Elle se serra davantage contre lui et sourit.
— Racontez-moi.
David acquiesça.
— C’est une longue histoire. Et je ne peux pas entrer dans tous les détails.
Il leva la tête vers le laboratoire. C’était un bâtiment bas d’un seul étage, strictement fonctionnel. Aucun élément décoratif ne venait orner sa façade nue démunie de fenêtres. Sur le toit en terrasse, une manche à air jaune pendait mollement au bout de son mât. David en conclut que c’était une aire d’atterrissage pour hélicoptères.
Evelyn parlait de Hamoud et de l’organisation internationale du F.R.P. tandis que le groupe entrait et se dirigeait vers la grande salle centrale où de longues tables étaient alignées géométriquement. C’était la cafétéria. Au fond, il y avait d’étincelants comptoirs chromés, des plateaux, des plats chauds, des machines expresso, des grils. Une immense baie vitrée occupant toute la surface d’un mur donnait sur le paysage gris, poisseux de crachin, des arbres dénudés et un parking quasiment vide.
Leo et Hamoud étaient dans un coin en compagnie de Bahjat. À côté du géant noir, l’Arabe basané paraissait rabougri et Shéhérazade, coincée entre les deux hommes, avait l’air d’une gamine. David se rendit rapidement compte que Leo et Hamoud était en désaccord sur quelque chose.
Une bataille pour le pouvoir ? s’interrogea-t-il en s’installant à une table. Evelyn s’absenta. Quelques instants plus tard, elle revint avec des sandwiches rassis et du café synthétique tiédasse. David se jeta voracement sur ces nourritures sans cesser, cependant, d’observer Leo et Hamoud.
— L’Arabe… c’est celui qu’on appelle Tigre ?
— Oui, répondit Evelyn. Son vrai nom est Hamoud. Et il n’est pas arabe, c’est un Kurde.
Leo commande le secteur mais Hamoud occupe un rang plus élevé dans la hiérarchie du F.R.P. sur le plan international. Il se considère comme le patron.
— Méfiez-vous de lui, ajouta Evelyn à voix basse. Il aime tuer.
David opina. Il se retourna et compta les gens qui remplissaient la cafétéria, les uns assis, les autres debout. On dirait qu’il y a plus de Hamoud que de Leo. La suite ne va pas manquer d’intérêt.
Il s’aperçut soudain que c’était Bahjat qui avait la parole, maintenant. Les deux hommes l’écoutaient en silence et il ne put s’empêcher de sourire. Finalement, c’est elle qui va être le patron ! C’était curieux mais cela ne l’étonnait pas.
Tandis qu’il continuait de mastiquer les sandwiches spongieux, la conférence à trois prit fin. Quand Bahjat s’éloigna en compagnie de Hamoud, David ressentit comme une brûlure intérieure. Mais Leo s’approcha de lui, pareil à une noire et majestueuse montagne en marche.
— Bon ! On va trouver un coin tranquille où tu pourras poser tes fesses, l’homme de l’espace.
Evelyn se leva.
— Je vous rejoindrai plus tard.
David secoua la tête et emboîta le pas à Leo.
Ce n’est pas si mal que ça, se dit finalement David après s’être douché et rasé. Il y a quand même sur la Terre des gens qui se la coulent douce.
Plusieurs studios étaient installés au premier étage. Pour qui et pourquoi ils avaient été aménagés, cela demeurait un mystère mais ils étaient confortables et rien ne manquait : une salle de bains avec tout ce qu’il fallait comme savon et accessoires de rasage, un miniréfrigérateur-congélateur garni de plats surgelés, une cuisinière à micro-ondes et même un poste de télé.
On frappa à la porte. En quatre enjambées, David se rua dessus. Mais la poignée refusa d’obéir à sa sollicitation. Ils m’ont enfermé.
— Qui est là ? appela-t-il.
— Evelyn.
— La porte est bouclée.
Une clé cliqueta dans la serrure et le battant s’ouvrit. Le porte-clés était un adolescent au type arabe. Et il avait une carabine au poing. Evelyn avait les mains vides.
David alla prendre sa chemise qu’il avait jetée sur le lit et l’enfila.
— J’ai pensé que vous aimeriez descendre à la cafétéria pour dîner, lui dit la jeune fille en souriant. On vient de livrer un wagon de pizzas et de bière.
— Pourquoi ne pas dîner ici ? rétorqua David en enfonçant sa chemise dans son pantalon. Il y a tout ce qu’il faut dans le congélateur. Nous serions plus tranquilles.
Le garde referma la porte sans attendre la réponse d’Evelyn et la clé ferrailla à nouveau.
— Eh bien, voilà qui règle la question ! s’exclama Evelyn en riant.
Elle portait une robe vert pâle, toute simple, qui mettait admirablement son teint en valeur. Elle étudia attentivement David comme si elle le voyait pour la première fois.
— Vous êtes davantage vous-même, conclut-elle après cet examen.
Machinalement, David se frotta le menton.
— Vous voulez dire… oui, je me suis rasé.
— Et votre peau et vos cheveux ont retrouvé leur couleur naturelle… presque.
— Je me suis débarrassé de la teinture. Je pense que je n’ai plus besoin de me déguiser, maintenant.
— Mais vous avez maigri. Vous paraissez, plus… dur.
— Oui, sans doute. (David indiqua du geste l’unique chaise à côté de la fenêtre.) Asseyez-vous et admirez le coucher de soleil pendant que je joue les cordons bleus.
— C’est comme au bon vieux temps sur Île Un, commenta Evelyn en s’asseyant.
— Le bon vieux temps, répéta David en écho.
— Il s’est passé pas mal de choses depuis.
— Comme vous dites ! approuva-t-il avec chaleur.
Elle se tourna vers lui.
— Racontez-moi. Je veux tout savoir.
— Bien sûr, fit David tout en essayant de faire le tri entre ce qu’il pouvait lui dire et ce qu’il ne pouvait pas lui dire.
— Mais expliquez-moi comment le F.R.P. s’y est pris pour faire de ce laboratoire de recherches son quartier général local, lui demanda-t-il afin de gagner du temps. Quel est le degré d’organisation de ces gens ? Et que comptent-ils faire de nous ?
— J’ignore quels sont les plans de Hamoud dans l’immédiat. Et je doute qu’il le sache lui-même. Tout ce que je sais, c’est que ce sera quelque chose de plus ambitieux et plus spectaculaire encore que l’offensive urbaine de Leo.
— Plus sanglant, voulez-vous dire, laissa tomber David qui s’affairait dans la minuscule kitchenette incorporée.
— Très vraisemblablement. Hamoud adorerait occuper la une des journaux et il estime que Leo et Shéhérazade ont monopolisé toute la publicité. Il en veut sa part.
— Dieu nous protège !
— Vous m’enlevez les mots de la bouche. C’est un tueur-né.
— J’ai l’impression que ce labo fait partie de l’appareil mis en place par Leo.
— En effet. Il lui fournissait les drogues dont il a besoin.
— Des stupéfiants ?
Evelyn hocha négativement la tête.
— Non. Des hormones, des stéroïdes. Je ne sais pas quoi au juste mais il s’agit de produits qu’il utilise depuis le lycée pour conserver sa taille et sa force. Maintenant, ils lui sont indispensables pour vivre. Sans eux, il ne tiendrait pas le coup.
— C’est donc pour ça que nous sommes là.
— Seulement, il y a un cheveu dans la soupe. Le laboratoire a été fermé et on a pris soin de déménager les drogues de Leo. Tout a été enlevé… délibérément.
David glissa deux dîners congelés dans le four à micro-ondes dont il rabattit la porte.
— Il s’est fait posséder.
Evelyn approuva du chef.
— C’est un assassinat. Sans elles, il est condamné à mort.