— Bichoux ! Schnell !
Bien que recroquevillée sur elle-même et morte de trouille, elle répondit :
— Pas compris. Quoi vous dire ?
— Nous foulons les bichoux ! Rapidement ou alors gross problem !
Luigi jetait des regards incrédules à Helmut. Comment en étaient-ils arrivés là ?
Mme Berliner désigna un coffret sur sa coiffeuse. Blake confia son arme à Magnier pour qu’il la tienne en joue.
Philippe résista :
— No pas volaré le pistoléro, Luigi pétocho…
Mais devant le regard insistant de son complice, il céda. Blake renversa le coffret à bijoux — ce qui fit encore crier Mme Berliner. Il ne découvrit pas ce qu’il cherchait. Il se retourna et pointa vers elle un doigt accusateur :
— Fous mentir ! Autres bichoux ! Où être ? Schnell !
Magnier crut bon d’ajouter :
— Pronto rapidissimo !
Complètement paniquée, Mme Berliner désigna sa commode.
— Primo tiroir. Mais vous promettre pas faire mal à moi.
Blake découvrit un petit sac de velours dans lequel étaient rassemblés tous les bijoux vendus par Nathalie. Il déversa le contenu sur le lit et s’empara de deux bagues — dont l’émeraude —, de trois bracelets et d’un magnifique collier. Il reprit le revolver des mains de Philippe et s’approcha de sa victime.
— Si vous telefonieren polizei, nous refenir et gross problem. Verstand ?
— Si senõr ! répondit la femme qui tremblait de tout son corps. Moi dire rien, nada, nib, que pouik. Juré craché.
Philippe était prêt à repartir. La cagoule le démangeait de plus en plus et il suait à grosses gouttes. Tout à coup, Blake plongea la main dans sa poche intérieure et en tira une liasse de billets qu’il jeta sur le lit de Mme Berliner. La femme ne savait plus quoi penser. Magnier ouvrit de grands yeux.
— Ma quéz qué tou fais ?
— Luigi confiance.
— Perqué pognon à la vieille bique ?
— Kein réflexion.
— Helmut frappatoque.
Blake se retourna vers la femme :
— Dédommagement. Fous allez tout oublier. Si parler, ich come back, und, für sich, kolossal katastrof !
Mme Berliner regardait alternativement les billets et le dingue qui sautillait devant elle, avec l’autre petit derrière qui devait souffrir de la même maladie mentale.
— Ich compris. Jamais parler.
Les deux hommes prirent la fuite sans aucune dignité. À mi-chemin du retour, Philippe exigea qu’Andrew stoppe la voiture au milieu de nulle part. Il sauta du véhicule et se précipita dans le fossé enneigé pour vomir. Blake se demanda pourquoi. Après tout, Mme Berliner était dans une tenue tout à fait décente.
81
Mme Beauvillier leva sa flûte de champagne et porta un toast :
— Je vous propose de trinquer aux bons résultats de Manon et à la merveilleuse soirée que nous venons de passer ensemble.
— À Manon ! reprit la tablée en chœur.
Les verres tintèrent. Personne ne remarqua que Blake et Magnier faisaient seulement semblant de boire, comme ils l’avaient d’ailleurs fait depuis le début du repas. Vu ce qui les attendait, ils avaient besoin de rester sobres… Ce soir, dans l’office, l’ambiance n’avait rien d’une réunion entre collègues ou d’un dîner offert par une patronne à ses employés. Quelque chose de plus chaleureux flottait dans l’air. Peut-être parce que Justin était là, certainement parce qu’il s’agissait du réveillon de Noël, sans aucun doute parce que tout le monde avait mis la main à la pâte.
Pour éviter qu’Odile ne passe sa soirée aux fourneaux, Andrew avait eu l’idée de demander à chacun de préparer un plat. Au départ réticente à abandonner son fief et ses outils à des mains moins expertes, la cuisinière s’était laissé convaincre — en gardant tout de même un œil bienveillant sur l’ensemble. Manon avait donc cuisiné une excellente terrine de lotte. Il n’y en avait pas eu beaucoup par personne parce que, profitant d’une courte absence, les chats en avaient volé la moitié alors qu’elle était encore tiède. Mme Beauvillier avait ensuite offert un superbe foie gras pour lequel elle avait elle-même fait griller le pain — un peu trop, d’ailleurs. Andrew s’était aventuré à préparer des médaillons de sole sauce champagne dont Méphisto, bien que déjà gavé de terrine, raffolait particulièrement. Quant à Philippe, il s’était lancé dans la confection de macarons remarquablement réussis sur le plan visuel mais quasiment impossibles à manger étant donné leur densité proche du béton. Chacun apprécia le tact de Madame lorsque, la première, elle se jeta dessus.
— Des macarons ! Quelle bonne idée ! Voilà des années que je n’en ai pas mangé.
À la première bouchée, son enthousiasme retomba aussi vite que ses dents n’allaient pas tarder à le faire si elle insistait à vouloir croquer.
— Très intéressant…, déclara-t-elle, sans se départir de son flegme.
Les plus téméraires se contentèrent de les sucer en espérant qu’ils fondent un jour. Les autres s’en débarrassèrent comme ils le pouvaient — poches, tentative de panier dans la poubelle — en évitant de justesse le fou rire. Dans une touchante opération de valorisation, Odile s’obligea à en finir un.
Il était presque minuit lorsque Mme Beauvillier se leva.
— Je vous propose d’aller nous coucher. Demain sera une longue journée. Merci à tous. C’est mon plus beau réveillon depuis bien longtemps.
Tout à coup, elle s’interrompit.
— Il me vient une idée. Puisque mes amis les Ward seront là demain en fin d’après-midi, que diriez-vous d’inviter aussi vos proches ?
Tous se regardèrent. Madame reprit :
— Justin, revenez donc avec nous. Vous pourrez même rester dormir si ça vous chante.
— Avec plaisir, merci, répondit le jeune homme.
Manon en était encore plus heureuse. Magnier fit remarquer :
— Moi, à part Youpla, je n’ai personne à inviter. Tous mes amis sont déjà dans cette pièce…
Madame répondit :
— Et ce petit Yanis, qui a si bien travaillé ?
— Il doit passer Noël avec sa mère, son frère et sa petite sœur.
— Qu’ils viennent donc aussi. Plus on est de fous, plus on rit, et ce sera l’occasion de bavarder.
Odile restait silencieuse. Elle n’avait personne à convier, pas même un chien. Blake non plus. Il appréhendait de se retrouver encore à servir Melissa et Richard… Les deux solitaires échangèrent un regard qui, à défaut de changer leur situation, les réchauffa.
— C’est donc entendu ! conclut Madame. Je vous souhaite une bonne nuit.
Lorsque la cuisine fut débarrassée, Odile s’appuya contre l’évier et soupira.
— Vous vous inquiétez pour demain soir ? demanda Blake.
— Il va bien falloir nourrir tout ce monde. Je ne sais même pas combien nous serons.
— Ne vous en faites pas. S’ils ont encore faim après le dessert, on finira les restes.
— Je me demande si Madame n’avait pas un peu bu quand elle a lancé son invitation.
— Peu importe, c’est quand même une bonne idée.
— Vous voudrez bien aller chercher le champagne à la cave ?
— Comptez sur moi.
Dans un coin de l’office, Philippe était en train de s’amuser avec les chatons. Il leur avait bricolé un jouet avec un bouchon et de la ficelle à rôti. Il fit signe à Odile.