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— Ça nous fait plaisir, intervint Justin.

— C’est un grand honneur que vous me faites. Pauvre petit ! À l’école, ses copains vont lui jeter des pierres quand ils s’apercevront qu’il a un deuxième prénom anglais.

— Au manoir, sans vous, ce n’est plus pareil, reprit Manon. Odile et Madame sont déboussolées.

— Si j’avais laissé faire Odile, elle m’aurait apporté mon repas matin, midi et soir. Il faut dire que lorsque je vois arriver leur plateau-repas, je rêve de ses petits plats…

— Madame aussi attend votre retour.

— En parlant de retour, des nouvelles de Méphisto ?

— Toujours pas. Odile est convaincue qu’il s’est fait écraser.

— Pauvre petite boule de poils. Ce serait bien triste.

Manon vit que Magnier était apparu à l’entrée de la chambre. Elle le salua et dit :

— On va vous laisser. De toute façon, on doit y aller.

Elle ajouta à l’adresse de Blake :

— On repasse demain si on peut.

— Merci encore pour le petit.

Manon lui fit un grand sourire puis Justin et elle s’éclipsèrent. Sur le pas de la porte, sans trop oser bouger, Magnier observait son complice en évitant son regard.

— Tu me reconnais ? demanda-t-il timidement.

— Parfaitement. Vous êtes le vicomte de la tronche en biais. Qu’est-ce que tu fais sur le seuil comme ça ? Entre donc.

— Comment te sens-tu ?

— Je récupère. Je suis content de te voir. Tu aurais dû apporter l’échiquier, j’aurais pris ma revanche. Attrape la chaise, tu vas bien rester cinq minutes ?

Magnier ne se fit pas prier. Il regardait maintenant Andrew fixement. Blake désigna la bande qui lui entourait le front.

— Tu as vu, j’ai le même bandage que toi lorsque tu t’es pris ton arbre. J’espère que je ne vais pas autant délirer que toi…

— J’ai eu tellement peur, avoua Magnier. J’ai vraiment cru que tu étais mort. Je m’en serais voulu jusqu’à la fin de mes jours.

— C’est raté. Est-ce pour cela que tu as mis si longtemps à venir me rendre visite ? Même Madame est sortie de son trou.

— Je n’osais pas. Trop honte.

— C’est un accident, Philippe. Le mot est le même en français et en anglais. Personne ne m’a forcé.

— Les docteurs disent qu’une fois ta côte ressoudée, tout sera comme avant.

— Pas tout à fait, Philippe.

Magnier prit peur.

— Que veux-tu dire ?

— Je me souviens très bien de ce que je t’ai demandé lorsque j’ai cru ma dernière heure venue.

— À propos de ta fille ?

— La vie est étrange, mon ami. Quelques jours avant ma chute, c’est une remarque de Manon qui m’a anéanti. Elle a dit que pour ma fille, avoir un père qui fait autant que moi était un don du ciel. Si j’avais été un château, en entendant ça, je me serais effondré d’un coup. Affreux. Je n’ai rien fait pour ma fille. Depuis des années, je m’occupe de tout le monde sauf d’elle. Ça m’a sauté aux yeux à la seconde où Manon m’a dit ça. J’étais dévasté. L’autre électrochoc, c’est toi qui me l’as administré, quand tu m’as rappelé que c’était à moi de lui dire ce que je regrettais…

— Désolé de t’avoir blessé.

— Tu ne m’as pas blessé. Je crois même que c’est grâce à ta remarque que je suis encore vivant. Tu sais, Philippe, avant, mourir ne me faisait pas peur. J’avais la sensation de ne plus rien avoir à faire ici-bas. Mais maintenant, je ne vois plus les choses de la même façon. La mort ne m’attrapera pas avant que j’aie achevé ce qui doit l’être.

Magnier saisit le bras de son complice et lâcha :

— Je suis content de te voir à nouveau avec ton caractère de cochon et tes grandes idées. Pardonne-moi, j’aurais dû venir te voir avant.

— Moi, si un jour tu te retrouves dans le coma, je ne te laisserai pas tomber, infâme crapule. Je serai là dès le lendemain. Je te mettrai une perruque, je te maquillerai et je te ferai poser des implants mammaires. Quand tu te réveilleras, comme moi tu ne te souviendras de rien et là, je te raconterai que tu es Angelina Jolie. Je pourrai même te montrer tes films.

— Pauvre malade !

71

— Je peux augmenter le chauffage si vous avez froid…

— Merci, Justin, tout va bien. Méfiez-vous plutôt du verglas, ils n’ont pas salé partout.

Sur le trajet du retour vers le domaine, Blake reconnaissait à peine le paysage. Après trois jours de neige à gros flocons, même les sous-bois étaient blancs. Les branches ployaient sous le poids de l’épais manteau cotonneux qui recouvrait tout. Pour permettre au véhicule d’entrer, Philippe avait ouvert le grand portail. Justin rétrograda avant de s’engager sur l’allée. Le parc était magnifique, mais le manoir était encore plus impressionnant. Comme dans un conte de fées, les toits, les balcons et tous les bosquets étaient couverts d’une couche immaculée aux formes douces. La lumière en devenait aveuglante malgré le ciel nuageux.

À peine Justin s’était-il garé au pied du perron qu’Odile, Manon, Philippe et même Madame firent leur apparition.

— Quel comité d’accueil ! déclara Andrew en s’extirpant du véhicule.

Philippe proposa de l’aider à monter les marches, mais Blake mit un point d’honneur à prouver qu’il n’en avait pas besoin, même s’il claudiquait. Il plaisanta :

— Depuis combien de temps surveillez-vous l’entrée du domaine pour me voir arriver ? Avec mes jumelles, je présume… Je suis bien content de tous vous retrouver.

Le petit groupe entraîna le rescapé jusqu’à l’intérieur. Odile lui retira délicatement son manteau. Manon le débarrassa de son écharpe pendant que Philippe s’occupait de son sac. Mme Beauvillier les regardait faire, satisfaite de voir Andrew revenir chez elle.

— Ces nouvelles lunettes vous vont bien, commenta Odile.

— Vu l’état des autres, c’était l’occasion de les changer.

Madame coupa :

— Pouvons-nous envisager l’ouverture du courrier ? Nous avons plus d’une heure de retard…

En découvrant le sourire malicieux qu’elle affichait, Blake comprit qu’il s’agissait davantage d’une envie de reprendre leurs habitudes que d’un reproche. Odile confia le paquet d’enveloppes à Andrew, qui monta avec Madame.

Chacun de leur côté du bureau, Madame et Blake répétèrent les gestes déjà accomplis tant de fois. Plus que jamais, ils ressemblaient à deux enfants jouant à un jeu. Il la regardait ouvrir les plis les uns après les autres avec son coupe-papier en forme d’épée. Elle lui en rendait certains avec des instructions de réponse. Pourtant, ce matin, ce n’étaient pas les plis qui avaient toute l’attention de Madame, mais Blake.

— La dernière fois que je vous ai vu, fit-elle, j’ai bien cru que c’était la dernière fois…

Madame réalisa ce que sa phrase avait d’étrange. Andrew hocha la tête.

— J’ai compris. Il faut parfois se méfier de ce que l’on prend pour des dernières fois…

Elle fit tournoyer son épée miniature et demanda :

— Comptez-vous prendre des congés pour les fêtes ?

— Non.

— Personne à voir ?

— Plutôt en janvier. Si vous me le permettez, je resterais bien chez vous jusqu’à la fin de ma période d’essai. Ensuite, d’après ce que vous aviez laissé entendre, je risque d’avoir du temps…

— J’ai peut-être trouvé une solution. Si mes finances sont rétablies, nous pourrons envisager l’avenir du domaine sous un jour meilleur…

Malgré cette annonce positive, Blake s’inquiéta aussitôt. Il aurait voulu en savoir plus, mais il ne pouvait pas se permettre de lui poser de questions.