Выбрать главу

— Toi, mon ami, je te conseille d’attendre un peu avant de rentrer. Tu as encore des choses à apprendre pour savoir comment y faire avec les filles…

34

— Heather ? Bonsoir, c’est Andrew Blake.

— Monsieur Blake ! Mais où êtes-vous ? Je suis tellement inquiète ! Je ne vous entends pas bien.

— Je suis en France, dans une forêt, et il pleut. C’est un peu compliqué à expliquer.

— Vous vous promenez aussi tard ?

— Ne cherchez pas à comprendre, Heather, j’en suis moi-même incapable. Comment allez-vous ?

— Je survis. Vous m’avez poussée dans le grand bain alors que je savais à peine nager.

— Comment ça se passe ?

— Je lutte pour garder la tête hors de l’eau. J’espérais un appel de vous plus tôt. Quand j’ai demandé de vos nouvelles, M. Ward m’a dit que vous étiez en camp de rééducation…

— Celui-là, il n’en loupe jamais une…

— Vous êtes en rééducation de quoi ?

— De rien, Heather. Parlez-moi plutôt de vous.

— J’ai fait le premier bilan intermédiaire depuis votre départ et les chiffres sont bons. Les gars de l’atelier sont adorables. Ils m’expliquent tout ce que je ne sais pas. Je commence à m’y retrouver dans les références. Ici, les réunions sont un peu plus houleuses. Addinson accepte mal que ce soit la secrétaire qui tienne les rênes.

— Vous n’êtes plus secrétaire, Heather, mettez-vous ça dans le crâne. Si vous-même n’en êtes pas convaincue, alors il n’y a aucune chance que les autres le soient.

— Ils ont tout tenté pour me déstabiliser. Le bruit a même couru que vous étiez mort et que comme j’étais votre maîtresse, j’avais imité votre signature sur les papiers pour prendre le pouvoir.

— Laissez-les dire — même si je vous souhaite des liaisons plus glorieuses. Seuls les faits comptent, et n’hésitez pas à vous appuyer sur Maître Benderford pour vous faire respecter.

— Nous risquons de remporter un très bel appel d’offres de la part d’un industriel suédois. L’atelier dit que si nous obtenons le marché, il faudra investir dans une nouvelle plieuse.

— Préparez la commande, planifiez la livraison avec l’atelier, mais attendez d’avoir signé le contrat pour lancer l’achat. Vous n’avez pas eu de problème avec les cours de l’acier ?

— Nous avions du stock. On a fonctionné dessus en attendant que les cours redeviennent acceptables. On aura sûrement plus de mal en fin d’année, d’autant qu’en trésorerie, il faut déjà provisionner les primes de décembre.

— Ne versez rien à Addinson ni à ses sbires.

— Comptez sur moi. Au fait, monsieur, merci d’avoir augmenté mon salaire.

— Normal. Désormais, les soucis sont pour vous !

— Quand rentrez-vous ?

— Je ne sais pas, Heather, et même à mon retour, il est probable que je ne reprenne pas complètement mon poste. Vous ne serez plus jamais mon assistante. J’espère que vous êtes un peu plus rassurée sur vous-même ?

— Pas complètement.

— J’ai un petit service à vous demander, Heather.

— Dites-moi.

— Je voudrais que vous vous renseigniez sur une société immobilière française qui s’appelle « Vandermel Immobilier ».

— Vous vous lancez dans la construction ?

— Ce serait plutôt l’inverse. Trouvez-moi le plus d’informations possible sur eux : bilans, comptes, cursus des dirigeants, programmes en cours, tout ce que vous pourrez.

— Bien, monsieur. Comment puis-je vous faire parvenir les résultats ?

— Je vous recontacterai. Et ne vous inquiétez pas pour moi, Heather. Je vais bien.

— Je vous trouve effectivement une bonne voix. Meilleure que depuis longtemps.

— Je vous laisse, je crois que les renards m’ont repéré. À bientôt.

35

Encore un courrier de la banque que Mme Beauvillier glissa dans son tiroir. Elle enchaîna sans entrain avec un catalogue dont la couverture présentait pourtant un sapin de Noël couvert de guirlandes et de boules multicolores, avec à côté un joyeux bonhomme de neige rondouillard. Elle contempla un instant la créature au nez de carotte coiffée d’un haut-de-forme, vaguement monstrueuse, avant de rejeter l’ensemble. Pour réagir ainsi, son moral devait être au plus bas. Elle soupira en découvrant la lettre suivante. Enveloppe verte, adresse manuscrite. Identique à celle qu’Andrew avait aperçue environ un mois plus tôt. Sans s’attarder, Mme Beauvillier la glissa dans le broyeur, qui la transforma en fines bandelettes.

— Maigre récolte…, commenta-t-elle en constatant qu’il n’y avait plus rien à décacheter.

— Vous semblez soucieuse, nota Andrew.

— Ne vous en faites pas, monsieur Blake. Votre rôle n’est pas de vous inquiéter. J’assume tout.

Madame détourna le regard, comme si elle avait craint qu’Andrew puisse y lire autre chose que ce qu’elle avait dit. Il n’insista pas et rebondit :

— Si vous avez encore une minute à me consacrer, j’aurais souhaité aborder plusieurs points relatifs au fonctionnement du manoir.

— Je vous écoute.

— J’ai proposé à Odile d’aménager une chatière dans la porte qui donne sur le jardin, pour Méphisto. Cela ne coûtera rien. Y voyez-vous un inconvénient ?

— Si cela peut lui éviter de pousser des hurlements en découvrant des souris mortes, vous avez ma bénédiction.

Blake s’éclaircit la voix avant de poursuivre — il savait le sujet suivant plus délicat.

— J’aurais aussi souhaité savoir si vous accepteriez que je m’installe dans la bibliothèque pour y rédiger vos courriers. Je n’ai pas de bureau et votre secrétariat nécessiterait bien un espace de travail plus approprié que la table de la cuisine.

— Je ne tiens pas à ce que l’on entre dans cette pièce.

— Je le sais, mais c’est pourtant l’endroit le plus adapté à ce que je dois faire. La collection de livres de votre mari ne s’en porterait d’ailleurs que mieux. Toujours dans l’obscurité, sans ventilation, sans ménage, ce n’est pas idéal.

Mme Beauvillier baissa les yeux comme on rend les armes.

— J’ai besoin d’y réfléchir. Vous aurez ma réponse demain.

— Bien, madame. Le dernier point est plus personnel…

— Vous n’allez pas encore essayer de vous mêler de mes affaires ?

— Tout au plus tenter de prendre soin de vous. Odile et moi vous trouvons fatiguée ces derniers temps. Nous serions d’avis que vous preniez rendez-vous avec un médecin…

— Certainement pas. Pour qu’il me gave de médicaments qui détruisent autant qu’ils soignent ! Je suis très touchée de votre sollicitude, mais je suis assez grande pour prendre soin de moi. Autre chose ?

— Non, madame.

— Alors je vais vous demander de me laisser.

— Vous n’attendez personne dans les prochains jours ?

— Aucun rendez-vous n’est pris. Vous serez informé en temps utile, merci.

Avant de sortir, Andrew la regarda une dernière fois. Son visage était tendu, presque crispé. À la première occasion, il se ferait un devoir d’aller voir pourquoi au fond de la penderie. Beaucoup de réponses l’y attendaient.

36

— C’est vraiment gentil de m’inviter à déjeuner, déclara Manon en se glissant timidement sur sa chaise.

— Ça te changera les idées, répondit Odile. Et puis ça nous laissera le temps de causer, ce n’est pas si souvent.

Blake posa le plateau des condiments au centre de la table et prit place face à la jeune femme. Les yeux creusés, Manon semblait épuisée. Lorsqu’elle s’aperçut que le chat était installé sur la chaise à côté d’elle, à demi caché sous la table, son visage s’illumina et elle le caressa doucement du bout des doigts. Il ne frémit pas d’une moustache.