— Oui. Il lui a suffi d’être dans notre voisinage immédiat, de respirer le même air que nous. Nous sommes restés enfermés deux jours entiers avec lui dans la navette. C’était plus qu’il n’en fallait pour que nous soyons tous infectés.
La sueur ruisselait sur la figure de Leo et le fusil vacillait dans sa main. Son bras retomba.
— Ce sale petit cul-blanc…
— Non, c’est impossible, s’entêta Hamoud.
Bahjat se tourna vers Cobb.
— Expliquez-leur.
Le vieil homme posa les deux coudes sur son pupitre.
— Ce n’est nullement impossible, confirma-t-il avec un sourire ironique et satisfait. Elle a raison. David a été génétiquement immunisé contre presque toutes les maladies connues mais il peut fort bien être porteur de germes et les répandre autour de lui. S’il s’est injecté quelque chose de vraiment méchant, il contaminera tous ceux qu’il approchera. C’est une bombe biologique ambulante, une Mary Typhoïde à la puissance 100 000.
— Il m’a contaminé, moi ? vociféra Hamoud.
— J’en mettrais ma main au feu, répondit Cobb d’une voix suave. Vous ne tarderez pas à ressentir les premiers symptômes du mal, ce n’est qu’une question de temps.
— Quel est l’antidote ? Il me le faut !
Cobb haussa les épaules.
— Il conviendrait d’abord de savoir de quel germe infectieux il s’agit. Nous avons peut-être affaire à une de ces mutations inédites que l’on bricolait dans ce laboratoire — quelque chose de si nouveau qu’il n’existe peut-être même pas encore de traitement.
— Trouvez-moi ce type ! Trouvez-le et faites-le parler !
— Il peut être n’importe où, lui rappela Bahjat.
Lentement, Leo se laissa choir par terre.
— Y a intérêt à le trouver vite fait, gargouilla-t-il. S’il a refilé des germes à tout le monde, on va avoir cinquante-deux macchabées sur les bras.
— Beaucoup plus, rectifia Cobb. Il n’est pas en mesure de contrôler la transmission des agents morbides. Il infectera toutes les personnes avec lesquelles il entrera en contact, y compris les habitants d’Île Un. Il est fort possible que nous y passions tous.
Bahjat avait envie de s’asseoir, elle aussi, mais il fallait absolument tenir Hamoud en main autant que faire se pouvait, faute de quoi ils auraient bientôt un fou furieux sur les bras.
— Vous avez les moyens de couvrir la colonie en totalité, dit-elle au Dr Cobb. Trouvez-le. Où est-il allé ?
Cobb désigna les écrans d’un geste circulaire.
— Trouvez-le vous-mêmes. Vous avez autant de chances que moi d’y arriver.
Poussant un grondement, Hamoud sortit son pistolet de l’étui et en frappa le vieil homme au visage. Cobb bascula et s’écroula pesamment sur le sol.
— Imbécile ! s’écria Bahjat. Quand donc apprendras-tu…
— Silence, femme ! rugit Hamoud. (Du sang maculait la crosse du pistolet qu’il tenait par le canon.) Je le retrouverai, ce traître, moi. Qu’on m’amène l’Anglaise. Et en vitesse !
David n’avait pas eu l’intention de cacher sa présence aux terroristes, une fois réfugié dans le labo de biochimie, mais il avait un certain nombre de choses à faire avant tout.
Le labo occupait tout le volume du module. C’était un vaste et fantasmagorique paysage de ballons de verre remplis de liquides bouillonnants, de tubulures de plastique, de bacs d’acier miroitants, de canalisations, d’étranges objets de cristal au milieu desquels serpentaient de noires passerelles métalliques. Le royaume du magicien d’Oz, c’était le nom que David lui avait donné autrefois. Mais la sorcellerie à laquelle ces lieux étaient voués était bien réelle et elle pouvait faire toute la différence entre la vie et la mort.
Cette forêt de chrome et de verre était dominée par le poste de contrôle, une sorte de nacelle encombrée de bureaux, de terminaux d’ordinateurs et d’écrans. Les fenêtres étaient inclinées selon un angle qui permettait de surveiller les instruments et les appareillages qu’elles dominaient. Des portes s’ouvraient sur les passerelles qui s’enchevêtraient et faisaient des méandres à travers la scintillante jungle technique qui se déployait en contrebas. Les épaisses entretoises maintenant le module s’entrecroisaient juste au-dessus de la nacelle.
Les consoles assuraient le contrôle global de l’environnement, depuis la température de l’air jusqu’à la vitesse de rotation du module, et, par conséquent, de la gravité artificielle à laquelle le laboratoire était soumis. David passa une demi-heure à programmer l’ordinateur de bord et à s’assurer qu’il pouvait lui donner ses instructions par l’entremise de son communicateur implanté.
Quand il en eut terminé, il s’installa devant le téléphone vert, sortit de sa ceinture le pistolet qu’il avait confisqué à Bahjat, le posa sur le bureau et composa le numéro du Dr Cobb.
Ce fut le visage crispé et frénétique de Hamoud qui se forma sur l’écran.
— C’est toi ! s’exclama le chef des terroristes dont les traits trahissaient à la fois la colère, le soulagement et la peur.
— Où est le Dr Cobb ? lui demanda David.
— Où es-tu, toi ?
— Où est le Dr Cobb ? répéta le jeune homme, pris d’une soudaine appréhension. Que lui avez-vous fait ?
Le champ de vision s’élargit et David vit alors Leo qui soutenait Cobb. Le front du vieillard était entaillé. Ses cheveux étaient poissés de sang et il avait aussi du sang sur la joue. Ses lèvres gonflées étaient tuméfiées.
Du coup, David vit rouge mais, et il en fut le premier surpris, la brûlante fureur qui s’était emparée de lui s’apaisa instantanément, remplacée par une haine calme, lucide, implacable, aussi profonde et glacée que l’espace interstellaire.
— Si tu ne nous révèles pas l’antidote à la maladie que tu nous as communiquée, nous tuerons le vieux, dit Hamoud.
— Vous savez donc que je vous ai contaminés ?
— Oui. Et tu vas nous guérir ou le viocard mourra. Douloureusement.
— Où est Bahjat ?
— Elle est tombée en syncope.
Le champ de la caméra du vidéophone était assez large pour que les mains de Hamoud fussent visibles. Elles tressaillaient. Leo, lui aussi, était agité de tremblements. Cobb avait l’air d’une poupée de son entre ses bras. Il n’était qu’à peine conscient.
Deux guérilleros poussèrent Evelyn dans le champ. Elle paraissait également mal en point.
— Elle aussi mourra. Douloureusement. Et tous les habitants de la colonie, l’un après l’autre, si tu ne nous indiques pas le traitement.
— Vous n’aurez pas le temps, dit David en secouant la tête. Vous serez tous morts dans quelques heures sans avoir pu tuer beaucoup de monde. Le Dr Cobb est âgé. Quant à l’Anglaise… (Il se força à hausser les épaules avec désinvolture.) Que m’importe ? Vous êtes plus attaché à elle que moi.
Hamoud assena un coup de poing sur le clavier.
— Où est-tu ? Quel est le traitement ?
— Il n’y en a pas. Pas pour vous, en tout cas. Vous êtes condamné. Je pourrai peut-être sauver les autres, mais pas vous, Tigre. Vous allez mourir. Douloureusement.
Les prunelles du terroriste luisaient comme les flammes de l’enfer.
— Si je meurs, elle mourra aussi. Bahjat… Shéhérazade. Je lui trancherai la gorge moi-même.
David se pencha en avant.
— Espèce d’ordure…
— Je la tuerai, fit Hamoud dans un âpre soupir. Tu ne la guériras pas. Tu ne la reverras plus vivante… jamais. Je la détruirai.
Les épaules de David s’affaissèrent et il murmura avec accablement :
— Je suis dans le labo de biochimie : Le module de service tout à côté de l’hôpital. Dites aux contrôleurs de mettre une navette à votre disposition et de vous y expédier. Le sérum dont vous avez besoin est là.