David fit mine de se lever mais elle pivota sur elle-même et sortit en trombe. Le garde arabe de faction à l’extérieur referma la porte en ricanant et donna un tour de clé.
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La violence qui s’est déchaînée aux États-Unis et dans d’autres pays a déchiré le cœur de tous ceux, hommes et femmes, qui ont une conscience. Moi, El Libertador, je prétends être un révolutionnaire. Mais cette violence qui a embrasé les villes de l’Amérique du Nord est allée au-delà de la révolution. Elle ne peut déboucher que sur de nouvelles effusions de sang et sur le chaos. C’est pourquoi je me désolidarise de ce mouvement et j’appelle toutes organisations authentiquement révolutionnaires du monde entier à désavouer cette stratégie absurde et meurtrière.
Déclarons le moratoire de la violence ! Assez de meurtres. L’heure de la réconciliation a sonné.
Afin de contribuer à mettre un terme à la violence et au terrorisme qui ne font que s’intensifier d’un bout à l’autre de la planète, je me déclare prêt à rencontrer les nouveaux dirigeants du Gouvernement mondial à l’endroit de leur choix pour rechercher avec eux le moyen de ramener la paix dans le monde et de redresser les injustices qui ont, partout, été à l’origine des mouvements révolutionnaires.
Nous sommes devant un choix : des négociations pacifiques ou la guerre civile généralisée, la réconciliation ou le chaos. Moi, El Libertador, je déclare renoncer dorénavant à l’emploi de la violence. Luttons pour une réconciliation pacifique.
Bahjat, tournant le dos à la chambre de David, s’éloignait à grands pas. Elle était folle de rage.
Quelle idiote ! s’apostrophait-elle silencieusement. Et tu t’imaginais que ce qu’il ressentait et ce qu’il racontait quand nous affrontions le danger ensemble venait du fond de son cœur ! Cette Anglaise, il la connaissait avant de venir sur la Terre. Comment aurait-il pu aimer une Arabe, une activiste dont il était le prisonnier, une femme qui lui avait avoué avoir eu d’autres amants avant lui.
La cafétéria était déserte, la télévision éteinte. Bahjat fronça les sourcils. Qu’est-ce que cela veut dire ? Où sont-ils tous passés ?
— A h ! Shéhérazade… te « voilà !
Elle se retourna. C’était une des jeunes Noires de la branche locale du F.R.P. qui l’avait interpellée. Visiblement effrayée, elle s’efforçait de retrouver sa respiration mais elle était néanmoins assez maîtresse d’elle-même pour dire ce qu’elle avait à dire :
— Leo et Tigre… ils se sont disputés… c’était terrible. Tout le monde s’est éclipsé pour ne pas être mêlé à leur bagarre. Tu devrais aller les calmer.
— Où sont-ils ?
La jeune fille désigna du doigt un couloir bordé d’une enfilade de bureaux.
Bahjat entendit la voix tonitruante de Leo et celle, sifflante et hachée de Hamoud, avant même de comprendre les paroles.
Ils étaient dans un grand bureau. Un bloc de travail ultramoderne en demi-lune trônait dans un coin devant une fenêtre masquée par une tenture. La quasi totalité de l’espace disponible était occupée par une table de conférence ronde mais personne n’y était assis. Leo allait et venait devant la bibliothèque murale avec la nervosité du fauve dont il portait le nom. Hamoud, planté en face du tableau vert, vaguement ridicule dans sa pseudo-tenue de joueur de football, débordait de colère et d’entêtement. Deux de ses gardes du corps, manifestement tendus, bloquaient la porte et Bahjat dut les bousculer pour entrer.
— J’ai absolument besoin de ces stéroïdes, mec ! vociférait Leo. Autant que de nourriture ou d’air ! Sans eux, je me désintègre. Mon organisme fout le camp. Si je ne les ai pas dans deux jours, mon cœur lâchera et je claquerai.
Derrière sa barbe, l’expression de Hamoud était aussi butée que d’habitude.
— Il n’est pas question que je te donne des hommes et des armes pour tenter un coup de main sur le spatiodrome Kennedy. Ce serait de la folie — surtout que la police et la milice locales n’ont pas digéré ton offensive.
— Mes bonshommes se font tuer par milliers pour livrer ta bataille ! rétorqua Leo d’une voix tonnante. Maintenant, j’ai besoin d’aide…
Hamoud l’interrompit sur un ton tranchant :
— Une mission suicide, c’est une stupidité.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Bahjat en avançant jusqu’au milieu de la pièce.
— Il réclame je ne sais quelles drogues, répondit Hamoud avec un geste rageur en direction de Leo.
— Pour rester en vie. Pas des stups. Des stéroïdes, des enzymes et d’autres trucs qui permettent à mon corps de fonctionner. J’en prends depuis l’époque où j’étais champion universitaire de football.
— Et il veut qu’on lance un raid sur le spatioport Kennedy pour les lui chercher !
— Écoute, Shéhérazade, expliqua Leo, un ton plus bas. Ils me la fabriquaient dans ce labo, ma came. C’est pour ça que j’avais prévu de m’y replier. Mais Garrison m’a doublé. Il a planqué la marchandise à Kennedy.
— Pourquoi au spatioport ?
— Parce qu’il veut l’expédier sur Île Un. Si ça se trouve, elle est déjà partie, va-t’en savoir !
— Raison de plus pour ne pas mettre les pieds là-bas, insista Hamoud. C’est un piège tendu pour nous capturer.
— Il me faut ma came !
— Attends un peu, dit Bahjat. Ton Garrison… c’est celui des Entreprises Garrison ?
Leo confirma d’un coup de menton.
— Et il est aussi copropriétaire d’Île Un, ajouta Hamoud. Ils sont cinq.
— Parmi lesquels l’émir al-Hachémi.
Bahjat avait failli dire mon père mais elle s’était reprise au dernier moment.
— Oui, l’émir aussi est dans le coup.
— Ils se sont installés sur Île Un tous les cinq, enchaîna Leo.
— Tous les cinq ? Y compris al-Hachémi ?
Hamoud hocha affirmativement la tête.
Brusquement, un plan avait germé dans l’esprit de Bahjat. Lumineux.
— Dans ce cas, nous allons nous rendre sur Île Un nous aussi.
— Quoi ? s’exclama Leo en ouvrant la bouche avec stupéfaction.
— Vous ne voyez donc pas que tout se tient parfaitement ?
Hamoud s’approcha d’elle à pas lents.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Île Un contrôle les satellites solaires. Qui contrôle Île Un contrôle toute l’énergie que les satellites fournissent à la Terre.
— Presque toute l’Europe dépend de l’énergie solaire, fit Leo en écarquillant les yeux.
— Et la majeure partie de l’Amérique du Nord… sans compter le Japon, renchérit Bahjat.
— En détruisant Île Un, on détruirait tout le système de distribution d’énergie ! s’écria Hamoud, exultant.
— Nous ne la détruirons pas, répliqua-t-elle sur un ton ferme. Nous nous en emparerons et nous nous emparerons en même temps des cinq hommes les plus riches et les plus puissants du monde. Quels otages ! Vous vous rendez compte ?
— Et ils ont mes stéroïdes, là-haut.
— Si nous capturons Île Un, continua Bahjat, il suffira d’une chiquenaude pour renverser le Gouvernement mondial. La révolution triomphera et nous instaurerons un nouvel ordre mondial.
— Et ce sera nous qui serons au pouvoir, laissa tomber Hamoud en serrant les poings.