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Au moment où il tournait à l’angle du corridor du second étage, il aperçut soudain un groupe d’hommes et de femmes qui montaient, l’air décidé et les armes à la main.

Et David était parmi eux.

— Mais qu’est-ce que…

En un clin d’œil, ils l’entourèrent.

— Continuez ! cria un homme au teint basané et à la mine revêche.

Le groupe reprit son ascension mais David et le chef ne le suivirent pas.

— Docteur Cobb…

Le visage torturé de David était un masque de remords, de honte et de rage.

— Vous êtes Cyrus Cobb ? fit le chef en agitant un pistolet aux reflets bleutés sous le nez de l’intéressé.

— Et vous, qui êtes-vous ?

— Vous pouvez m’appeler Tigre. Je dirige le commando de libération du Front révolutionnaire des peuples et vous êtes mon prisonnier.

— Ils veulent capturer la colonie, expliqua David sur un ton contrit. Ils se sont déjà rendus maîtres du centre des transmissions et des quais d’accostage. Une autre section est en train de s’emparer de la centrale.

— Et ils se sont aussi emparés de toi, hein ?

David leva les bras dans un geste d’impuissance. Il était émacié et hagard, il avait les yeux cernés et son menton se hérissait d’une barbe de plusieurs jours.

— Conduisez-moi à votre bureau, ordonna Hamoud. Je voudrais voir votre fabuleux système de surveillance. Je me suis laissé dire qu’il est le centre nerveux de la colonie.

Cobb sentit soudain le poids des ans l’accabler et ses épaules s’affaissèrent. Mais David le prit par le bras et le soutint d’une poigne solide. Le directeur d’Île Un le dévisagea. Il y avait quelque chose dans les yeux du garçon…

— D’accord, Gros-Matou, laissa-t-il tomber d’une voix sèche en se redressant. Suivez-moi.

Les trois hommes gagnèrent le rez-de-chaussée. Les cadavres des gardes gisaient sur le sol carrelé, souillé de flaques de sang. Deux guérilleros gardaient l’entrée principale, deux autres étaient affalés dans des fauteuils, le fusil en travers des genoux. Personne ne s’était donné la peine de faire disparaître les corps.

Les mâchoires crispées, Cobb, bouillonnant de fureur, fit entrer Hamoud et David dans le saint des saints. Le premier ouvrit de grands yeux à la vue de la forêt d’écrans qui s’étageaient à l’intérieur de la vaste salle en coupole.

Cyrus Cobb monta sur la plate-forme et s’immobilisa à côté de son fauteuil pivotant. David se mit à faire les cent pas entre les deux hommes, visiblement indécis.

— Je peux tout voir ! s’écria Hamoud en se tournant dans tous les sens. C’est comme si on était Dieu !

Comme si on était Dieu, répéta silencieusement David.

L’aire de débarquement qu’ils avaient investie. Et, sur l’écran voisin, les quais qu’envahissaient les travailleurs revenant des modules. Des villages et des forêts, des lacs et des champs où s’affairaient des engins peints en jaune, pas plus gros que des brouettes.

Hamoud pivota sur lui-même. Un fouillis de mécanismes complexes. D’immenses paysages qui se déployaient, des arbres gigantesques, un monde tropical sans le moindre édifice. Pourtant, sur d’autres écrans on apercevait de somptueux palais de pierre et de cristal du blanc le plus pur, enchâssés dans la même verdure exotique. Il reconnut l’emblème qui flottait sur l’un de ces édifices : c’était la marque d’al-Hachémi.

Il tendit le bras.

— Ça, où est-ce ?

Le vieux Cobb paraissait plus furieux qu’effrayé.

— Dans le cylindre B. C’est là où habitent les membres du directoire.

— Le cheik al-Hachémi ?

— Oui. Et les autres. Garrison, St. George… ils sont là tous les cinq.

Un sourire vorace retroussa les lèvres de Hamoud.

— Eh bien, j’irai rendre visite à ces messieurs. J’ai été au service du cheik, autrefois.

Cobb enclencha une touche et l’écran central encastré dans le mur du fond, le plus grand de tous, s’éclaira, révélant un groupe d’hommes assis autour d’une table en train de discuter.

— Il n’est pas chez lui. Il est en conférence avec Bowéto et El Libertador.

— En effet, le cheik est là, dit Hamoud avec une vive satisfaction. Je vais aller de ce pas lui dire un petit bonjour. Et, après, j’irai voir à quoi ils ressemblent, ces palais pour nababs.

38

Peuples du monde ! Des unités tactiques du Front révolutionnaire des peuples se sont emparées d’Île Un. Le bastion des multinationales qui contrôle l’énergie d’origine spatiale est tombé. Plus jamais les consortiums et leurs laquais du Gouvernement mondial n’imposeront des tarifs prohibitifs que les pauvres de la Terre ne peuvent pas payer. Une ère nouvelle commence ! Voici les conditions non négociables que pose le F.R.P.

1. Toutes les activités anti-F.R.P. cesseront immédiatement dans le monde entier.

2. Le Gouvernement mondial sera dissous.

3. Les gouvernements nationaux ouvriront leurs Assemblées législatives aux représentants du F.R.P.

4. Toutes les sociétés multinationales seront restructurées et morcelées en petites unités non monopolistes sous le contrôle de délégués mandatés par le F.R.P.

Si ces exigences ne sont pas satisfaites, plus aucune station capteuse de la Terre ne recevra d’énergie en provenance des satellites solaires.

Parmi les prisonniers que nous détenons en otages sur Île Un se trouvent Kowié Bowéto, directeur du Gouvernement mondial par intérim ; T. Hunter Garrison, P.D.G. des Entreprises Garrison ; le cheik Jamil al-Hachémi…

Communiqué diffusé à partir d’Île Un sur toutes les fréquences,
7 décembre 2008.

Jamil al-Hachémi était à la conférence au moment où le communiqué du F.R.P. annonçant la capture de la colonie était diffusé par toutes les chaînes de radio et de télévision, sur tous les canaux holographiques de la Terre.

Aucun des participants ne se doutait des événements dont Île Un était le théâtre. L’émir, confortablement installé dans son fauteuil tulipe, prêtait une oreille distraite aux propos empreints d’une politesse glacée qu’échangeaient les diplomates. C’était surtout à sa fille qu’il pensait.

Kowié Bowéto affichait une expression d’ennui. Ses conseillers discutaient procédure, protocole, ordre du jour, et il semblait vouloir laisser tomber toutes ces formalités pour parler directement avec El Libertador. Celui-ci, remarqua al-Hachémi, n’était pas plus à son aise. Il était venu pour conclure des accords, pas pour ergoter sur des questions de préséance.

Bahjat devrait être arrivée, à présent, songeait l’émir. M’en voudra-t-elle de n’être pas allé l’accueillir quand elle a débarqué ? Tant pis. Il va falloir que je la tienne serrée. Si elle est partie, j’en suis le premier responsable. Je lui ai trop laissé la bride sur le cou.

— La taxation est un problème trop complexe pour être abordé d’entrée de jeu, disait l’un des fonctionnaires du Gouvernement mondial d’une voix ronronnante, lisse et polie, soigneusement étudiée pour qu’aucune inflexion, aucune émotion ne risquât d’indisposer qui que ce fût. Il vous endormirait avant de vous mettre en colère, soupira intérieurement al-Hachémi.

Le porte-parole d’El Libertador haussa imperceptiblement les épaules.