclataient en Europe ? Ou en Afrique ?

— Vous ne redoutez quand même pas que les citoyens soviétiques se soulèvent ouvertement contre leur gouvernement ? fit Bowéto avec un léger sourire.

Malekoff fronça ses sourcils broussailleux.

— C’est une possibilité qui n’est pas totalement exclue. Mais il y a l’Europe orientale… l’Allemagne… admettez que ça parte de là. Et pourquoi pas d’ici même, bon Dieu… de Messine. Toute cette affaire est organisée par le F.R.P. contre le Gouvernement mondial, vous vous en rendez compte ? Contre nous !

— Je sais.

— Et De Paolo est dans son lit, plus près de la mort que de la vie !

— Quelqu’un l’a-t-il mis au courant des événements ?

— J’en doute, soupira lugubrement Malekoff. Ils ont tous peur de le tuer.

— Mais si nous devons intervenir… si la crise fait tache d’huile et s’étend au-delà de l’Amérique du Nord…

— Nous serons paralysés. Toute action interrégionale doit recevoir l’accord préalable du directeur.

— On pourrait nommer un directeur par intérim, suggéra Bowéto, aussi impassible qu’un joueur de poker.

Malekoff leva les bras au ciel.

— Pour cela aussi, il faut le feu vert du directeur. Nous sommes pieds et poings liés.

L’Africain resta silencieux et son interlocuteur, qui ne tenait pas en place, se fouilla. Il sortit de sa poche un étui à cigarettes en argent.

— J’ignorais que vous vous adonniez à ce vice, vous aussi ?

— Je n’y sacrifie qu’en privé, répliqua Malekoff en allumant une longue cigarette maïs. Et seulement dans les moments de tension extrême, ajouta-t-il en soufflant un nuage de fumée.

Bowéto eut un hochement de menton compréhensif.

— Il faut absolument qu’on lui en parle, même si cela doit lui causer un gros choc.

— Son entourage s’y opposera, rétorqua le Russe.

— Nous les contraindrons à mettre les pouces. Le Gouvernement mondial ne peut pas rester pieds et poings liés pour reprendre votre expression.