Arlène se jeta à son cou.
— Quelle vieille crapule vous êtes !
— Téléphone à l’ordinateur, gronda Garrison en la repoussant. Vite !
L’opération était terminée. Cinquante-deux terroristes du F.R.P. tenaient maintenant le sort des dix mille habitants d’Île Un entre leurs mains.
Cobb, juché sur son fauteuil pivotant, le dos voûté, contemplait fixement les écrans qui l’entouraient.
— C’est rageant ! maugréa-t-il.
— Nous avons affaire à un fou, dit David. Il faut agir prudemment. Sinon, il nous tuera tous.
— Peut-être qu’il le fera même si nous sommes prudents.
L’immeuble de l’administration était gardé par des hommes du Front. On les voyait sur les écrans. David compta quatorze sentinelles, toutes armées jusqu’aux dents, dont deux postées devant le bureau même de Cobb.
— Qu’est-ce qu’il veut, au juste ? demanda ce dernier.
David désigna l’écran qui renvoyait l’image du centre de contrôle des satellites.
— Le pouvoir. Il va mettre le monde à genoux en le privant de l’énergie émise par les satellites.
— Et tu te reproches d’en être responsable, n’est-ce pas ? Tu as tort. Ce n’est pas ta faute.
— C’est moi qui leur ai donné les renseignements dont ils avaient besoin.
— Contraint et forcé.
— Oui, mais c’est quand même dans ma tête qu’ils ont puisé toutes les informations. Sans moi, ils n’auraient pas pu capturer la colonie.
— Nous la leur reprendrons.
On tâchera de trouver un moyen, ajouta le vieil homme pour lui-même.
— Ils périront tous.
David se retourna. Ses épaules et sa tête dominaient le pupitre de commande. Et Cobb le revit quand, tout enfant, il jouait avec les boutons, assis sur ses genoux.
— Que veux-tu dire ?
David semblait amer, on aurait dit qu’il était en proie à un combat intérieur.
— Je vais les tuer tous. Tous… Et peut-être que tout le monde sur Île Un va mourir… à cause de moi.
— Qui est en train de jouer au bon Dieu, maintenant ?
David regarda Cobb en face. Ses yeux avaient une dureté minérale.
— Je ne joue pas.
Le vieil homme eut soudain le souffle coupé.
— Oui, c’est l’impression que j’ai. Explique-toi.
Au même instant, la porte s’ouvrit, livrant passage à Bahjat. Elle jeta un coup d’œil à la ronde, bouche bée, tel un pèlerin qui a finalement trouvé son reliquaire — un pèlerin vêtu d’une combinaison camouflée fripée, un pistolet à la ceinture.
— C’est incroyable, murmura-t-elle.
David s’approcha d’elle, la prit par la main et la guida jusqu’à Cobb.
— Voici le directeur d’Île Un, le Dr Cyrus Cobb. Docteur Cobb, je vous présente l’illustre Shéhérazade, le cerveau et l’âme du F.R.P. — et le plus ravissant de ses leaders.
— Vous êtes capable de plaisanter ? s’écria-t-elle avec stupéfaction.
— Je ne plaisante pas, Bahjat. Shéhérazade est aussi la fille du cheik al-Hachémi, docteur Cobb.
— C’est vrai ?
— Vous n’auriez pas dû le lui dire, fit sèchement Bahjat. Si Hamoud le savait, il vous tuerait.
— N’importe comment, il nous exécutera tous les deux quand il sera arrivé à ses fins, soupira Cobb.
— Non, laissa tomber David.
— J’essaie d’éviter des effusions de sang inutiles.
Il est trop tard, Bahjat. Vous êtes morts. Vous ne le savez pas encore mais je vous ai déjà tous détruits… tous.
39
FLASH FLASH FLASH
Messine : Les milieux proches du Gouvernement mondial ont confirmé ce matin la capture de la colonie spatiale d’Île Un par le Front révolutionnaire des peuples.
Kowié Bowéto, directeur du G.M. par intérim, et le révolutionnaire sud-américain El Libertador sont parmi les otages détenus par le F.R.P. Tous deux s’étaient rencontrés pour discuter des moyens de mettre fin à la vague de terrorisme international qui a déferlé si brutalement sur la planète tout entière et qui s’est manifestée, entre autres, il y a quinze jours, par des soulèvements organisés dans les principales villes des États-Unis.
Les réactions officielles devant ce coup de force du F.R.P. sont restées discrètes. Jusqu’à présent, il n’a pas été répondu aux exigences « non négociables » des terroristes bien que plusieurs satellites solaires aient cessé de fonctionner. Le F.R.P. affirme qu’il coupera tout approvisionnement en énergie…
Bahjat, perplexe devant le pupitre de commande, gardait les yeux rivés sur David.
— Vous nous avez déjà détruits ? Qu’entendez-vous par là ?
— Vous le saurez toujours assez tôt.
Ils s’affrontaient du regard. Cobb les ramena à des préoccupations plus immédiates :
— On dirait que votre ami Tigre a renoncé à pénétrer dans la chambre forte de Garrison.
David fit face aux écrans muraux que le vieil homme surveillait. Hamoud, visiblement hors de lui, suivait à grandes enjambées un sentier forestier. Il revenait vers la demeure de Garrison. Ses trois séides marchaient derrière lui à distance respectueuse.
Cobb pouffa.
— Garrison s’est éclipsé. Il s’est réfugié dans les bois avec sa petite amie. Cette vieille baderne a plus de cran que je ne le pensais.
— Hamoud va venir ici.
— Tôt ou tard, c’est inévitable, convint Bahjat.
Sur un autre écran, David repéra Leo dans une rame souterraine. Le Noir, ruisselant de sueur, paraissait à demi inconscient.
— Et voilà aussi Leo qui s’amène.
Bahjat revint à la question qui la tracassait :
— Qu’est-ce que vous vouliez dire au juste ?
— Je n’ai pas le temps de vous expliquer. Il faut que je m’en aille. J’ai à faire.
— Je ne peux pas vous laisser partir.
— Vous ne pouvez pas m’en empêcher.
— David, ne m’obligez pas…
Avec la rapidité de l’éclair, le jeune homme lança son bras en avant, empoigna la crosse du pistolet de Shéhérazade et sortit l’arme de l’étui avant que la jeune fille ait eu le temps de réagir.
— C’est un petit jeu auquel nous avons déjà joué, me semble-t-il.
Bahjat se retint pour ne pas sourire.
— Et chaque fois que nous y jouons, c’est un peu plus dangereux.
David se retourna pour jeter un coup d’œil à Cobb qui, toujours perché sur son siège, observait attentivement tout ce qui se passait.
— Quoi qu’il arrive… je vous aime, Bahjat.
— Mais pas assez, répliqua-t-elle avec un petit geste fataliste.
— Oh si, plus qu’assez… trop, même, pour accepter que vous poursuiviez dans cette voie démente. S’il existe un moyen de vous sauver, je le trouverai.
— Et les autres ?
— Je ne sais pas. Vous êtes la seule personne qui m’intéresse vraiment C’est vous que j’aime.
Le prenant par l’épaule, elle se dressa sur la pointe des pieds et posa un baiser sur les lèvres du garçon.
— Mon pauvre David, murmura-t-elle. Que de déchirements ! Allah vous protège.
Il n’était pas suffisamment sûr que sa voix ne le trahirait pas pour oser dire quelque chose. D’ailleurs, il n’avait pas le temps. Il fit volte-face et s’élança vers le fond de la pièce, derrière le pupitre de commande. Il connaissait depuis qu’il était tout enfant l’issue de secours secrète. Le Dr Cobb l’avait menacé de lui flanquer une bonne fessée le jour où il l’avait découverte et avait exploré la coursive conduisant au sas pneumatique.