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— Il connaît trop bien Île Un, gronda Hamoud. Il constituera un danger. Il essaiera de nous échapper, de nous mettre des bâtons dans les roues.

C’est ce que j’ai déjà commencé à faire, approuva intérieurement David.

— Écoute voir. Shéhérazade dit qu’on aura besoin de ce mec pour mettre le grappin sur Île Un. Si t’as des objections, adresse-toi à elle.

— Si c’est elle qui te fait peur… (Il y eut un bruissement d’étoffe froissée comme si Hamoud plongeait la main dans une poche ou dans les plis d’une gandoura.) Je peux lui faire encore une piqûre. Elle n’en saura jamais rien. Il mourra d’une overdose, voilà tout.

David voyait en imagination l’aérosol hypodermique. Il avait largement eu le temps de faire sa connaissance pendant l’interrogatoire.

— Personne ne me fait peur, riposta Leo, mais sa méthode est plus intelligente que la tienne.

— Elle est amoureuse de lui, grommela Hamoud. C’est une femme et c’est avec ses glandes qu’elle pense, pas avec sa tête.

— Ouais ? Eh bien, moi, je pense avec ma tête et je trouve qu’elle est plus maligne que toi.

— Bah !

David entendit le cliquetis d’une boucle de ceinture de sécurité que l’on détachait et devina que Hamoud dérivait vers lui. Son odeur lui parvenait, il percevait sa respiration. Il sentait presque la masse dure de la seringue en plastique entre les mains de l’Arabe.

Un halètement étranglé… Puis la voix de Leo :

— Laisse-le tranquille ou je te pète le bras.

La présence de Hamoud s’éloigna. David imaginait sans peine les battoirs gigantesques de Leo emprisonnant le poignet de Hamoud. La seringue se brisa avec un claquement sec.

— T’as pas l’air en forme, reprit le Noir. T’as déjà eu l’expérience de la gravité nulle ?

— Non.

La voix maussade de Hamoud évoquait une nuée d’orage.

— T’aurais intérêt à te magner le cul et à aller aux toilettes. T’es vert.

Pendant quelques instants, ce fut le silence. Mais David devinait que le colosse noir était planté devant lui.

— Merci.

— T’es réveillé ?

— J’ai tout entendu. Merci.

Leo se rapprocha et murmura :

— Ferme ta grande gueule, cul-blanc. Crois surtout pas que je t’ai fait une faveur.

— C’est la seconde fois que vous auriez pu me tuer et que vous ne l’avez pas fait.

— Arrête tes conneries. J’ai jamais tué personne. Donner des ordres, c’est une chose, mais agir soi-même… non, j’ai jamais tué personne.

David enregistra l’information.

— Vous avez déjà voyagé sous gravité nulle ?

— Rien qu’une fois. Y a longtemps. C’était quand je jouais encore au foot. Toute l’équipe est allée sur Alpha pour une démonstration publicitaire. Maintenant, tiens-toi peinard et fais comme si t’étais toujours dans le cirage. Il a tellement la trouille de toi, Hamoud, que s’il savait que tu es réveillé, il te buterait à la première occasion.

— Merci encore.

David s’abandonna à sa couchette et se laissa avec soulagement sombrer dans le sommeil. Il était en sécurité pour le moment. C’était comme si un très gros lion veillait sur lui.

Cyrus Cobb se gratta le cou avec agacement. Ce fichu col roulé l’étranglait. Et ces foutus diplomates se livraient à leur petit ballet puéril pendant que tout le monde faisait le pied de grue comme des hallebardiers ahuris !

Le patron d’Île Un était dans le salon d’accueil, un local exigu où, en général, il n’y avait jamais plus de quelques personnes réunies en même temps. Mais, maintenant, il était rempli à craquer, c’était une bousculade de reporters, de cinéastes, de citoyens d’Île Un venus en curieux, d’agents de la sécurité (en uniforme et en civil), de notables et d’une ribambelle de fonctionnaires du Gouvernement mondial et de l’état-major d’El Libertador. Le salon était plein comme un œuf. On ne voyait ni les murs de plastique d’une austérité toute fonctionnelle, ni le carrelage éraflé qui recouvrait le sol. Le seul espace dégagé était l’étroite bande du tapis rouge qu’un des appariteurs envoyés en éclaireurs avait apporté de Messine.

Cobb regretta fugitivement que David ne fût pas avec lui. Il n’est pas mort. On aurait retrouvé son corps. Il a réussi à aller jusqu’à New York et il n’a pas été tué pendant la bataille. Il finira par revenir. Il faut absolument qu’il rentre. Toutes ces palabres ne mèneront à rien tant qu’il ne sera pas revenu pour…

Son récepteur auriculaire crachota.

— Tout est réglé, patron. Bowéto entrera le premier en tant que représentant du Gouvernement mondial. Puis ce sera au tour d’El Libertador.

— Comment ont-ils fait pour parvenir à un accord ? subvocalisa Cobb dont le col roulé dissimulait un micro.

Son interlocuteur émit un petit gloussement.

— Les deux chefs de délégation ont joué à pile ou face.

— Après nous avoir fait poireauter pendant une demi-heure ! Intelligents, ces lascars !

— Ils ne pensaient pas que nos installations étaient aussi primitives. Ils croyaient qu’il y aurait deux salons d’accueil où Bowéto et El Libertador seraient entrés en même temps.

— Ils n’avaient qu’à demander. Nous leur avions dit que nous étions en mesure de réceptionner simultanément deux navettes spatiales. Mais ils n’ont fait allusion ni à ce maudit salon d’accueil ni au sas.

Jamil al-Hachémi, debout à côté de Cobb, ne perdait rien de ce dialogue que lui transmettait fidèlement sa radio miniaturisée mais il avait la tête ailleurs. Enfin, Bahjat est en route. Mais a-t-elle réellement renoncé à ces turlupinades révolutionnaires ? Toutes ces violences l’ont écœurée, prétend-elle. Mais si elle essayait de fomenter un mouvement révolutionnaire ici même ? L’émir faillit éclater de rire. Allons donc ! Cet engouement pour la subversion n’était qu’une réaction enfantine contre moi, tous les psychologues sont unanimes. Je suppose que si elle veut me retrouver, c’est qu’elle a mûri enfin. Il va falloir que je lui déniche un mari. Son front se plissa. Ce sera l’objet de notre prochaine querelle. Un mari.

Pour la centième fois depuis une demi-heure, Cobb se traita de tous les noms. Il n’aurait jamais dû céder aux sollicitations de son entourage et accepter de s’affubler de cette tenue de cérémonie — un chandail à col roulé (qui le grattait), un strict costume noir à revers, s’il vous plaît ! et des bottes au lieu de ses confortables charentaises. Au diable tous ces rites tribaux ! ronchonnait-il. C’est de la barbarie.

Enfin, le tambour de métal du sas s’ouvrit. Un soupir monta de la foule et tout le monde se pressa contre les cordes de velours qui isolaient le tapis rouge. Les magnétophones et les caméras commencèrent à tourner.

Quatre soldats de l’armée mondiale en grande tenue — sabre de parade au côté, le minuscule et mortel pistolaser à la ceinture — apparurent et prirent position de part et d’autre du sas. Puis quatre civils, dont deux femmes, émergèrent à leur tour.

Bowéto, enfin, apparut, les lèvres fendues d’un large sourire destiné au public et aux caméras. Il portait un simple costume beige, une chemise à col ouvert et une grosse médaille en or suspendue à une lourde chaînette se balançait sur son thorax musclé. Quand il se dirigea d’un pas assuré vers Cobb, la main tendue, les applaudissements éclatèrent.

Cob était étonné de constater qu’il était si petit. Lui-même n’était pas particulièrement grand — tout juste un mètre quatre-vingts. Ce fut à ce moment qu’il prit conscience que toutes les photos du nouvel homme fort du G.M. qu’il avait vues, et même les émissions télé en direct, avaient été adroitement composées de manière à donner l’impression que Bowéto était plus grand qu’il ne l’était en réalité. Tous les politiciens ont-ils le complexe de Napoléon ? se demanda-t-il tout en échangeant les politesses de rigueur avec son hôte distingué. Est-ce pour cela qu’ils deviennent des politiciens ?