La voici qui cramponne une vague robe de chambre très vague et floue comme la notion de Dieu dans la cervelle d'un premier communiant, la passe négligemment, en prenant soin de laisser le devant largement écarté.
Elle s'assoit sur le lit, me désigne un pouf tendu de soie broutée, tout proche du plumard, et murmure :
— Je vous écoute, car je suppose que si vous êtes ici sans intention de dérrrober quoi que ce soit, c'est pour me dirrre quelque chose ?
— Erreur, douée madame, c'est vous qui allez me dire quelque chose.
— Grand Dieu, qu'aurrrais-je à dirrre à un policier ?
Son cador blanc, privé, revient à la charge et lui file son bouchon de radiateur dans l'entrejambe.
Madame lui flatte le couvercle mais refuse la caresse :
— Laisse, Médonrrr-grrrrand fou, plus tarrrrd !
Déçu, l'animal se rabat alors sur ma braguette.
— Ah, non ! exclame-je, secteur réservé aux dames, mon loulou. J'aime bien les truffes, mais pas dans mon slip.
Comprenant que mon calbute est un lieu où la main de l'homme (la mienne exceptée) n'a jamais mis les pieds, le clébard va piquer un roupillon sur la descente d'Ulysse : qui dort bouffe !
— Vous connaissez, je crois, un certain Philippe Dauphin, chère madame ?
Elle pouffe.
— C'est la deuxième fois qu'on me parrrie de ce garrrçon aujourrrrrd'hui.
C'est un jeune arrrrchitecte qui trrrrravaille pourrrr mon marrrri.
Comme tu le remarqueras en me lisant, elle ajoute davantage de « r » à certains mots parce que tu penses bien que je vais pas m'amuser à les compter en le retranscrivant. Déjà beau que je me donne cette peine.
— Vous le fréquentez beaucoup ?
— Moi ? Pas du tout. Je l'ai vu quelques fois ici, il amenait des plans et en discutait avec mon époux.
Elle s'abstient de rouler les « r » dans la phrase ci-dessus, étant donné que celle-ci n'en comporte pas. Faute de « r », elle roule un peu les « 1 », mais je ne vais pas t'entrer dans les menus détails, sinon, à quelle heure tu sortiras de ce polar ?
— Quels travaux exécute-t-il ?
— Je n'en sais fichtrrre rien.
— Dans quelle brrrranche travaille votre mari ?
Là, c'est moi qu'ai roulé les « r » par contagion, car rien ne se contracte plus rapidement qu'un accent, à part la vérole et le rhume de cerveau.
— Les Laborrrratoires Punta…
Je réagis bien. C'est-à-dire que je parviens à ne marquer aucune réaction. Laboratoire ! Mot magique. V'là la connection avec feu le professeur Klapusky.
— Vous êtes espagnole ?
— Mon époux l'est, moi je suis égyptienne de naissance.
Bon : laboratoire et espanche. Le chauffeur du professeur était espago. Je te répète que ça enchaîne, mec. Je sais quand la carburation s'opère harmonieusement. Y a pas de coup à férir. Le moulinet dévide son fil sans heurt. C'est de la bonne marchandise.
Je pressens des choses qui tourniquent dans mes profondeurs mentales. Une tortillance de vers en paquet dans une boîte à idée percée de petits trous.
Un grouillement d'idées inabouties, de pressentiments vagues, de fulgurances pas suffisantes pour éclairer la scène. Tout ça clignote. Mais j'arrive pas à coordonner en plein. C'est comme si t'essayais de lire la bible à la lumière d'un phare tournant d'ambulance. Des bribes, des brimborions. Rien, quoi ou presque…
— Il y fait quoi, votre bonhomme dans son laboratoire, merveilleuse descendante de Néfertiti ?
Elle roucoule en trémoussant le fion.
— Oh, comme vous êtes excitant, beau policier. Mon marrri ? Il fait des rrrecherches…
— Et il trouve ?
— Il trrrouve, il exploite, tout ça, ce sont ses prrroblemes, moi je ne m'occupe de rrrrien.
— Où est-il en ce moment ?
— Un dîner d'affairrrre.
— Il va rentrer ?
— Naturrrrellement. Pas encorrrre. Si vous étiez dans la même humeurrre que moi, nous aurions le temps de fairrrre des choses terrribles. Je vois à votre nrrregarrrrd que vous aimez les choses terrribles en amourrr, vrrai ou faux ?
— Gagné !
— Alors, j'ai drrrroit à un gage ?
Avant que j'eusse eu le temps d'interposer, elle m'est tombée à genoux devant le pouf et, suivant l'exemple de son molosse d'alcôve, me file le pif contre le paf. Pouf !
Je me recule. Trop promptement. Un pied du pouf se prend dans le tapis et je tombe maladroitement à la renverse. La dame d'Egypte (tu parles d'une plaie !) me saute dessus à cheval, tête-bêche. Je découvre un panorama en friche. Pas tentant pour une livre égyptienne. Elle a le Nil marécageux, Mémère. Le delta du Pô, on dirait plutôt. Et puis la chair de ses cuissots trembille comme une voile quand tu vires de bord. Et y a aussi son prosibe en forme de sacs pas remplis, t'imagines ? Bref, je regrette de ne pas être resté devant mon Dubonnet. Vorace comme tu la sais, elle m'inspecte la housse à flûte, la mère Moulapine. Ce coup de main pour te décapsuler un futal ! Vzzzzloup ! Servez chauve ! Le goumi farceur ! Elle me virgule son éteignoir sur le cierge magique, pas qu'il dégage trop de fumée. Son arrière-train de marchandise vient, à la reculette, solliciter ma bouche de ma haute bienveillance. Je ne la lui accorde pas. Cette personne me colle de l'émoi dans la partie sud, et de l'effroi dans la partie nord, comment expliques-tu ça, tézigue-pâte ? Je fais de louables efforts pour dégager mon buste. Lui refoule inexorablement le popotrain à deux mains. Le côté : « non madame, pas ce soir, ma maman m'attend ». Mais elle est obstinée comme toutes les vieilles femelles en rut. Elle veut, et par conséquent, elle insiste. « Toto, mange ta soupe ! » Merde, ça va pas aller de la sorte toute la vie, non ? Alors faudra toujours subir ? Du premier biberon à l'extrême-onction ? Se soumettre par peur ou lassitude ? Bouffer de force des panades, de l'huile de foie de morue, des leçons de grammaire, des culs, des cons, des couleuvres, des pages d'histoire, de la soupe à la grimace ? Oh, mais c'est que je veux plus, moi ! Je garde la fin de mon appétit pour bouffer, la terre qui blanchira mes os. Marre, à la fin, d'être sans cesse partant, éternel volontaire enrôlé de force dans le régiment des soumis. J'ai des droits à être moi-même, non ? Je les ferai valoir, juré, décidé, obligé. Avant qu'il claque aux vents des épopées, les étendards de la révolte commencent par germer à l'ombre des cœurs meurtris.
Une naissance, c'est tout petit, et ça passe inaperçu. Seulement elle se transforme en présence, la naissance. Alors je réponds présent, moi, Santonio. C'est mon heure, mon bonheur, ma bonne heure, j'ai l'heur de vous le dire à tous, toi, les autres, monstres empaffés qui allez dans la carrière aux aînés en file indienne achever de vous faire mettre, enquiller profond dans l'oigne le chibre féroce de la tradition de misère, allez, boum ! je te fous un point à la ligne, que tu puisses respirer.
La vioque, plus je la pousse, plus elle m'agresse des miches. Veut coûte que coûte me l'emplâtrer sa figasse à crinière, sale morue ! J'arc-boute à l'extrême. Mais c'est lourd une vieille garce apesantie sur ton poitrail. Et c'est neutralisant, la manière péremptoire qu'elle t'investit Dudule, l'arrache à sa tanière pour lui faire exécuter un gentil numéro de cirque, tout droit sur ses pattes de derrière.