— Je couperai le système de chauffage.
— Vous ne pourrez pas couper la chaleur du soleil.
Hamoud scruta son interlocuteur pour essayer de savoir si ce dernier disait vrai. Cobb lui rendit son regard. Bahjat, qui observait la confrontation, avait l’impression qu’un feu intérieur la consumait. Elle avait les jambes faibles et elle frissonnait.
— C’est que la colonie est grande, voyez-vous, reprit Cobb. Et elle est d’une solidité à toute épreuve. Nous avons conçu Île Un pour qu’elle puisse survivre aux accidents et aux catastrophes naturelles. Tenez… si un météore fracassait la moitié des hublots, ils seraient remis en état avant que le dixième de notre air se soit échappé. Quel mal voulez-vous donc que fassent vos petites pétoires ?
— Je peux vous tuer tous, gronda Hamoud avec obstination.
— Vous ne seriez pas beaucoup plus avancé après. Je vous dis la vérité. Elle ne vous plaît peut-être pas mais ce n’est pas en faisant un massacre que vous y changerez quelque chose.
Bahjat entendait mal ce qu’ils disaient. Ses oreilles bourdonnaient et elle avait un atroce vertige. Soudain, elle comprit ce que David avait voulu dire. « Je vous ai déjà tous détruits… tous. » C’était vrai. Il les avait détruits.
Elle se retourna au moment où Leo entrait en titubant. Le lourd fusil d’assaut semblait être un jouet d’enfant dans la main du géant.
— Tigre…, dit-il d’une voix grinçante et hachée. Tigre, il me faut ma came. Tout de suite !
Et il pointa son arme sur la poitrine de Hamoud.
40
LE FILS DE DEUX DE NOS CONCITOYENS PARMI LES OTAGES D’ÎLE UN
Minneapolis : M. et Mme Alan T. Palmquist, demeurant au village de retraite de Minnetonka, regardent le ciel et prient.
Leur fils William se trouve parmi les quelque dix mille personnes retenues en otages à bord de la colonie d’Île Un par les terroristes du Front révolutionnaire des peuples.
« L’aspect politique de cette affaire ne nous concerne pas, nous a déclaré Mme Palmquist. Nous nous contentons de demander à Dieu que notre fils sorte indemne de cette terrible épreuve… et sa fiancée aussi. »
Le jeune William Palmquist venait d’arriver sur Île Un. Il n’avait émigré sur la colonie spatiale que parce que…
Peter Markowitz était absorbé par le policier qu’il était en train de dévorer. Les jambes allongées sur le bureau du surveillant, sa chaise en équilibre instable sur les deux pieds de derrière, il ne quittait pas des yeux le petit lecteur sur lequel défilaient les pages. Le surveillant était en train de faire sa ronde pour vérifier le fonctionnement des transformateurs. Il reviendrait dans quelques minutes et il rentrerait se coucher. Alors, Pete serait seul maître de la station jusqu’à la relève du lendemain. Il aurait largement le temps de finir son roman et de se plonger dans le magazine qu’il avait apporté.
Il tapota sa poche de chemise où se trouvait la petite vidéocassette. Les pornomags illustrés n’étaient pas donnés, loin de là, et Pete était bien décidé à faire fructifier son investissement dès que le vieux serait parti.
La porte s’ouvrit et le surveillant entra.
— Ôte tes pieds de mon bureau, tu veux ?
Pete s’exécuta avec un large sourire.
— Encore à lire ! T’as donc rien d’autre à faire ?
— Je me meuble l’esprit, répondit Pete.
— Tu te le pourris avec ces conneries-là.
Pete ne répliqua pas. La tentation était forte de montrer la cassette au surveillant mais il y résista.
— Tu devrais lever ton cul de là de temps en temps, histoire de voir à quoi ressemblent les transfos, poursuivit celui-ci en décrochant sa parka. Rien qu’une fois… ça ne te ferait pas de mal.
— Tous les instruments de contrôle sont ici. Je sais tout ce qui se passe et je n’ai pas besoin de…
Il n’alla pas jusqu’au bout de sa phrase. Le bourdonnement aigu des transformateurs, si familier à leurs oreilles qu’aucun des deux hommes ne le remarquait plus, avait brusquement changé de tonalité. Le son était devenu plus grave. Et il s’affaiblissait.
— Mais qu’est-ce que…
Pete eut soudain la bouche sèche à la vue des batteries de cadrans qui tapissaient les murs. Toutes les aiguilles étaient en train de basculer vers zéro.
— Bon Dieu ! balbutia-t-il. Regardez.
Le surveillant, tourné vers la fenêtre, contemplait les transformateurs. Maintenant, le silence était total dans la sous-station. On n’entendait que le gémissement du vent, dehors.
— Ils… ils sont en rideau, murmura-t-il d’une voix que l’effroi faisait vaciller. Tous.
— Comment est-ce que…
— Téléphone ! Appelle immédiatement le central distribution. (Le surveillant se rua sur la radio.) Les salopards qui ont pris la colonie spatiale ont dû couper ce sacré satellite.
Pete décrocha le combiné et enfonça le bouton rouge qui mettait instantanément la sous-station en contact avec le central mais la ligne était déjà occupée et encombrée par d’autres postes également en panne.
— Merde ! vociféra le surveillant en arrachant son casque d’écoute. Merde de merde ! Les capteurs sont morts. Ils ne reçoivent plus une miette d’énergie. Ou ils ont déconnecté le satello ou ils ont modifié l’angle d’incidence des émetteurs.
Pete remarqua que le vieux tenait encore sa parka à la main et il se rappela le bulletin météo qu’il avait entendu en venant prendre son service. On annonçait de fortes chutes de neige accompagnées de vents violents et des températures voisines de 0°. Le blizzard du Maine dans toute sa beauté ! Et toute la région était privée d’énergie. Plus d’électricité pour les radiateurs, pour l’éclairage, pour les communications.
Pete avait l’impression que le vent hurlait plus fort.
— Attendez ! cria Bahjat.
Leo, étreignant toujours le fusil dans sa poigne massive, se retourna. Ses yeux étaient rouges et la fatigue et la douleur lui plombaient les paupières. Hamoud était immobile à côté de la console derrière laquelle se tenait le Dr Cobb, la main sur la crosse de son pistolet.
— Regarde-moi, Leo, reprit Bahjat. Je transpire comme toi. J’ai l’impression que des flammes me dévorent. Je me sens sans force… exactement comme toi !
— Tu ne peux pas. Tu n’es pas…
— Il nous a contaminés, Leo ! David nous a contaminés avec un germe, un virus ou je ne sais quoi quand nous étions dans le laboratoire au bord du fleuve.
— Impossible, fit Hamoud sur un ton tranchant. Comment s’y serait-il pris ? Il n’a pas eu la moindre occasion de…
— Quand il s’est enfui et que nous avons cru qu’il essayait de s’évader… où l’as-tu retrouvé, Leo ?
Le colosse réfléchit.
— Il était retourné dans la section technique.
— Là où étaient entreposés des stocks de bactéries et de virus, là où on faisait des recherches sur les maladies et les agents biologiques.
— Mais comment aurait-il pu nous contaminer ? insista Hamoud. Il ne t’a pas fait d’injection, il n’a rien pu mettre dans ta nourriture ni dans ce que tu as bu.
— Il s’est autocontaminé. Il est immunisé contre les affections contagieuses mais il peut être porteur de maladies et nous les transmettre… à nous tous !
Hamoud écarquilla les yeux.
— À nous tous ?