— Vous croyez cela ?
— Naturellement. C’est vous — vous, Shéhérazade, Hamoud et Leo — qui avez précipité El Libertador dans les bras du Gouvernement mondial. Vous ne vous en rendez donc pas compte ? Chaque action du F.R.P. a provoqué une réaction de force égale et de sens opposé.
— Il n’empêche que nous tenons Île Un.
— Pas pour longtemps. David est en train de vous faire lâcher prise. Il va faire mordre la poussière à Hamoud, vous pouvez être tranquille. Pourquoi pensez-vous qu’il se soit embusqué ici et qu’il ait attendu que nous venions à lui ? S’il a eu raison de Leo, il aura encore plus facilement raison de Hamoud.
Les yeux de Bahjat s’embrasèrent. En deux bonds dignes d’un félin — c’était l’avantage de l’apesanteur —, elle fut devant la porte, sortit son automatique et tira en l’air. Les parois incurvées du module et la jungle enchevêtrée du matériel de laboratoire renvoyèrent l’écho assourdissant de la détonation.
— Reviens, Hamoud ! cria-t-elle en arabe. Reviens !
Evelyn se tourna vers la fenêtre. La silhouette sombre et trapue de Hamoud émergea de derrière un cylindre de métal. En tout cas, il n’est pas allé bien loin, songea-t-elle.
— Reviens ! répéta Bahjat. Vite !
— Idiote que vous êtes ! Il nous tuera toutes les deux pour obtenir ce qu’il veut.
Bahjat fit face à Evelyn.
— Hamoud est un fanatique, c’est vrai. Mais il ne me fera jamais aucun mal. Il m’aime.
— Mais comment donc ! Il vous aime tellement qu’il a assassiné votre architecte.
Bahjat ouvrit la bouche toute grande mais aucun son n’en sortit et Evelyn continua :
— Il ne vous fera jamais de mal, dites-vous ? Eh bien, sachez qu’il a tué l’homme que vous aimiez. Il me l’a avoué à Naples, une nuit où il était tellement saoul qu’il a vomi sur le lit. C’est peut-être votre père qui a commandité ce meurtre mais c’est Hamoud qui a piégé l’hélicoptère. Il a été l’exécuteur.
— Vous mentez.
La voix de Bahjat était aussi froide et tranchante qu’une lame.
— Demandez-lui donc. Il a même tout organisé pour que cela se passe sous vos yeux. Posez-lui la question.
Bahjat se tourna vers la passerelle. Hamoud était en train de revenir vers le bureau. Elle jeta un bref coup d’œil à Evelyn et, l’espace d’une seconde, sa main se crispa sur son arme.
— Je ne vous crois pas, lança-t-elle sur un ton venimeux.
Mais Evelyn avait dit la vérité, cela se voyait à son expression. C’est bien dans les méthodes de Hamoud, se dit Bahjat. Il détruit tous les obstacles qui se dressent devant lui et il y prend plaisir.
Du coin de l’œil, elle discerna un mouvement et, quand elle tourna la tête, elle vit David décrire une paresseuse parabole au-dessus du fouillis des instruments et atterrir sur la pointe des pieds au milieu de la passerelle derrière Hamoud. Il avait le fusil d’assaut de Leo à la main.
— Tigre ! cria-t-il.
Hamoud pivota sur lui-même, l’arme au poing, et se pétrifia. Pendant une éternité, les deux hommes s’affrontèrent du regard à vingt mètres l’un de l’autre.
— Bahjat ! rugit Hamoud. Fais venir l’Anglaise jusqu’à la porte en lui tenant ton pétard sur la tempe.
Bahjat, immobile, ne voyait que le dos du terroriste et, plus loin, le visage crispé, exsangue de David.
— Cela ne servira à rien, laissa tomber ce dernier. Je vous ai dit que vous alliez mourir et je ne plaisantais pas.
— Eh bien, elle mourra aussi, rétorqua Hamoud. Elles mourront toutes les deux. Tu ne peux pas me tirer dessus sans que je te tue. Et, après, elles succomberont de la maladie que tu leur as passée.
Evelyn était maintenant devant la porte et le pistolet avec lequel Bahjat la tenait en respect était bien en vue.
— Lâche ce fusil ou nous y passerons tous, y compris l’Anglaise et Bahjat, reprit Hamoud. Et c’est toi qui seras responsable de leur mort.
Bahjat ne pouvait pas voir son expression mais elle entendait la note de triomphe qui vibrait dans la voix de Tigre. David la regardait. Il y avait une imploration, une supplication dans ses yeux. Enfin, il abaissa son fusil et le lâcha. L’arme tomba avec un tintement métallique.
Poussant une clameur de joie, Hamoud pointa son pistolet sur la tête du jeune homme.
Bahjat avait déjà fait feu quatre fois quand elle se rendit compte qu’elle avait appuyé sur la détente. Le corps de Hamoud, projeté en l’air, oscilla comme une marionnette en folie avant de heurter la rambarde et de retomber sanguinolent.
43
… Et maintenant, voici les dernières nouvelles.
Le Gouvernement mondial n’a toujours pas fourni de détails sur la tentative du Front révolutionnaire en vue de prendre possession d’Île Un. Aucune information sur l’incident n’a été communiquée, en dehors du fait que les pertes ont été « légères » et qu’aucune personnalité du G.M. et aucune notabilité de passage n’a été ni blessée ni tuée.
La Société pour le Développement d’Île Un observe le même mutisme. Tout ce que l’on peut savoir est qu’un « soulèvement général » des colons a eu raison de la poignée de terroristes qui s’étaient lancés dans cette entreprise.
Les émissions d’énergie micro-ondes par les satellites solaires ont repris dans la journée, mettant fin à la crise qui paralysait une grande partie de l’Europe et de l’Amérique du Nord et qui a été à l’origine du décès d’au moins sept mille personnes en quarante-huit heures.
Kowié Bowéto, directeur par intérim du Gouvernement mondial, et le leader révolutionnaire El Libertador sont sains et saufs. Ils sont décidés à poursuivre leurs pourparlers à bord de la colonie spatiale…
Alors, c’est ça la politique, songeait David.
Il représentait le Dr Cobb en traitement — le directeur de la colonie avait été contaminé par l’infection des voies respiratoires dont le jeune homme avait été le vecteur — à la conférence. Kowié Bowéto était assis à sa droite, El Libertador à sa gauche, Jamil al-Hachémi lui faisait face.
Le directeur du Gouvernement mondial par intérim leva au ciel une paire de mains impressionnantes.
— Mes collaborateurs ont repris le problème à maintes reprises au cours des dernières semaines — depuis que les discussions sont ouvertes. Notre position n’a jamais été intransigeante.
— Mais elle n’a pas été, non plus, tout à fait aussi souple que nous l’aurions souhaité pour notre part, contra Villanova.
Il y avait comme un sourire calculé dans les yeux gris d’El Libertador.
— Nous vous avons accordé l’autonomie locale.
— En échange de notre allégeance envers le Gouvernement mondial.
— Cela me paraît être une exigence tout à fait légitime.
— Uniquement dans la mesure où l’autonomie locale va de pair avec le pouvoir d’effectuer les ajustements indispensables au niveau des économies régionales.
— Mais on ne peut pas manipuler l’économie d’une nation sans bouleverser celle du pays voisin et sans que cela ait des répercussions dans le reste du monde. La prochaine fois, vous allez réclamer qu’on en revienne aux monnaies nationales !
Villanova eut un geste de protestation.