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— Mais, mon général, cela demandera au moins deux jours. Les émeutiers auront le temps de tuer des foules d’innocents citoyens.

— C’est la guerre, mon vieux, rétorqua le quatre étoiles d’une voix sonore. Nous ne sommes pas là pour racheter des otages.

— Il y aurait peut-être quand même un moyen, suggéra un général de l’Air Force. Noyer la ville sous les gaz et les neurostimulants. Les escadrilles tactiques pourraient s’en charger. On montrerait aux New-Yorkais que nous ne les avons pas abandonnés et on donnerait assez de tintouin aux insurgés pour les empêcher de se livrer à un massacre généralisé au cours de la nuit.

Le chef des états-majors combinés haussa les épaules et répondit avec un sourire en coin :

— Eh bien, voyez ce que vous pouvez faire. Ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée que de semer la pagaille chez l’ennemi pendant la nuit. Pendant ce temps, on établira un bouclage autour de New York avec la troupe et les blindés.

L’aviateur avait déjà décroché le téléphone et donnait des ordres sur un débit précipité.

— Je veux avoir les rebelles dans le creux de ma main, poursuivit le quatre étoiles. Je veux les faire tomber dans une nasse aux mailles si serrées que pas un seul ne puisse s’échapper. Pas un seul !

Il tendit le bras et referma lentement son poing, si fort que ses phalanges en devinrent blanches.

— Et les autres villes, mon général ?

— Aux unités locales de s’en charger. Les Canadiens nous envoient déjà des troupes. Qu’ils contre-attaquent à Chicago. Ça leur donnera de quoi s’occuper. Si les unités locales sont débordées, qu’elles appellent le Gouvernement mondial à la rescousse. Quant à nous, messieurs, nous reprendrons New York sans l’aide de personne. À nous tout seuls.

Il leva les yeux vers la carte et sourit.

— Va voir ce qui se passe du côté de Holland Tunnel, je t’ai dit.

Sur le mini-écran luminescent du vidéophone, le visage de Leo était marqué par la tension, la rage et la fatigue.

Lacey était installé dans la galerie de la gare de Grand Central. L’immense salle des pas perdus où, généralement, le marché aux puces était ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, était envahie par une foule de gens terrifiés, choqués, qui n’avaient plus de toit. Des Noirs, des Blancs, des basanés, des hommes, des femmes et des enfants s’entassaient d’un mur à l’autre en un pitoyable troupeau.

— J’arrive à l’instant du bas de la ville, protesta Lacey. Et tu veux que j’y retourne ? Je suis crevé, mon pote. Ça a été une foutue journée, tu sais.

— Est-ce que je me repose, moi ? gronda Leo. On est tous claqués, face de rat. Mais on a encore du pain sur la planche.

— Merdaille !

— Oui, je sais. (L’expression de Leo s’adoucit imperceptiblement.) Tu voudrais rigoler un peu. Tous les culs qui attendent le héros conquérant en palpitant d’impatience ! Bon. Fais-moi plaisir et va voir ce qui se passe dans le tunnel. Je veux que tu t’assures que les copains pourront le tenir si jamais les culs-blancs essaient de s’infiltrer, en profitant de la nuit. Après, tu pourras tringler tout ce qui se présentera, j’en ai rien à foutre.

— Voilà ce que j’appelle parler ! fit Lacey avec un grand sourire.

Avec la nuit vinrent les cris. Des cris de douleur et de terreur dont les rues, ces canyons, répercutaient les échos. David et Bahjat essayaient de voir ce qui se passait mais, dans l’obscurité, ils ne distinguaient rien sinon, parfois, une silhouette fugitive.

— Les prises de guerre, murmura David. Écoutez, enchaîna-t-il comme Bahjat gardait le silence. Si vous pensez que vous serez plus en sécurité ici avec vos camarades, vous n’avez qu’à rester. Mais moi, il faut que je m’en aille. Et j’aimerais que vous veniez avec moi.

Elle secoua la tête.

— Non. Pas avant que vous sachiez où vous irez et comment y aller.

— Vous préférez prendre le risque de ne pas bouger de l’hôtel ?

— Oui.

David alla jusqu’à la porte. Il empoigna même le bouton terni et encrassé, mais il se ravisa et revint auprès de Bahjat.

— Eh bien, non. Vous ne resterez pas là. Vous m’accompagnerez, que ça vous plaise ou non.

Les yeux de la jeune femme s’écarquillèrent.

— À vous entendre, on pourrait croire que je suis votre prisonnière.

— Vous n’êtes pas ma prisonnière mais vous allez venir avec moi. Je ne vous abandonnerai pas ici.

Il fit un pas dans sa direction mais Bahjat sortit un petit pistolet plat de son sac posé sur la table de chevet qui aurait eu besoin d’un bon coup de chiffon.

David s’approcha d’elle à la toucher.

— Vous ne tirerez pas. Et je ne peux pas vous laisser avec ces forcenés. C’est trop dangereux.

— Je n’irai pas avec vous.

Sans plus de façon, il lui confisqua le pistolet, le glissa dans sa ceinture, puis il la prit par les épaules, l’embrassa et la souleva.

— Je vous ai déjà portée. Je peux recommencer.

— Lâchez-moi ! cria-t-elle en se débattant.

Mais David lui fit le coup du pompier — il la balança en travers de son épaule.

— Écoutez-moi, mon petit. Je suis plus grand que vous, beaucoup plus costaud… et encore plus têtu.

— Si vous vous figurez que vous allez me transbahuter comme un paquet de linge sale, vous vous trompez. (Bahjat ne put s’empêcher d’éclater de rire.) Ne soyez pas aussi stupide.

— Vous allez venir avec moi sur vos pieds ou comme un paquet de linge sale. À vous de choisir.

— Je vous dis de me lâcher !

— Vous viendrez ?

— Oui.

Il lui rendit sa liberté de mouvement.

— C’est vrai ?

Elle le contempla un moment en silence. Un nouveau hurlement déchira la nuit. Un cri de femme, il n’y avait pas à s’y tromper. Bahjat frissonna.

— S’ils nous capturent…

— N’importe quoi vaut mieux que d’attendre qu’ils nous tombent dessus.

— Vous vous trompez.

— Je ne peux pas rester là à me tourner les pouces.

— Eh bien d’accord, allons-y, murmura Bahjat avec un imperceptible hochement de tête.

Ils avancèrent précautionneusement sur le palier obscur et descendirent à pas de loup l’escalier qui débouchait sur le hall illuminé de l’hôtel. Ils apercevaient une foule de gens — des garçons et des filles, le fusil en bandoulière, assis par groupes, exténués, ou qui parlaient à voix basse avec animation, des corps allongés. Il flottait une odeur composite de tabac, de sueur, de marijuana et de peur.

Mais David remarqua autre chose.

— Regardez, chuchota-t-il à l’oreille de Bahjat, tapie dans l’ombre de l’escalier. Au balcon. Ce n’est pas un téléphone ?

Elle confirma d’un signe du menton.

— Je me demande s’il marche encore.

— Qu’est-ce que vous voulez faire ? lui demanda-t-elle dans un souffle. Appeler un taxi ?

Sans répondre, David se leva et escalada la volée de marches conduisant à la galerie supérieure. Bahjat lui emboîta le pas.

C’est bon. Personne ne fait attention à nous. Nous avons tous les deux l’épiderme assez foncé pour qu’ils n’y voient que du feu. Et, d’ailleurs, c’est l’illustre Shéhérazade, elle est avec eux, elle fait partie de leur galerie de héros. Il n’empêche que David avait les genoux en coton.

Le téléphone marchait et il demanda le service des renseignements. L’annuaire électronique. Pendant que Bahjat, accoudée à la rampe du balcon, surveillait l’escalier et le hall, il consulta le plan de New York pour tenter de trouver une voie d’évasion — les rues, le réseau du métropolitain, les égouts, les canalisations.