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— Je vous aime, Bahjat, mais je n’ai pas confiance en vous.

Bahjat, les yeux embués, sentit la fureur monter en elle. Hâve, meurtri par les coups, David était vidé de ses forces et impuissant — et cependant indompté.

Délibérément et non sans effort, elle croisa ses mains derrière son dos pour ne pas céder à la tentation de le caresser, de soigner ses plaies, de le détacher et de l’aider à recouvrer la liberté.

Préférant garder le silence, elle se retourna abruptement et sortit en hâte. Ne le regarde pas ! Ce fut néanmoins ce qu’elle fit en ouvrant la porte. La tête de David était retombée sur sa poitrine. Il paraissait dormir.

Hamoud attendait dans le couloir. La vive clarté qui tombait des fenêtres fit grimacer Bahjat au sortir de la pénombre qui régnait dans la cellule et elle battit des paupières.

— Il ne s’est pas endormi, j’espère ? demanda Hamoud en jetant un coup d’œil à l’intérieur avant que la porte se referme. Il ne le faut en aucun cas.

— Non, il ne dort pas, mentit Bahjat. Il cherche seulement à se protéger de la lampe.

— Il ne va pas tarder à craquer, laissa tomber Hamoud sur un ton satisfait. Les gars ont déniché une trousse bourrée de scopolamine et de pas mal d’autres choses. Ils l’ont piquée à l’hôpital du coin. On va lui en filer une telle quantité qu’il fera des bonds jusqu’au plafond.

— Tâche seulement de ne pas le tuer avant qu’il nous ait dit ce que nous avons besoin de savoir, répliqua sèchement Bahjat.

— On n’aurait pas été forcé d’employer cette méthode si tu nous avais laissés charcuter un peu l’Anglaise. Après qu’elle aurait poussé quelques piaillements, il aurait parlé.

Bahjat secoua la tête.

— Non. J’en ai maintenant l’absolue conviction : elle n’est pour rien dans son évasion. Et il se moque éperdument d’elle.

Ils ne sont pas amants !

— Il ne l’aurait pas laissée souffrir. Ce n’est pas son genre.

— Son genre, c’est de refuser de nous dire quoi que ce soit qui risquerait de mettre son Île Un bien-aimée en danger, riposta rageusement Bahjat. Pas de son plein gré. Pas consciemment. Et puis… j’ai eu l’impression que l’Anglaise ne te laissait pas indifférent. Qu’elle faisait partie de ton harem.

Hamoud haussa les épaules.

— Ce ne sont pas les femmes qui manquent.

— Si tu as les drogues qui conviennent, sers-t’en, conclut Bahjat avec un soupir. Mais fais attention.

— C’est entendu, ricana-t-il. J’écoute et j’obéis, ô puissante Shéhérazade.

— Et veille à ne pas le tuer.

— Bien sûr.

Hamoud fit une révérence ironique tout en ajoutant in petto : Pas avant qu’il n’ait parlé.

LIVRE V

DÉCEMBRE 2008

Population mondiale : 7,34 milliards d’habitants.

36

Île Un n’est pas le paradis mais il ne s’en faut pas de beaucoup ! Les gens sont sympas — la plupart, en tout cas. L’administration nous a affecté un bel appartement spacieux dans un bâtiment proche des fermes. Et quand on aura gagné assez de crédit, on pourra avoir notre maison à nous. Ruth travaille dans un laboratoire de recherches et moi, je suis dans les champs tous les matins. Je suis content que son labo soit dans le maître cylindre parce que ça ne me plairait pas du tout qu’elle soit forcée de sortir tous les jours et soit exposée aux radiations. Nous envisageons d’avoir des enfants et ils ont beau affirmer qu’il n’y a pas de danger, je ne veux pas qu’elle prenne de risques.

Les fermes sont si automatisées que je n’ai pas grand-chose à faire. Je ne manque pas de loisirs. Je lis beaucoup plus que ce n’était possible chez nous et nous participons tous les deux à la vie associative. Je me documente sur la ceinture des astéroïdes comme le Dr Cobb m’a conseillé de le faire. J’ai l’impression qu’un de ces jours, on assistera à une nouvelle ruée vers l’or, là-bas. Mais quand ?J’ai appelé papa et maman et je leur ai dit de prendre leurs dispositions pour venir passer Noël ici. Avec nos deux payes, je peux leur offrir le voyage. L’année prochaine, on invitera mes beaux-parents.

Journal intime de William Palmquist.

David émergea péniblement de la nappe de brume grise et froide qui l’enveloppait de toute part. Il ne voyait rien, il ne sentait rien excepté une humidité glaciale qui s’infiltrait à travers les pores. Il était frigorifié jusqu’à la moelle des os.

Cependant, il pouvait entendre. Il percevait vaguement des voix lointaines, très lointaines, au-delà de la masse de brouillard où il était englué. Elles disaient des choses importantes. À propos de lui. Des choses terriblement importantes.

Mais il faisait trop froid. Dors. Dors. Oublie tout et dors. Tu mérites de te reposer, de dormir. Merveilleux ! Tu as besoin de sommeil après tout ce que tu as enduré.

Après tout ce que tu as enduré. La pensée éveillait des échos dans son esprit. Cela avait quelque chose à voir avec ce que disaient les voix. Elles parlaient de la vie et de la mort. De la vie et de la mort de David.

Il frissonna et gémit, bandant toute sa volonté pour essayer de s’arracher à cette brume omniprésente. Il était aveugle, impuissant. Néanmoins… il sentait quelque chose. Des vibrations qui lui agaçaient la colonne vertébrale et les mollets. Ses doigts étaient crispés sur quelque chose qui était à la fois doux et solide.

Il se rendit progressivement compte qu’il était couché sur une sorte de chaise longue. Presque horizontale. Et cette trépidation ressemblait au sourd grondement d’une fusée qui décolle.

Il comprit brusquement : Nous sommes dans une navette. Nous partons pour Île Un.

Il avait toujours atrocement froid et il était toujours aveugle. Mais l’effet des doses massives de drogue qu’on lui avait administrées commençait à s’estomper. Son organisme récupérait plus vite que ses ravisseurs ne l’avaient cru possible.

David ne bougeait pas un muscle et il gardait les yeux fermés mais son sens tactile lui disait tout ce qu’il avait besoin de savoir. La courroie de sécurité d’un siège de navette lui comprimait la poitrine. Ses poignets étaient attachés aux accoudoirs. Il avait une espèce de cagoule sur la tête. Il sentait le contact du tissu sur son nez, sur son menton, sur ses oreilles. L’étoffe filtrait sa respiration sifflante. Elle dégageait une odeur de sueur.

C’est ma propre sueur. Je baigne dans mon jus. C’est pour ça que j’ai froid. Les drogues s’éliminent. Mon organisme les brûle.

Le grondement mourut et les trépidations disparurent. D’un seul coup, David eut l’impression de ne plus avoir de poids, de flotter, de tomber en chute libre. Son estomac vide se contracta, mais il lutta et la nausée s’effaça presque instantanément. Alors, il se relaxa et se concentra sur les voix qui lui parvenaient.

Il comprenait maintenant ce qu’elles disaient et il identifia celui qui parlait.

— C’est idiot de le laisser en vie, disait Hamoud dans un chuchotement. Quand nous serons sur Île Un, il sera plus encombrant qu’autre chose.

— Shéhérazade a dit qu’il sera utile là-haut, répondit Leo dans un feulement assourdi.

— Il nous a donné toutes les informations dont nous avons besoin.

— J’en sais rien. La colonie spatiale est grande et drôlement compliquée. Peut-être qu’il nous faudra d’autres tuyaux.