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— Je suis drôlement content qu’ils ne t’aient pas laissée dans ton module. Je me faisais un sang d’encre ! J’ai cru devenir dingue.

— Je suis au mieux de ma forme, Bill, dit-elle en lui souriant. Tout va s’arranger, tu verras.

— Naturellement.

Il mentait parce qu’il savait que Ruth s’efforçait de lui cacher ses craintes, elle aussi.

— Il faut que vous essayiez de négocier avec eux !

César Villanova eut un sourire sans joie.

— Je doute fort qu’ils me traitent autrement que vous. Après tout, je n’ai jamais été des leurs.

Bowéto se leva et se mit à faire les cent pas. Tous ceux qui étaient assis autour de la longue table parlaient à voix basse, manifestement terrifiés, ou gardaient les yeux fixés dans le vide, comme al-Hachémi.

Arrivé à l’extrémité de la table, Bowéto fit demi-tour.

— Vous devriez au moins tenter de leur parler. Ils vous admirent. Dans le monde entier, El Libertador était leur héros.

— Jusqu’au moment où j’ai accepté d’entamer des pourparlers avec vous.

Bowéto fit la grimace.

— Vous croyez qu’ils se sont tournés contre vous ?

— Sans aucun doute.

— C’est absurde ! Jamais ils ne…

La porte s’ouvrit et toutes les conversations moururent. Un garçon pâlichon et dégingandé qui tenait son fusil d’assaut comme s’il était né avec lui dans les mains appela :

— Le cheik al-Hachémi.

— C’est moi, dit l’émir en se mettant debout.

D’un mouvement sec de son arme, l’adolescent lui fit signe de le suivre et al-Hachémi lui emboîta le pas après avoir lancé un coup d’œil fataliste aux autres.

Deux frontistes, dont une jeune fille, armé chacun d’un pistolet mitrailleur, montaient la garde devant la salle de conférences. Ils refermèrent la porte quand leur camarade, al-Hachémi sur ses talons, se fut éloigné sans un regard en arrière.

L’un suivant l’autre, ils sortirent, traversèrent une pelouse amoureusement entretenue et se dirigèrent vers un bâtiment bas, simple cube de béton peint en blanc. Les rues du village étaient désertes bien que, normalement, il y aurait dû y avoir foule à cette heure.

Une fois à l’intérieur de la bâtisse, le guérillero s’arrêta devant une porte anonyme et frappa. « Entrez », fit une voix assourdie. Il ouvrit et s’écarta vivement pour laisser passer al-Hachémi.

C’était une sorte de curieux amphithéâtre. Dix rangées de sièges devant chacun desquels se trouvait une console formant comme un petit bureau s’étageaient en pente douce sous les yeux du cheik. La plupart étaient vides mais, au premier rang, deux techniciens pianotaient sur les boutons multicolores de leurs claviers tels des musiciens jouant une complexe symphonie.

Sur le gigantesque écran mural se déployait un planisphère électronique. Al-Hachémi en comprit instantanément la fonction : ses bureaux, à Bagdad, étaient équipés d’écrans analogues. Les lumières vertes qui s’égrenaient le long de la ligne équatoriale correspondaient à la position des satellites solaires en orbite. De vastes sections de la carte, toutes situées dans l’hémisphère Nord, étaient colorées selon un code déterminé indiquant la quantité d’énergie qu’elles recevaient de ceux-ci.

Une zone des Balkans était déjà au rouge. Soudain, la plage d’un jaune vif qui recouvrait presque tout le territoire de l’Italie vira sous les yeux d’al-Hachémi au rose pisseux.

Ils coupent les satellites solaires ! Ce fut alors qu’il remarqua les hommes du F.R.P. debout derrière les techniciens qu’ils tenaient sous la menace de leurs armes. Docilement, ces derniers interrompaient les flux d’énergie à destination des pays d’Europe et de l’Amérique du Nord.

Tout cela, l’émir l’avait enregistré d’un seul coup d’œil pendant que la porte se refermait. Et il vit tout près de lui, au dernier rang des consoles, sa propre fille, Bahjat, le chef des révolutionnaires, Shéhérazade, vêtue d’une tenue de combat qui n’avait rien de féminin, un pistolet à la hanche.

— Je suis venue sur Île Un comme tu le désirais, tu vois, père, dit-elle.

La lumière était trop faible pour que l’on pût lire son expression.

— Pas exactement dans les conditions que je souhaitais, riposta al-Hachémi. Mais il est vrai que tu faisais rarement ce que je voulais que tu fasses.

— Shéhérazade n’a pas encore terminé sa tâche.

— C’est ce que je vois, fit-il en désignant la carte électronique du doigt.

— Tu croyais vraiment que je viendrais te rejoindre comme une bonne petite fille obéissante ?

— J’espérais que tu avais fini par revenir à la raison.

— Comme ma mère ?

Al-Hachémi eut un tressaillement de surprise. Mais il n’y avait personne à portée de voix. Les autres, concentrés sur leur travail de destruction, étaient très loin, de l’autre côté de l’amphithéâtre.

— Ta mère était une alcoolique doublée d’une idiote. Tu le sais parfaitement.

— Je sais que l’alcool l’a tuée. Elle buvait parce qu’elle était seule. Elle avait besoin de ta présence.

— C’était peut-être ce qu’elle pensait, rétorqua al-Hachémi qui sentait comme un étau se resserrer sur sa poitrine, mais elle mentait. Elle se mentait même à elle-même.

— Et tu l’as tuée.

— C’est elle-même qui s’est tuée. Parce qu’elle buvait, tu l’as dit toi-même.

— Tu l’as laissée se détruire.

— Elle s’était déshonorée. Je ne voulais pas qu’elle me déshonore, moi.

— Tu tues tous ceux qui se dressent sur ton chemin, n’est-ce pas ?

— Shéhérazade n’a-t-elle pas de sang sur les mains ? demanda-t-il avec un sourire froid.

Les yeux de Bahjat lancèrent des éclairs.

— Je suis la fille de mon père.

Al-Hachémi acquiesça.

— Et quel est ton prochain objectif ? Le parricide ?

— Non, si tu files doux. Il me suffira d’anéantir ce que tu as édifié. Mais si jamais tu nous créais des difficultés, ils t’abattront sans le moindre scrupule, crois-moi.

— Hamoud est là. Je sais qu’il prend plaisir à tuer.

Elle haussa les sourcils.

— Tu le connais si bien que ça ?

— Oui.

— Je peux le contrôler… si aucun d’entre vous ne joue au malin.

— Je croyais aussi être capable de le contrôler, autrefois.

— Il y a pas mal de choses à propos desquelles tu t’es trompé, dirait-on, fit Bahjat avec un sourire caustique.

— Et El Libertador ? enchaîna al-Hachémi comme s’il n’avait pas entendu. Il est prisonnier, lui aussi ?

— Oui. À une époque, il aurait pu être notre chef. Mais il est vieux et aussi corrompu que vous tous.

— C’est un homme à principes. C’est pour cela qu’il est difficile à manier.

— Je m’en charge.

Le cheik marqua une hésitation.

— Alors, c’est vrai ? C’est réellement toi qui diriges cette bande ?

— Tu trouves cela tellement étrange ?

— Je croyais que Hamoud…

— Hamoud se figure qu’il est le patron. Il donne des ordres. Mais ce sont ceux que je lui dicte.

— Je vois.

— Tu vas rejoindre les autres et tu leur diras que nous nous sommes arrangés pour les loger dans un ensemble résidentiel. Mais s’ils nous causent la moindre difficulté, nos hommes les massacreront tous.

— Les voies d’Allah sont impénétrables.

— Pas tant que ça. (Sa rage brûlante faisait fondre l’indifférence glacée que Bahjat manifestait envers son père.) Quand on assassine un innocent dont le seul crime est d’être amoureux de sa fille, on doit s’attendre à la vengeance d’Allah.