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Et ce fut l’idée géniale ! Il demanda à l’ordinateur une vue en gros plan des gaines de service du secteur Cinquième Avenue-Central Park sud. La machine, qui avait depuis de longues années l’habitude de se faire interpeller en anglais vernaculaire ou en espagnol par une population largement illettrée, obtempéra avec une rapidité et une précision tout électroniques. Quelques minutes plus tard, David avait toutes les informations dont il avait besoin. Il raccrocha et rejoignit Bahjat.

— Tout va bien, lui annonça-t-il. Je sais comment faire pour sortir d’ici et où aller.

La jeune femme haussa un sourcil interrogateur.

— Il y a une marina pleine de petits bateaux sur l’East River. On peut la rejoindre en passant par les gaines téléphoniques souterraines.

— Il est probable que vos bateaux ont déjà été détruits, rétorqua Bahjat.

— Peut-être mais, même dans ce cas, on trouvera bien un endroit où nous cacher pendant deux jours. Et je parie tout ce que vous voulez qu’il y aura plus d’une embarcation en état de naviguer.

Cela leur prit des heures.

À l’origine, les tunnels de visite avaient été conçus pour que les agents des services d’entretien puissent se tenir debout quand ils travaillaient sur les lignes. Mais celles-ci s’étaient multipliées depuis des décennies et avaient peu à peu grignoté l’espace libre aménagé à l’intention des interventions humaines.

Une torche électrique à la main, David avançait en rampant dans l’étroite gaine. Les câbles contre lesquels son dos frottait et qui s’étiraient à un centimètre, à peine, de ses yeux, étaient incrustés d’une sorte de cambouis gras que des années d’abandon avaient épaissi. Ayant réussi à se glisser dans une section particulièrement resserrée, il braqua sa lampe sur Bahjat. Celle-ci eut moins de peine à s’introduire dans le goulet mais ses joues étaient noires et sa robe maculée.

— Vous êtes sûr que nous sommes dans la bonne direction ? demanda-t-elle en s’arrêtant pour reprendre son souffle.

David opina.

— D’après les cartes que m’a montrées l’ordinateur, nous ne devrions pas être très loin de la rivière, à présent.

Mais les diagrammes que lui avait fait voir la machine, avec leur lacis de lignes bleues, nettes et précises, n’avaient guère de rapport avec ces galeries obscures et encrassées où régnait une odeur fétide. En plus, d’après les cartes, il y avait tous les cinquante mètres un fléchage correspondant à un code couleur. Mais l’épaisse couche de poussière agglomérée qui s’était déposée sur les parois avait fait disparaître ces jalons depuis belle lurette.

— C’est par là.

David, ignorant le tunnel latéral qui s’ouvrait sur leur droite, continua d’avancer dans la galerie principale et Bahjat le suivit. Sa torche projetait une pâle flaque de lumière quelques mètres en avant et son reflet éclairait le visage barbouillé de la jeune fille.

— On a déjà fait des trajets moins pénibles, hein ?

Bahjat ne sourit même pas.

— C’est encore préférable aux rues.

— Le fait est !

Soudain, Bahjat l’empoigna par le bras.

— J’entends quelque chose… derrière.

David fit halte. Les câbles pendaient si bas qu’il devait se plier en deux et il éprouvait une pénible impression de claustrophobie. En effet, il perçut un bruit. Une sorte de grattement.

— Est-ce que c’est quelqu’un qui nous suit ? murmura-t-il.

— Éteignez votre lampe.

David obéit et les ténèbres s’abattirent sur le couple comme une chape étouffante. David avait une sensation d’humidité comme si quelque chose de glacé suintait des parois de la galerie. Nous devons être tout près de la rivière.

Ces grattements accompagnés d’espèces de gazouillements se rapprochaient mais David était incapable de dire si cela venait de derrière ou de devant — ou des deux directions à la fois.

Au cri que poussa Bahjat, il ralluma sa torche. Une nuée de créatures au pelage beige se dispersa en pépiant pour fuir la lumière éblouissante.

— Des rats ! hoqueta Bahjat en s’accrochant à son compagnon.

— Ces tunnels en sont pleins.

Les petits yeux rouges étincelants de hargne des rongeurs convergeaient vers eux au-delà du pâle cercle de lumière de la torche.

— Il y en a aussi devant, dit Bahjat d’une voix suraiguë et tremblante.

— Mais ils ont peur de la lumière.

— Pour combien de temps ?

— Venez. Il ne sert à rien de faire le poireau.

Et il tira Bahjat en avant.

La torche révélait une masse presque solide de pelages puants. Il y avait des centaines, peut-être des milliers de rats qui poussaient des glapissements perçants. Quand il braqua la lampe derrière Bahjat, terrorisée, il distingua une autre horde qui recula, aveuglée.

Ils reprirent leur progression, minuscule îlot lumineux au milieu d’une mer obscure constellée de maléfiques petits yeux de braise qui se rapprochaient un peu plus à mesure que le couple avançait.

La lampe faiblit, se dit David. Non, se dit-il, c’est mon imagination. Cependant, il sortit le pistolet de sa ceinture.

— C’est encore loin ? s’enquit Bahjat.

Il réfléchit quelques instants avant de répondre.

— On va prendre la prochaine échelle. Nous devrions être suffisamment près de la rivière.

La lumière faiblissait, il n’y avait pas d’erreur. Dans l’obscurité, les prunelles rouges qui les cernaient se faisaient plus compactes. Les rats qui couinaient s’enhardissaient.

Soudain, il vit l’échelle devant lui. Les barreaux en étaient gras et glissants mais c’était néanmoins un spectacle radieux. David pointa sa lampe mourante vers le haut. L’ascension serait longue.

Quelque chose heurta sa cheville et lorsqu’il sauta en arrière, il entra en collision avec Bahjat et faillit lâcher la torche.

— Pardon, bredouilla-t-il.

Bahjat empoigna un échelon.

— Tenez, lui dit-il, prenez la lampe et dirigez-la vers le haut pour ne pas avoir de mauvaises surprises.

— Mais vous…

— Faites ce que je vous dis, l’interrompit-il en lui fourrant d’autorité la torche dans la main. Je vous suis. Je resterai collé à vos talons.

Les lèvres de Bahjat n’étaient plus qu’un fil exsangue. Elle était terrorisée. Elle commença à grimper. David, pistolet au poing, lui emboîta le pas. Quand il regarda vers le bas, il vit grouiller une galaxie d’yeux rouges.

Il dut faire de la haute voltige pour passer en tête quand ils atteignirent le couvercle du trou d’homme où aboutissait l’échelle. La jeune fille l’éclaira tandis qu’il s’arc-boutait pour soulever le lourde plaque de fonte. Finalement, elle céda et après quelques efforts supplémentaires pour la dégager entièrement, ils émergèrent à l’air libre.

La caresse de la brise nocturne sur leurs visages était un délice. David respira un grand coup et ce fut seulement alors qu’il se rendit compte qu’il empestait. Entre deux entrepôts en ruine, deux carcasses sans toit dévorées par le feu, il apercevait l’Hudson. À la lueur falote de la lune, le fleuve avait l’air visqueux, délétère et vaguement menaçant. Je ne voudrais pas me baigner là-dedans, songea le jeune homme.

Ils se faufilèrent entre les monceaux de détritus empilés entre les entrepôts. Il ne restait plus le moindre morceau de vitre aux fenêtres des deux bâtiments. Le sol était, en revanche, jonché d’éclats de verre mêlés à des ordures, à des bouts de ferraille, à des fragments de machines et à des ossements. David vit une créature de la taille d’un terrier se couler entre les pans d’ombre. Encore des rats.