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Le fauteuil pivota et Garrison repartit en direction du jardin d’intérieur. Al-Hachémi, bouillonnant de fureur, n’avait d’autre solution que de le suivre.

Il n’a pas vraiment besoin de cet engin. Il est vieux mais pas infirme. C’est uniquement un prétexte pour rester assis, pour m’humilier, pour bien me montrer qui est le maître dans cette maison et qui est le demandeur.

— Je vais vous faire voir quelque chose que personne au monde n’a jamais vu, excepté six hommes. Et il y en a deux qui sont morts !

Garrison s’esclaffa et toussa.

— Je voulais vous parler de la femme pirate en fuite, dit al-Hachémi tout en marchant derrière le fauteuil au milieu des fougères et des bosquets exotiques.

— Shéhérazade ? Celle qui s’est évadée avec un de mes bonshommes au nez et à la barbe d’El Libertador ?

— Oui, c’est ainsi qu’elle se fait appeler.

Ils étaient arrivés devant un mur moussu. Garrison fit claquer ses doigts osseux et une porte coulissa, révélant un second ascenseur. Il entra dans la cabine et son fauteuil effectua un demi-tour. Al-Hachémi y pénétra à son tour et la porte se referma silencieusement.

— C’est votre fille, hein ?

Ce n’était pas une question.

La descente fut brutale et al-Hachémi se sentit tout chose. Les jambes molles et un creux dans le ventre.

— Oui. Vous le savez.

— Et vous voulez la retrouver.

— Vivante et indemne.

— Pourquoi voudrais-je qu’il lui arrive du mal ?

L’ascenseur s’enfonçait en chuintant dans les profondeurs de la tour. Jusqu’où va-t-on aller comme ça ? se demandait l’émir tout en parlant. Nous sommes sûrement déjà arrivés au niveau du sous-sol.

— Shéhérazade est une révolutionnaire, un guérillero, répondit-il avec gêne. Elle cherche à renverser l’ordre établi — à détruire nos consortiums aussi bien que le Gouvernement mondial.

— Mais c’est votre fille et vous voulez la protéger, c’est ça ?

— Naturellement.

Enfin, l’ascenseur ralentit et s’immobilisa avec une secousse et al-Hachémi manqua de perdre l’équilibre.

— Voilà pourquoi je ne quitte pas ce fauteuil, mon jeune ami, gloussa Garrison. Mes vieilles jambes ne supportent pas ces à-coups. J’étais en bas quand votre hélicoptère s’est posé. C’est la raison pour laquelle je suis arrivé un peu en retard pour vous saluer. J’étais descendu une heure avant le moment prévu de votre atterrissage et je ne me suis pas rendu compte du passage du temps.

La porte de la cabine s’ouvrit. Devant les deux hommes s’allongeait un couloir cimenté aux murs nus qu’éclairait une rampe fluorescente et qui s’achevait sur une miroitante porte d’acier. On se serait cru devant une chambre forte.

— Ne vous inquiétez pas, reprit Garrison. J’ai déjà chargé des gens à moi de retrouver la trace du garçon qui l’accompagne. Il m’appartient, ce jeune homme. Cobb l’a laissé filer d’Île Un et je tiens à ce qu’il y retourne, et entier. Nous récupérerons votre fille en même temps que lui.

— Entière, elle aussi.

Ils étaient parvenus à la porte. Garrison arrêta son fauteuil et se retourna à moitié vers al-Hachémi.

— Ne vous est-il encore jamais venu à l’esprit que ces jeunes excités sont nos meilleurs alliés ? Ils ne peuvent pas nous nuire. D’accord, ils détruiront une certaine quantité de biens matériels et ils tueront un certain nombre de gens mais, en fait, cela ne nous fera ni chaud ni froid. Ils kidnappent les nôtres ? Et alors ? Nous payons une rançon pour les délivrer. C’est un moyen de financer nos petits fauteurs de troubles sans donner l’éveil au Gouvernement mondial.

— Je n’en disconviens pas. J’ai moi-même utilisé avec d’excellents résultats des groupes locaux du F.R.P. contre le G.M. Mais s’ils deviennent trop puissants…

— N’ayez crainte, fit Garrison avec sérénité. Cela ne se produira pas. Tout ce qu’ils font est antiproductif. Oh ! Ils feront merveille pour nous aider à renverser le Gouvernement mondial mais ils seront incapables de prendre les choses en main. Ils ont déjà commencé à flirter avec El Libertador mais ça ne marchera pas. Il exigera qu’ils lui obéissent, qu’ils soient patients, qu’ils filent doux… Ils ne s’y résoudront jamais.

— Vous en êtes sûr ?

— Absolument. Mais assez parlé politique. Si je vous ai conduit ici, c’est pour vous montrer quelque chose de peu commun.

Garrison se pencha et appuya la paume contre la plaque identificatrice encastrée au centre de la porte. Elle s’éclaira fugitivement d’un éclat rouge qui vira au bleu. Garrison se laissa aller contre le dossier de son fauteuil et le lourd battant pivota.

— Entrez, lança l’Américain derrière son épaule tandis que le siège redémarrait et s’enfonçait dans la pénombre.

Al-Hachémi obéit. C’était une très petite pièce, fraîche et sèche. La moelleuse carpette étouffait le bruit de ses pas.

— Restez où vous êtes, lui intima Garrison.

On eût dit que sa voix était aspirée par l’obscurité comme si la pièce était phoniquement isolée afin d’empêcher tout écho.

De la haute voûte fusa un faisceau de lumière qui tomba sur un tableau. Un tableau qui disait quelque chose à l’émir. Il s’en approcha.

— La Vierge à l’Enfant de Vinci.

Le gloussement de Garrison crépita dans l’ombre derrière l’émir.

Un autre projecteur s’alluma et al-Hachémi se retourna. Il vit une petite statue représentant une vieille femme. Un Rodin, il n’y avait pas à s’y méprendre. Troisième spot : un Chagall. Quatrième : deux minuscules chars d’or posés sur un socle de velours. Il se pencha pour les examiner de près. Aucune vitrine ne les protégeait. Il pouvait les prendre dans sa main.

— Cela vient de la Babylone antique, fit-il dans un soupir caverneux.

— Eh oui. Pas loin de Bagdad à vol de jet.

Al-Hachémi se redressa. Les projecteurs détouraient le visage de Garrison.

— Mais ces pièces ont été volées au musée de Bagdad il y a dix ou douze ans.

— Dame ! ricana l’Américain.

De nouveaux projecteurs vinrent à la vie : un Bruegel, un Picasso, un Donatello, d’anciennes peintures chinoises sur soie, une sculpture électronique ultramoderne, des peintures à l’huile, des bronzes, des dessins, des pierres sculptées et peintes par d’anonymes artistes primitifs.

— Tout ce que vous voyez a été volé, reprit la voix sifflante de Garrison. Tout sans exception. Tenez, ce Hunsberg… la toile abstraite, là-bas… je me la suis appropriée lors de son transfert à la Maison-Blanche.

Plié en deux, il riait de si bon cœur qu’il fut soudain pris d’une quinte de toux.

Tout le plafond était maintenant illuminé et al-Hachémi distingua au fond de la salle exiguë un vitrail provenant d’une cathédrale d’Europe. À l’autre extrémité, devant une mosaïque au motif incroyablement compliqué, se dressait une statue en or figurant un Bouddha assis grandeur nature.

— Tous les objets rassemblés ici ont été volés, répéta Garrison en se contrôlant pour ne pas se remettre à tousser.

Al-Hachémi lissa sa barbe taillée au cordeau, hésitant entre la colère, le respect et le dégoût.

— Vous comprenez, dit alors l’autre d’une voix soudain dure, quand on a plus d’argent qu’on ne pourra jamais en dépenser, quand on n’a plus envie d’acheter rien ni personne, que reste-t-il ? Uniquement les choses qui n’ont pas de prix, les choses que nul ne vendra jamais. Alors, je vole des œuvres d’art pour m’amuser. C’est mon hobby.