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— Je vais aussi changer tous les rideaux. J’en ai assez. La vie est trop courte pour vivre au milieu de choses qui ne sont pas belles !

« La vie est trop courte pour passer une seule minute à subir ce genre de personne », songea Blake. Il en avait connu beaucoup de cette espèce, ceux qui viennent pour vous écouter mais qui ne parlent que d’eux, ceux qui étalent devant moins chanceux qu’eux pour se sentir encore plus puissants. Andrew ne les avait jamais supportés. L’expression de Mme Beauvillier le bouleversait. Elle s’efforçait de s’intéresser aux propos de son invitée, en jetant des regards affolés à son propre salon dont elle avait tout à coup honte. À force de fréquenter des gens de cette engeance, pas étonnant qu’elle s’enferme ensuite dans sa chambre à longueur de journée.

— Merci, monsieur Blake, vous pouvez nous laisser.

La honte s’accommode mal de témoins.

Le soir, dans la cuisine, lorsque Andrew prit place face à Odile, il n’avait pas décoléré. La cuisinière le regardait avec un sourire amusé.

— Qu’est-ce qui vous met ainsi en joie ? questionna-t-il.

— Vous. D’habitude, la plus énervée de cette maison, c’est moi. Ça me fait du bien de voir quelqu’un d’autre prendre le relais.

— Non mais vous vous rendez compte ? Entre cet escroc d’entrepreneur et cette méchante femme, on tient la recette idéale pour se gâcher la vie.

— Je suis bien d’accord avec vous. Et attendez de voir les autres relations de Madame…

— Ils sont tous du même style ?

— Certains sont encore pires.

— Elle n’a pourtant pas l’air du genre à apprécier les mauvaises fréquentations.

— Certes non, mais quand on a peur de tout, même de son ombre, on se fourvoie parfois… Excusez-moi, se reprit Odile, je ne devrais pas parler de Madame comme ça.

Méphisto fixait Blake de son regard surnaturel. Il était à moins de un mètre de la gazinière. Andrew le désigna d’un mouvement du menton.

— On dirait qu’il m’a pardonné d’avoir mangé sa gamelle.

— Il a bon cœur…

— Sans vouloir retourner le couteau dans la plaie, c’était délicieux.

— Vous n’aimez pas ce que je vous prépare ? De toute façon, ici, entre Madame qui ne veut rien d’inhabituel et Philippe qui mange n’importe quoi, je ne vois pas pourquoi je me décarcasserais.

— Je ne dis pas que ce que vous nous cuisinez est mauvais, je dis simplement qu’il faut un sacré talent pour préparer une terrine pareille.

Odile se dépêcha de se lever pour ne pas laisser voir qu’elle était touchée. Elle s’empara d’un torchon, puis ouvrit le four, qui était vide, avant d’aller à l’évier se laver les mains alors qu’elles étaient propres.

Blake fit un clin d’œil au chat.

— Alors comme ça, tu n’aimes pas les caresses ?

Le chat détourna le regard.

— Tant pis pour toi, continua Andrew. C’est toi que ça prive.

— Il aime bien les câlins, intervint Odile, mais uniquement si c’est moi qui les lui fais, et ce n’est pas son heure parce qu’en général…

Sans lui laisser le temps de finir sa phrase, Méphisto se leva et vint ronronner dans les jambes de Blake. L’animal s’enroulait littéralement autour de ses mollets. La cuisinière était aussi stupéfaite que jalouse. Andrew caressa l’animal, qui se laissa faire.

— C’est bien votre chat, Odile : un vrai charme sous ses airs distants.

Elle resta bouche bée. Blake demanda :

— Savez-vous pourquoi il change de place dans la cuisine ?

— C’est un chat, il n’y a pas forcément de raison rationnelle…

— Je n’en suis pas certain. Me permettez-vous de tenter une expérience dans les jours qui viennent ?

— Qu’allez-vous faire ?

— Faites-moi confiance.

— Vous promettez que ça ne fera pas de mal à Méphisto et que ça ne va pas m’énerver ?

— Méphisto ne risque rien, vous par contre…

La cuisinière fit mine de jeter le torchon sur le majordome. L’espace d’un instant, ils partagèrent quelque chose de léger.

— Madame Odile, c’était excellent mais je dois vous laisser. Je descends chez M. Magnier, j’ai à lui parler de travaux à faire — entre autres.

17

À peine la porte entrebâillée, Youpla se précipita dans les jambes d’Andrew pour lui faire la fête. Il couinait en bondissant, la queue en mode hélicoptère. Un vrai chien de garde.

— Monsieur Cake ! Comme c’est gentil de passer. Si j’avais su, j’aurais préparé quelque chose.

— Désolé d’arriver à l’improviste, mais il fallait que je vous parle. Je ne dérange pas au moins ? Vous n’attendez personne ?

Magnier secoua la tête avec un petit rire, mais il n’était visiblement pas à l’aise.

— Je vous offre à boire ?

— Non merci, je sors de table.

— Un digestif ?

— Sans façon, vraiment.

— Vous jouez aux échecs, alors ?

Andrew ne fut pas certain de comprendre le sens de la question.

— Que voulez-vous dire ? C’est encore une de vos expressions ?

— Non, je vous demande simplement si vous jouez aux échecs. Avec les cases noires et blanches, le roi, la reine, les tours et les cavaliers…

— Pourquoi voulez-vous savoir cela ?

— Parce que vous n’avez pas l’air d’être le genre d’homme à passer des heures autour d’une bouteille, alors je me demande à quoi nous allons bien pouvoir occuper notre temps.

Philippe était désarmant de sincérité.

— J’ai joué quand j’étais plus jeune, mais cela fait bien longtemps.

— Parfait. On s’y remettra ensemble. Mais pas ce soir, j’imagine. Alors, de quoi vouliez-vous me parler ?

— Je crois que l’on devrait réparer l’interphone du portail et celui qui relie votre maison au manoir.

Magnier se frotta le menton en grimaçant.

— Pour celui du portail, je ne suis pas contre. Pour le mien, si c’est vous qui vous en servez, je suis d’accord, mais si c’est Odile…

Andrew en profita pour oser poser la question :

— Qu’est-ce qui se passe entre Odile et vous ?

— Ce serait plutôt qu’est-ce qui ne se passe pas. Je n’ai même pas le droit d’entrer dans sa cuisine ! Alors qu’on bosse pour la même patronne !

— Un problème entre vous ?

— Elle a toujours eu peur de perdre son job. Alors elle repousse tous ceux qui risquent d’empiéter sur son territoire. Je travaillais sur le domaine avant elle mais je vivais déjà à l’écart, ici. Me maintenir à distance n’a pas été compliqué. Avec vous, elle risque d’avoir plus de mal…

— Elle ne s’est pas rassurée avec les années ?

— Pas vraiment.

— Elle semble encore très remontée contre vous.

— Il y a bien autre chose. À vous, je peux l’avouer. Je vis seul, elle vit seule, alors j’ai essayé de changer la situation pour nous deux en une seule opération…

— Je comprends.

— Elle a très mal réagi, et depuis elle se méfie de moi et me rembarre sans arrêt. Je n’ai sans doute pas été très fin, mais quand même !

— Pardon de vous poser ces questions, mais je débarque et j’essaie de comprendre pourquoi tout est de travers, dans le manoir, dans la plomberie et dans la tête des gens.

— Mais le monde est ainsi, monsieur Clack ! C’est la triste condition humaine. Nul n’échappe au désordre qui affecte notre univers imparfait.

— C’est donc vrai ce que l’on raconte…