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Bowéto prit place à la droite du directeur d’Île Un tandis que les gens de sa suite serraient la main de ce dernier, d’al-Hachémi et des autres membres du Directoire. La queue honorifique, songeait Cobb. C’est sûrement César Auguste qui l’a inventée.

Quand l’excitation se fut un peu calmée, le tambour intérieur se referma. Cobb compta mentalement les secondes. À la cent cinquantième précise — le temps qu’il fallait pour le recyclage du sas —, il se rouvrit et quatre soldats d’El Libertador firent leur entrée. Ils portaient un treillis kaki sans signes distinctifs et un automatique noir et miroitant glissé dans son étui était fixé à leur ceinture.

Un cinquième homme apparut, vêtu, lui aussi, d’un treillis sans insigne de grade. Si Cobb n’avait pas déjà vu des portraits d’El Libertador, il n’aurait pas su que cet homme était le chef révolutionnaire qui donnait tant de tintouin au Gouvernement mondial.

Il était plus grand que Bowéto mais pas beaucoup. Ses cheveux et sa barbe argentés lui conféraient un air de dignité. Il serra avec effusion la main de Cobb. Son sourire était chaleureux.

— Mes respects, colonel Villanova.

— Enchanté, docteur Cobb. Merci d’avoir accepté d’être notre hôte.

— Tout le plaisir est pour moi. Je souhaite seulement que cette rencontre soit féconde. (Se tournant légèrement de côté, Cyrus Cobb enchaîna :) Puis-je vous présenter l’honorable conseiller Kowié Bowéto, directeur du Gouvernement mondial par intérim ? Conseiller Bowéto, le colonel César Villanova… connu également, et beaucoup mieux, en fait, sous le nom d’El Libertador, ajouta-t-il en prenant quelque liberté avec le texte de l’allocution de bienvenue préparé par les bureaucrates.

Bowéto réussit presque à dissimuler la grimace qui s’était peinte sur ses traits à l’énoncé de l’infâme sobriquet de Villanova. Se forçant à sourire, il lui étreignit la main, scène que les caméras, tous zooms dehors, enregistrèrent en gros plan.

— Je suis ravi de faire enfin votre connaissance, dit-il.

— C’est un honneur pour moi, répondit Villanova.

Il y a assez de saccharine dans l’air pour nous flanquer à tous le cancer, soupira Cobb dans son for intérieur.

Quelqu’un lui secouait l’épaule. Réveillé en sursaut, David connut un instant de panique en se rendant compte qu’il ne voyait rien. Puis il se rappela la cagoule.

— Est-ce que vous allez bien ?

C’était la voix d’Evelyn.

— Oui, répondit-il après avoir pris une profonde inspiration.

Et c’était la vérité. Il avait l’esprit clair. Il ne grelottait plus de froid. Il fit jouer ses doigts et ses orteils ankylosés. Il se sentait bien, plein de force.

— Mais j’ai une faim de loup.

— Je vais vous apporter quelque chose à manger.

Evelyn s’éloigna. La gravité était toujours nulle. David entendait le léger bourdonnement des climatiseurs et autres équipements électriques. Mais pas la moindre voix.

La journaliste revint.

— J’ai trouvé un berlingot de potage chaud et deux sandwiches, annonça-t-elle.

— Où sommes-nous ?

— À bord d’une navette privée appartenant à al-Hachémi et nous faisons route…

— En direction d’Île Un, je sais. Mais ce n’était pas cela que je vous demandais. Dans quelle partie de la navette nous trouvons-nous ?

— Vous êtes au dernier rang de la cabine. Tous les autres sont à l’avant en train de peaufiner leur stratégie pour s’emparer de la colonie.

— Je leur ai dit tout ce qu’ils voulaient savoir, n’est-ce pas ?

— Je présume. Ils vous ont administré des quantités folles de drogue. On doutait que vous en réchappiez.

— Je ne suis pas encore mort.

— Je crains que l’on ne me permette pas de vous enlever cette cagoule mais je peux la remonter un peu.

David sentit les mains d’Evelyn sur son visage.

— Voilà qui est fait. Maintenant, je vais vous faire manger. En fait, ils se méfient de moi. Ils croient que je vous ai aidé à vous évader, au laboratoire.

— Combien sont-ils ?

— À bord de la navette ? Cinquante-deux en comptant les pilotes. Pourquoi ne vous êtes-vous pas enfui quand vous en aviez la possibilité ?

— Pour les laisser capturer Île Un ? Sûrement pas. J’avais mieux à faire.

— Ils captureront de toute façon la colonie.

— Personne ne se doute sur Île Un que cette navette n’est autre qu’un cheval de Troie ?

Il devina qu’Evelyn hochait la tête.

— Dieu seul sait ce que cette Shéhérazade a raconté à son père. À propos, c’est l’émir al-Hachémi.

— Je suis au courant.

— Oui… évidemment. J’ai l’impression que tout l’empire d’al-Hachémi est infesté de guérilleros à la solde du F.R.P. Shéhérazade a chargé le directeur du spatioport de prévenir son père qu’elle n’était accompagnée que de deux personnes. Al-Hachémi est persuadé que le bâtiment est presque vide. C’est le yacht personnel de sa fille.

— Il ne peut pas être naïf à ce point ! Il doit certainement soupçonner quelque chose.

— Au sujet de sa fille ? (Evelyn ne s’attarda même pas sur cette idée.) Alors que toute son organisation ne fait que lui mentir ? Comment voulez-vous qu’il puisse se douter que l’appareil travaille pour elle et pas pour lui ?

David réfléchit quelques instants. Soudain, il se rappela un détail :

— Comment supportez-vous l’apesanteur ? Elle vous gêne ?

— Terriblement. Je ne m’y habituerai jamais.

— Vous feriez mieux, dans ce cas, de vous étendre sur votre couchette.

Il sentit qu’elle souriait et haussait les épaules.

— Je suis chargée de vous faire manger. Il est très démocratique, ce F.R.P. Shéhérazade ordonne et tout le monde obéit. Sauf Hamoud. Il boude, il ronchonne, et puis il prétend que c’est de lui que viennent les ordres.

— Et il fait ce que Shéhérazade lui dit de faire ?

— Oh oui. Elle est très astucieuse. Elle joue Hamoud contre ce monstre de Leo et tous les deux sont à sa botte.

La pointe du berlingot s’inséra entre les lèvres de David qui aspira. C’était bon, le bouillon chaud qui lui remplissait la bouche.

Quand il eut fini, Evelyn lui donna bouchée par bouchée les petits sandwiches prédécoupés, après quoi il eut droit à une rasade de jus d’orange.

— Merci. C’est mon meilleur repas depuis le dernier dîner que nous avons pris ensemble.

— Vous vous sentez vraiment bien ? Les drogues n’ont pas laissé de séquelles ?

— Je ne crois pas. J’ai été doté d’un métabolisme d’une résistance hors pair.

— Loué soit Dieu !

— Quand atteindrons-nous Île Un ?

— D’ici un jour et demi. Dans un peu plus de trente-six heures. Trente-six heures sous gravité nulle !

— Et ils essaieront alors de s’emparer de la colonie tout entière ?