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— Absolument pas. El Libertador a obtenu que le Gouvernement mondial s’engage à décréter une amnistie générale.

— Pour une nouvelle, c’est une nouvelle ! Si je n’étais pas sur la liste noire…

— Sur Île Un, vous n’y êtes pas. Vous n’aurez qu’à dicter votre papier à partir d’ici. Toutes les rédactions de la Terre se jetteront dessus. À vous la gloire !

Elle s’étreignit les mains.

— Mon Dieu ! Mais c’est fantastique, David !

— D’ailleurs, vos comptes rendus sur l’opération du P.R.U. et sur la conférence vous feront n’importe comment rayer de la liste noire. Mais à quoi bon vous inquiéter de cela ? Pourquoi ne resteriez-vous pas sur Île Un ?

— Non, répondit-elle précipitamment. Je ne peux pas.

— Cobb vous a expulsée pour que je me lance à vos trousses, lui expliqua-t-il. Il ne verra pas…

— Mais pendant que vous étiez à mes trousses, vous avez rencontré Shéhérazade.

— C’est vrai, murmura David après un instant d’hésitation.

— Et vous êtes amoureux d’elle.

— J’ai peut-être tort mais… oui, je le suis.

Evelyn ne parvint pas tout à fait à conserver son impassibilité et son expression fit mal à David.

— Île Un est grande. Il n’y a pas de raison pour que vous n’y restiez pas à demeure si…

Elle le coupa :

— Si, pour moi, il y en a une. Je crains que la colonie ne soit pas assez grande pour nous deux, justement.

— Je suis désolé, balbutia-t-il faute de trouver une meilleure formule.

— Pourquoi ? Ce n’est pas votre faute. Personne n’y est pour rien. (Elle se força à sourire gaiement.) D’ailleurs, je crois que je ne me sentirais jamais à mon aise dans un monde à l’envers. J’ai besoin de voir le ciel au-dessus de ma tête et une vraie ligne d’horizon.

David opina en silence.

— Croyez-vous pouvoir vous arranger pour me faire regagner Messine à bord de la navette où embarqueront les délégués ? Ce serait possible ?

— Je verrai ça.

Ils bavardèrent encore un moment mais, au vif soulagement de David, Evelyn ne tarda pas à mettre fin à la conversation en se levant et en se dirigeant vers la porte. Pendant quelques secondes pénibles, il resta les bras ballants. Que faire ? Lui serrer la main ? La prendre dans ses bras ? Ou éviter tout contact physique ? Elle résolut le problème en se dressant sur la pointe des pieds et en lui piquant un baiser sur les lèvres.

— Au revoir, David.

— Au revoir.

Elle sortit d’un pas assuré, l’œil sec et sans se retourner. David la regarda s’éloigner dans le couloir mais le vrombissement insistant du vidéophone le tira de sa contemplation. Il referma la porte, se laissa tomber sur un divan devant la console et enfonça le bouton RÉPONSE. Un écran mural s’alluma. Le visage grandeur nature du Dr Cobb sur son lit d’hôpital était renfrogné.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de fous ? Soixante-quinze pour cent des bénéfices de la société utilisés pour construire de nouvelles colonies spatiales ?

David se croyait immunisé contre la surprise mais, une fois de plus, le vieux le prenait au dépourvu.

— Comment avez-vous… Cette conférence était censée être confidentielle.

— Rien n’est confidentiel pour moi, mon garçon. Mais explique-moi un peu quelle mouche t’a piqué. Pourquoi leur as-tu dis que c’était une idée à moi ?

— Mais c’est votre projet. Je l’ai simplement chiffré.

— Soixante-quinze pour cent de nos revenus ?

— C’est ce qu’il faut pour réaliser l’opération dans un délai raisonnable.

— Raisonnable ? Mais c’est nous retirer le pain de la bouche ! Attends seulement que Garrison et le reste du directoire aient vent de la chose !

— Quand allez-vous les mettre au courant ?

— Moi ? Mais c’est toi qui les mettras au courant. Tu es le patron, maintenant. Je suis un invalide cloué sur son lit de douleurs, tenaillé par la maladie, commotionné. À toi de parler à Garrison.

David se redressa.

— Eh bien, d’accord. Je lui parlerai.

— Il te hachera en petits morceaux. Soixante-quinze pour cent de ses bénéfices !

David qui sentait la colère monter en lui laissa sèchement tomber :

— J’ai déjà été haché menu par des gens qui étaient orfèvres en la matière. Je l’appelle tout de suite. On va voir qui mettra l’autre au pas !

— Je ne veux pas rater le spectacle, s’exclama Cobb en souriant aux anges.

Il fallut près d’un quart d’heure à David pour avoir Garrison en ligne. Sa maison était transformée en chantier. Des équipes d’ouvriers s’affairaient à réparer les dégâts causés par les terroristes, on repeignait les murs, on apportait de nouveaux meubles. La purification du temple profané, songea David.

Arlène Lee essaya de jouer les états tampons mais Cobb et lui insistèrent : il fallait absolument qu’ils parlent à Garrison en personne.

Celui-ci faisait de la chaise longue sur la terrasse, son corps usé, empaqueté dans un kimono fleuri.

— J’espère pour vous que vous avez une bonne raison pour me déranger, mon jeune ami, maugréa-t-il. C’est en partie à cause de vous que j’ai subi toutes ces avanies et j’ai droit à un repos bien gagné.

David se tortilla sur son divan. Dans la moitié gauche du vaste écran, Garrison le fusillait du regard et, dans la moitié droite, Cobb souriait, la bouche en cœur.

— La conférence politique est terminée, commença-t-il.

— Eh bien, renvoyez ces bouffons d’où ils viennent et bon débarras !

David respira un grand coup et se jeta à l’eau :

— Je leur ai parlé de notre plan, à savoir de consacrer soixante-quinze pour cent des bénéfices d’Île Un à la création de nouvelles colonies spatiales.

Il avait l’impression que son cœur s’arrêtait de battre. Le regard fixé sur l’écran, il s’attendait à voir Garrison exploser.

Mais ce fut sur Cobb que se posèrent les yeux glacés du magnat.

— C’est ça, votre sens de l’humour ? Utiliser ce blanc-bec comme homme de paille pour arriver à vos fins ?

— Quelles fins ?

Pour une fois, Cobb était sincèrement décontenancé.

Garrison eut un rictus qui lui découvrit les dents.

— Je sais parfaitement que vous avez mis à gauche du matériel et des approvisionnements dans l’intention de filer du côté des astéroïdes ou je ne sais quoi pour y fonder d’autres colonies.

— C’est vrai, reconnut Cobb. Il faudra bien en arriver là un jour ou l’autre.

— Et ça me coûtera soixante-quinze pour cent de mes bénéfices ?

La voix de Garrison avait monté d’un ton.

— Seulement si on travaille à la vitesse grand V. Notre jeune ami est très impatient.

— Il faut faire vite, insista David. Il n’y a pas d’autre solution.

Le regard de Garrison était celui, hypnotique, d’un cobra.

— Eh bien, convainquez-moi.

David crut presque l’entendre ajouter : Sinon, je vous avale tout cru.

— Je pourrais, si vous voulez, vous montrer toutes sortes d’analyses effectuées par les ordinateurs qui définissent la situation telle qu’elle se présente avec la plus grande clarté.

— Je n’en doute pas.

David leva sa main du clavier.

— Il faut y aller à fond. Nous n’avons pas le temps d’attendre. Si seuls les résidents d’Île Un entraient en ligne de compte, on pourrait, certes, se permettre de temporiser. Mais nous ne sommes pas les seuls. Nous ne sommes pas et nous n’avons jamais été coupés du reste du monde. Ce qui s’est passé ici ces dernières semaines en est la preuve.