— Des miroirs solaires, de la génératrice, des quais d’embarquement pour commencer. Puis ils passeront à la phase de la prise d’otages. Les V.I.P.
— Le Dr Cobb ?
— Maintenant Cobb n’est plus que du menu fretin. Hunter Garrison et les autres gros bonnets qui sont propriétaires d’Île Un sont là. Plus El Libertador et le directeur du Gouvernement mondial par intérim qui sont en train de tenir une conférence de paix. La colonie est un repaire de Très Importants Otages.
David garda le silence.
Evelyn caressa sa joue râpeuse et, se penchant, elle lui baisa les lèvres.
— Ne pensez plus à tout cela. Tâchez seulement de rester vivant. Ne faites rien qui puisse les indisposer. Coopérez sinon ils vous tueront. Je vous en supplie, David, restez en vie.
Elle remit la cagoule en place et s’en fut. David s’installa aussi confortablement que possible. Son cerveau tournait à plein régime. Trente-six heures. C’est trop court.
37
Jamais l’idée ne nous était venue qu’Île Un pourrait être capturée par une poignée de terroristes. Oh ! L’hypothèse avait été émise et nous avions même élaboré des plans de précaution pour une éventualité de ce genre lors des conférences de sécurité. Mais c’était comme les plans que préparaient les stratèges français dans les années 30 pour se prémunir contre une invasion allemande. Ils avaient la ligne Maginot qu’aucune armée ne pourrait franchir. Nous savions, nous, que quatre cent mille kilomètres nous séparaient de la Terre et du terroriste le plus proche. Nous n’avions jamais senti avec nos tripes à quel point nous étions vulnérables. Évidemment, le cheik al-Hachémi s’abstenait de nous communiquer un grand nombre d’informations capitales. C’est drôle qu’un homme aussi intelligent par ailleurs puisse être aussi aveugle quand il s’agit de sa fille. Toujours le même problème : d’un côté, ce que l’on comprend intellectuellement ; de l’autre, ce que l’on sent avec ses tripes. Mais il ne fait aucun doute que si nous avions sérieusement envisagé la possibilité d’un coup de main terroriste et que si al-Hachémi nous avait dit tout ce qu’il savait, nous aurions fait l’économie de beaucoup de morts. Beaucoup.
Le salon d’accueil était maintenant désert. Le tapis rouge et les cordes de velours avaient disparu. Il n’y avait plus, tout au fond de la pièce, que deux douaniers d’un certain âge qui attendaient derrière leur comptoir l’arrivée des trois passagers annoncés. Ils avaient l’air de vaguement s’ennuyer.
Un petit homme chauve à la mine soucieuse ne cessait d’aller et venir entre le comptoir d’inspection et le tambour du sas. Il y avait vingt minutes qu’il était là pour accueillir le seul voyageur d’importance amené par la navette : la fille du cheik.
Enfin, le tambour s’ouvrit et un technicien des services d’embarquement apparut. Il arborait une expression bizarre. Il s’effaça et s’immobilisa à côté du sas dans sa combinaison de travail graisseuse, suivi d’un Arabe barbu et courtaud, au regard intense, qui se posta près de lui.
Le chauve était étonné. Les techniciens de l’embarquement devaient en principe rester à leur poste et ne pas se mêler aux passagers.
Une superbe fille émergea à son tour du sas. Mais elle était curieusement habillée pour une fille d’émir : elle portait une tenue de saut camouflée, identique à celle de l’Arabe maussade et au moins d’une taille trop grande. Elle avait roulé le bas du pantalon et le chauve remarqua qu’elle était chaussée de bottes en cuir souple. Des bottes de randonnée. Une grossière ceinture de toile soulignait ses hanches et un gros sac de voyage noir se balançait à son épaule.
Le chauve, dérouté, contempla tour à tour la femme et l’Arabe. Pourquoi étaient-ils habillés de la même façon tous les deux ?
Pourtant, il n’y avait pas d’erreur. Malgré ce singulier appareil, c’était bien la fille du cheik. Ces longs cheveux noirs, ce menton altier, cet air impérieux qui trahissaient les al-Hachémi… on ne pouvait s’y tromper.
Le bonhomme s’inclina et commença à y aller de son compliment :
— Princesse Bahjat, le cheik votre père m’a chargé de vous accueillir car il est retenu par la conférence au sommet qui se tient actuellement. Mais il m’a donné pour instructions de…
Bahjat, sans se soucier de lui, s’avança vers le comptoir, suivis de trois autres jeunes gens basanés.
Les deux inspecteurs se redressèrent. Le plus âgé, s’efforçant de dissimuler sa bedaine, sourit quand elle posa son bagage devant lui.
— Si vous voulez bien me montrer vos papiers ? dit-il aussi aimablement qu’il le put tandis que, à l’autre bout du comptoir, son collègue posait la même question — mais sur un ton beaucoup moins aimable — aux jeunes gens boutonneux qui étaient déjà devant lui.
Bahjat jeta un coup d’œil à la ronde.
— Il n’y a personne d’autre ?
— C’est ce que j’essayais de vous expliquer, répondit le chauve. Tout le monde est retenu par la conférence qui dure déjà depuis deux jours et ces messieurs n’ont pas pu organiser la réception qui eût convenu…
D’un geste, Bahjat lui imposa silence et se tourna vers le douanier.
— Mes papiers sont dans mon sac, dit-elle en tirant sur la fermeture à glissière.
Le sourire de l’inspecteur s’élargit. Je me demande ce qu’elle a apporté comme vêtements. Le prendrait-elle mal si je fouillais son sac de voyage au lieu de le passer aux rayons X ?
Au lieu de pièces d’identité, ce fut un petit pistolet noir et plat qui semblait fait sur mesure pour sa main fine que la voyageuse sortit de son sac. L’inspecteur poussa une exclamation étranglée à la vue du canon de l’arme qui se braquait soudain sur lui.
— Pas un mot. (Bahjat avait parlé d’une voix douce et suave. À présent, c’était elle qui souriait.) Venez avec nous.
L’un des garçons passa d’un bond de l’autre côté du comptoir. Sans hésiter, il localisa les commandes des caméras de télévision de surveillance et les coupa. Bahjat avait pris la précaution de se placer de telle façon que le dos de l’inspecteur masquait son automatique.
Une troupe d’hommes émergea du sas. Ils étaient plus de cinquante. Le chauve écarquilla les yeux avec incrédulité à la vue du géant qui dominait les autres de toute sa taille et qui passait à peine par le tambour. Il n’avait jamais vu un pareil colosse.
David était sur les talons de Leo. Il éprouva un petit pincement au cœur en posant le pied dans le salon de débarquement. Il connaissait par cœur la moindre égratignure du sol carrelé, la plus infime fissure du revêtement mural.
Mais il se rappela la terrible tâche qui l’attendait et le poids accablant de la réalité étouffa bien vite son excitation.
Evelyn était en compagnie de Hamoud. Elle savait que les autres ne lui faisaient pas pleinement confiance. Mais elle était la seule à être déjà venue sur Île Un en dehors de David — en qui ils n’avaient absolument aucune confiance.
Le plan de Bahjat se déroule à la perfection, songea-t-elle. Il n’avait pas fallu cinq minutes au commando pour prendre le contrôle du quai d’abordage et du salon de débarquement. Les techniciens et les trois contrôleurs, dûment ligotés, bâillonnés et chloroformés, étaient inconscients. Déjà, les envahisseurs se déployaient pour atteindre les objectifs qui leur étaient impartis.
Ils s’étaient fractionnés en trois groupes. Bahjat assurerait le commandement de l’équipe qui s’était emparée de la tour de contrôle spatial, Hamoud dirigerait le détachement, plus important, ayant mission de neutraliser les transmissions et les locaux administratifs et Leo serait à la tête du peloton qui livrerait l’assaut à la centrale.