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— Si ça peut vous aider, j’ai des surgelés à la maison. C’est moins bon que ce que vous faites, mais ça vous épargnera du travail.

— Vous êtes gentil, Philippe. Je descendrai chez vous demain pour voir ce que vous avez.

Timidement, le régisseur demanda :

— Madame Odile, est-ce que vous seriez d’accord pour que j’invite Youpla ? Je serais triste qu’il reste tout seul le jour de Noël…

— Venez donc avec, répondit-elle, tout attendrie. Je lui préparerai quelque chose de spécial.

Si Blake avait eu un dentier, il l’aurait perdu tellement sa mâchoire se décrocha.

82

Debout au milieu du parc enneigé, en pleine nuit, Philippe et Andrew attendaient. Autour d’eux, le vent facétieux soulevait des volutes de flocons tourbillonnants.

— Alors comme ça, Odile et toi, vous en êtes à vous donner des rendez-vous au congélateur ? Félicitations, c’est très bon signe. Sais-tu que sur l’échelle des meilleurs endroits pour faire la cour, c’est presque aussi bien classé que les gondoles à Venise ? D’ailleurs au début, je crois que la scène de Roméo et Juliette n’était pas écrite avec un balcon. Ils se parlaient près d’un congélo…

— Tu peux te payer ma tête, mais en attendant, qui c’est qui fait son joli cœur avec Madame ? Et que je te regarde avec des yeux de merlan frit… Et que je suis d’accord avec toi même quand ce que tu dis ne veut rien dire…

— Nathalie dit toujours des choses sensées.

— Nathalie ? Eh bien, nous y voilà ! L’Angleterre tente encore d’envahir la France. Mais tu devrais te rappeler que ça n’a jamais marché ! Ceci dit, vous iriez bien ensemble.

— Tu le penses vraiment ?

— Si tu arrêtes de me chambrer, je te réponds. Sinon…

— C’est bon, promis. Je te laisse tranquille.

— Alors dans ces conditions, oui, je trouve vraiment que vous collez bien.

— Dommage.

— Quoi, dommage ?

— Dommage que je ne puisse plus te vanner sur Odile, parce que j’en avais une bonne sur Youpla…

Les deux hommes rirent ensemble. Magnier leva les yeux et, dans la nuit claire, s’intéressa aux étoiles.

— Tu sais où c’est, la Grande Ourse ?

— À droite du Petit Pingouin, répondit Blake qui, lui, surveillait toujours le manoir.

— Le Petit Pingouin ?

— Celui-là même qui est au-dessus du Fer à repasser, à gauche du Crabe farci.

Blake reçut une boule de neige en pleine tête.

— Ce n’est pas parce que Môssieur a fait des études qu’il doit se foutre de moi.

En rajustant ses lunettes, Blake lui désigna le ciel en disant :

— Regarde toi-même ! Là, tu as la constellation du Démonte-pneu et, au-dessus, celle de Batman.

Une deuxième boule de neige lui éclata sur le front.

— Ne me cherche pas, Blake. J’en ai ras-le-bol de tes plans foireux. On attaque des gens à coups de fusil, on cambriole l’autre folle…

— Tiens, au fait, elle a téléphoné.

— Quoi ? s’alarma Magnier.

— Cet après-midi. J’étais avec Madame lorsqu’elle a appelé.

— La garce ! J’étais certain qu’elle allait nous balancer. Et toi, avec tes grandes idées, tu as été assez stupide pour lui donner du pognon…

— Nous étions venus pour reprendre, pas pour voler. Et tu n’y es pas du tout. Elle a gentiment téléphoné pour prévenir Madame qu’un gang de Bulgares sévissait dans la région et qu’elle en avait été victime. Elle a parlé de son héroïsme face à un grand au regard de braise et un petit qui devait avoir des puces tellement il se grattait partout. Elle a aussi dit que, grâce à sa bravoure, ils ne lui avaient rien volé…

— Regard de braise ? N’importe quoi. Et puis je n’ai pas de puces. C’est ta cagoule à la con.

— Les commandos, eux, ne se grattent pas comme des lépreux.

— Qui tu traites de lépreux ? demanda Magnier en ramassant une boule de neige encore plus grosse.

Blake lui désigna le manoir.

— Regarde, Manon vient d’éteindre.

Philippe vérifia sa montre.

— Pile dans les temps. Hakim doit nous attendre à la maison. Quand je pense à la nuit qu’on va passer, j’en ai mal aux bras d’avance…

— Il faut bien que quelqu’un fasse le père Noël pour que les autres y croient…

Les deux hommes disparurent dans la nuit enneigée. Ensemble, ils chantaient Jingle Bells, mais chacun dans sa langue.

83

La nuit fut courte mais l’aube magnifique. Les premiers rayons du soleil transformaient la neige tout juste tombée en un tapis immaculé couvert de diamants scintillants. Le ciel avait travaillé une bonne partie de la nuit pour offrir un décor idéal à ce Noël naissant.

Andrew s’était levé tôt. Avec un soin inhabituel, il avait choisi ses plus beaux habits. Il était à présent fin prêt, assis sur son petit lit, en attendant qu’il soit enfin 7 heures précises. Blake avait peur.

Pour se donner du courage, il se réfugiait dans la contemplation de la photo de sa femme et de sa fille. Leurs sourires et leurs têtes sur ses épaules le rassuraient. Il lui semblait entendre la voix de Diane l’encourager, comme le jour où il était allé plaider la modernisation de son entreprise, auprès des ouvriers le matin et des banques l’après-midi. Sarah était alors toute petite. Sur le pas de la porte, alors qu’il partait comme on monte au front, elle lui avait glissé sa figurine préférée dans le creux de la main — le Schtroumpf farceur — en lui promettant qu’il le protégerait.

Andrew rectifia son gilet, passa encore la main sur ses joues pour vérifier qu’il était parfaitement rasé. Sept heures moins dix. Il prit Jerry contre lui, le serra très fort, comme s’il étreignait tous ceux qui lui manquaient tant. Il lissa le pli de son pantalon, caressa sa cravate. Sept heures moins deux. Il se leva, demanda à Jerry ce qu’il pensait de son allure et, n’obtenant aucune réponse, passa une dernière fois devant le miroir de la salle de bains. En se regardant, pour la première fois, il ne chercha pas à évaluer ce que le temps lui avait pris, mais plutôt ce qu’il lui avait laissé.

Andrew sortit de sa chambre en faisant le moins de bruit possible. Il ne voulait croiser ni Manon ni Odile. Malgré l’attachement qu’il éprouvait pour chacune, ce qu’il s’apprêtait à faire ne concernait que lui.

Lorsqu’il arriva devant les appartements de Madame, le manoir était tellement calme que l’on entendait les petits chats jouer sur le tapis du couloir. Leurs cavalcades et leurs roulades faisaient un bruit mat agrémenté d’adorables miaulements. Pour se sentir moins seul, Blake caressa Méphisto avant d’aller frapper. Aucune réaction. Andrew se risqua dans le bureau de Madame et alla toquer directement à sa chambre. Nathalie était-elle encore endormie ? Cela ne lui ressemblait pas. Se trouvait-elle dans sa pièce secrète ?

La porte s’ouvrit. Mme Beauvillier fut surprise de découvrir, non pas Odile, mais Andrew, et si bien habillé…

— Que se passe-t-il, monsieur Blake ?

— Je vous souhaite un joyeux Noël.

— C’est très gentil… Moi de même.

Elle ajusta sa robe de chambre et serra la ceinture.

— C’est pour me souhaiter un bon Noël que vous venez de si bon matin ? Une coutume anglaise ?

Manon avait conseillé à Blake de parler simplement. Richard l’avait poussé à se jeter à l’eau. Personne ne lui avait dit qu’il serait obligé de faire les deux en même temps.

— Si Madame le permet, j’aimerais lui montrer quelque chose. Voulez-vous m’accompagner ?

— Tout de suite ? Ne pouvons-nous pas attendre que je sois habillée ? Odile ne devrait pas tarder.