Pausanias, il est vrai donne à Apollon le titre de divinité égyptienne; mais pour être divinité égyptienne, il n'était pas nécessaire qu'il fût né en Égypte; il suffisait qu'il y fût regardé comme un dieu, et c'est ce que Pausanias a voulu nous dire; il a voulu nous dire que les Égyptiens l'adoraient, et cela encore établit un rapport de plus entre Napoléon et le soleil, car on dit qu'en Égypte Napoléon fut regardé comme revêtu d'un caractère surnaturel, comme l'ami de Mahomet, et qu'il y reçut des hommages qui tenaient de l'adoration.
3) On prétend que sa mère se nommait Letitia. Mais sous le nom de Letitia, qui veut dire la joie, on a voulu désigner l'aurore, dont la lumière naissante répand la joie dans toute la nature; l'aurore, qui enfante au monde le soleil, comme disent les poètes, en lui ouvrant, avec ses doigts de rose, les portes de l'Orient.
Encore est-il bien remarquable que, suivant la mythologie grecque, la mère d'Apollon s'appelait Leto, ou Lètô. Mais si de Leto les Romains firent Latone, mère d'Apollon, on a mieux aimé, dans notre siècle, en faire Letitia, parce que laetitia est le substantif du verbe laetor ou de l'inusité laeto, qui voulait dire inspirer la joie.
Il est donc certain que cette Letitia est prise, comme son fils, dans la mythologie grecque.
4) D'après ce qu'on en raconte, ce fils de Letitia avait trois soeurs, et il est indubitable que ces trois soeurs sont les trois Grâces, qui, avec les Muses, leurs compagnes, faisaient l'ornement et les charmes de la cour d'Apollon, leur frère.
5) On dit que ce moderne Apollon avait quatre frères. Or, ces quatre frères sont les quatre saisons de l'année, comme nous allons le prouver. Mais d'abord, qu'on ne s'effarouche point en voyant les saisons représentées par des hommes plutôt que par des femmes. Cela ne doit pas même paraître nouveau, car, en français, des quatre saisons de l'année, une seule est féminine, c'est l'automne; et encore nos grammairiens sontpeu d'accord à cet égard. Mais en latin autumnus n'est pas plus féminin que les trois autres saisons; ainsi, point de difficulté là-dessus. Les quatre frères de Napoléon peuvent représenter les quatre saisons de l'année; et ce qui suit va prouver qu'ils les représentent réellement.
Des quatre frères de Napoléon, trois, dit-on, furent rois; et ces trois rois sont le Printemps, qui règne sur les fleurs; l'Été, qui règne sur les moissons, et l'Automne, qui règne sur les fruits. Et comme ces trois saisons tiennent tout de la puissante influence du soleil, on nous dit que les trois frères de Napoléon tenaient de lui leur royauté et ne régnaient que par lui. Et quand on ajoute que, des quatre frères de Napoléon, il y en eut un qui ne fut point roi, c'est parce que, des quatre saisons de l'année, il en est une qui ne règne sur rien: c'est l'Hiver.
Mais si, pour infirmer notre parallèle, on prétendait que l'hiver n'est pas sans empire, et qu'on voulût lui attribuer la triste principauté des neiges et des frimas, qui, dans cette fâcheuse saison, blanchissent nos campagnes, notre réponse serait toute prête: c'est, dirions-nous, ce qu'on a voulu nous indiquer par la vaine et ridicule principauté dont on prétend que ce frère de Napoléon a été revêtu après la décadence de toute sa famille, principauté qu'on a attachée au village de Canino, de préférence à tout autre, parce que canino vient de cani, qui veut dire les cheveux blancs de la froide vieillesse, ce qui rappelle l'hiver. Car, aux yeux des poètes, les forêts qui couronnent nos coteaux en sont la chevelure, et quand l'hiver les couvre de ses frimas, ce sont les cheveux blancs de la nature défaillante, dans la vieillesse de l'année: Cum gelidus crescit canis in montivus humor.
Ainsi, le prétendu prince de Canino n'est que l'hiver personnifié; l'hiver qui commence quand il en reste plus rien des trois belles saisons, et que le soleil est dans le plus grand éloignement de nos contrées envahies par les fougueux enfants du Nord, nom que les poètes donnent aux vents qui, venant de ces contrées, décolorent nos campagnes et les couvrent d'une odieuse blancheur; ce qui a fourni le sujet de la fabuleuse invasion des peuples du Nord dans la France, où ils auraient fait disparaître un drapeau de diverses couleurs, dont elle était embellie, pour y substituer un drapeau blanc qui l'aurait couverte tout entière, après l'éloignement du fabuleux Napoléon. Mais il serait inutile de répéter que ce n'est qu'un emblème des frimas que les vents du Nord nous apportent durant l'hiver, à la place des aimables couleurs que le soleil maintenait dans nos contrées, avant que par son déclin il se fût éloigné de nous; toutes choses dont il est facile de voir l'analogie avec les fables ingénieuses que l'on a imaginées dans notre siècle.
6) Selon les mêmes fables, Napoléon eut deux femmes; aussi en avait-on attribué deux au Soleil. Ces deux femmes du Soleil étaient la Lune et la Terre: la Lune, selon les Grecs (c'est Plutarque qui l'atteste), et la Terre, selon les Égyptiens; avec cette différence bien remarquable que, de l'une (c'est-à-dire la Lune), le Soleil n'eut point de postérité, et que de l'autre il eut un fils, un fils unique; c'est le petit Horus, fils d'Osiris et d'Isis, c'est-à-dire du Soleil et de la Terre, comme on le voit dans l'Histoire du Ciel, tome 1, page 61 et suivantes. C'est une allégorie égyptienne, dans laquelle le petit Horus, né de la Terre fécondée par le Soleil, représente les fruits de l'agriculture; et précisément on a placé la naissance du prétendu fils de Napoléon au20 mars, à l'équinoxe du printemps, parce que c'est au printemps que les productions de l'agriculture prennent leur grand développement.
7) On dit que Napoléon mit fin à un fléau dévastateur qui terrorisait toute la France, et qu'on nomma l'hydre de la Révolution. Or, une hydre est un serpent, et peu importe l'espèce, surtout quand il s'agit d'une fable. C'est le serpent Python, reptile énorme qui était pour la Grèce l'objet d'une extrême terreur, qu'Apollon dissipa en tuant ce monstre, ce qui fut son premier exploit; et c'est pour cela qu'on nous dit que Napoléon commença son règne en étouffant la Révolution française, aussi chimérique que tout le reste; car on voit bien que révolution est emprunté du mot latin revolutus, qui signale un serpent roulé surlui-même. C'est Python, et rien de plus.
8) Le célèbre guerrier du XIXe siècle avait, dit-on douze maréchaux de son empire à la tête de ses armées, et quatre en non-activité. Or les douze premiers (comme bien entendu) sont les douze signes du zodiaque, marchant sous les ordres du soleil Napoléon, et commandant chacun une division de l'innombrable armée des étoiles, qui est appelée milice céleste dans la Bible, et se trouve partagée en douze parties, correspondant aux douze signes du zodiaque. Tels sont les douze maréchaux qui, suivant nos fabuleuses chroniques, étaient en activité de service sous l'empereur Napoléon; et les quatre autres, vraisemblablement, sont les quatre points cardinaux qui, immobiles au milieu du mouvement général, sont fort bien représentés par la non-activité dont il s'agit.
Ainsi, tous ces maréchaux, tant actifs qu'inactifs, sont des êtres purement symboliques, qui n'ont pas eu plus de réalité que leur chef.
9) On nous dit que ce chef de tant de brillantes armées avait parcouru glorieusement les contrées du Midi, mais qu'ayant trop pénétré dans le Nord, il ne put s'y maintenir. Or, tout cela caractérise parfaitement la marche du soleil.
Le soleil, on le sait bien, domine en souverain dans le Midi, comme on le dit de l'empereur Napoléon. Mais ce qu'il y a de bien remarquable, c'est qu'après l'équinoxe du printemps le soleil cherche à gagner les régions septentrionales, en s'éloignant de l'équateur. Mais au bout de trois mois de marche vers ces contrées, il rencontre le tropique boréal qui le force à reculer et à revenir sur ses pas vers le Midi, en suivant le signe du Cancer, c'est-à-dire de l'Écrevisse, signe auquel on a donné ce nom (dit Macrobe) pour exprimer la marche rétrograde du soleil dans cet endroit de la sphère. et c'est là-dessus qu'on a calqué l'imaginaire expédition de Napoléon vers le Nord, vers Moscow, et la retraite humiliante dont on dit qu'elle fut suivie.