Rèche me glisse à l'oreille :
— C'est Jean Trantrance, de l'Académie française, il croit qu'il prépare son discours de réception de Jean Dutoutautour…
Effectivement, à chacun de ses menus coups de pinceau, l'aimable académicien déclame des phrases trémolantes :
— Monsieur l'Illustre. Si l'Académie n'existait pas, il faudrait l'inventer pour vous dont les œuvres sont en vente dans tous les bureaux de tabac et dont le talent brille d'un éclat si vif qu'on ne saurait les lire sans lunettes à verres fumés…
Nous passons outre.
La partie « traitement », à présent. Des couloirs ripolinés, des salles de rééducation, de chosmachinthérapie, de prunocuthérapie, de bioutifoulothérapie, dans lesquelles des pauvres gonziers ramollis du bulbe font trempette dans des bains bizarres, pédalent sur des engins qui le sont plus encore, sont branchés sur le courant lumière comme un éfélène de la belle équipée algérienne, ou courent sur des tapis roulants en sens inverse tandis qu'une projection photographique leur met à presque portée une gonzesse à poil au dargif ensorceleur.
Il est fier de tout ce bastringue, le docteur Rèche. Il explique bien tout, la manière que ça fonctionne, les conséquences sur le psychique, les résultats enregistrés. Ses méthodes sont neuves, à cézigue, d'une hardiesse extrême. Soin des thérapeutiques anciennes. Il va de l'avant, lui. Un malade, faut qu'il pète ou qu'il dise pourquoi. Soigner, selon lui, ça ne consiste pas à laisser stagner un patient, mais à brusquer sa maladie. Il leur fait lâcher prise, aux troubles mentaux. A coups de pompes dans le cul, si nécessaire.
Nous visitons, pour terminer, la partie habitation. Et alors, là ben oui, on se rend compte du modernisme absolu de la clinique. Chaque chambre, tendue d'une espèce de moleskine aux couleurs chatoyantes que, mince, je me rappelle déjà plus le nom. Tu peux y aller du cigare : impossible de te faire la moindre bosse. Et ça n'a pas l'air capitonné, comprends-tu ? Si les fenêtres s'ouvraient et s'il y avait des poignées aux portes, on se croirait à l'hôtel.
Nos chambres jouxtent celles du personnel. Il explique, Rèche, qu'elles sont réservées à certains parents qui séjournent quelque temps, parfois, pour habituer le malade à ce nouveau décor. Y en a une à deux lits pour mes hommes, une à un seul plumzingue pour moi.
A tout seigneur, hein ? Tu sais ce qu'on dit…
Rèche, il est trépidant en diable. L'organisateur-né. Tu le flanques à poil au milieu du Sahara, trois jours plus tard, il aura ouvert une polyclinique et elle sera bourrée de Touaregs.
— A présent, je vous présente mon état-major.
Zou, on fonce. Pas une seconde de répit. Il tient à ce que les choses soient conduites rondeau, le black-foot.
Un grand bureau qui n'est pas sans rappeler le mien. Trois personnes y discutent gravement. Un petit chafouin aux cheveux taillés en brosse, qui ressemble au petit hérisson-ramoneur des bazars helvétiques, un gros blond-chauve-sanguin avec des yeux gras, des lèvres molles et la braguette mal fermée, enfin une dame de forte corpulence, aux loloches taillés dans la masse, cheveux gris, visage énergique, l'air prêt à entonner l'Internationale dans un meetinge. Les blouses blanches de ces messieurs-dames racontent leur profession ; surtout qu'ils ont des stéthoscopes accrochés autour du cou, insigne suprême, manière de balayer les confusions éventuelles. On dirait des petites cloches à vaches.
Rèche nous désigne le hérisson :
— Docteur Sidérurggi, de Milan…
Puis le gros suintant :
— Docteur Dupont, de Nemours…
Enfin, la vachasse :
— Notre infirmière-chef, madame Charlotte Cordeth, de Lausanne.
Pourquoi éprouve-t-il le besoin de fournir le lieu de naissance des gens qu'il présente ? Mystère. A psychanalyser, Franck Rèche. Probable que pour lui, le terrain d'origine est important, qu'il situe l'individu.
Nous montrant, globalement, il déclare :
— Le commissaire San-Antonio, de Paris, et ses collaborateurs.
Il ajoute :
— Ces messieurs vont nous tirer d'affaire.
— Que ça serait pas dou louxe ! grince le hérisson transalpin.
On s'entre-serre des paquets de phalanges, les uns les autres, comme les pales d'un pétrin malaxent sa pâte. Dans ces parties de touche-me-la, j'te-la-touche, au bout de quatre pognes, tu ne sais plus à qui t'as affaire, tu serres trois fois la même paluche, et il l'arrivé de te la serrer, à toi aussi, tellement que ça s'escalade, se coule, faufile, s'enchante à tout va.
Franck Rèche consulte sa montre.
— Dix-huit heures seize, messieurs, nous dit-il. Nous passons à table à vingt heures pile, chez moi : le pavillon au fond du parc, vous trouverez aisément, c'est fléché. Vous avez le temps de faire un bout d'enquête d'ici là.
Comme invitation à la valse, on ne fait pas mieux. Les regards me convergent contre. Chef d'orchestre, San-A. C'est lui, le shérif. Il doit prendre les décisions, initiatives, prérogatives, tout le bordel à cul. Et fissa !
— Il faut rassembler les personnes susceptibles de m'éclairer sur la première disparition, dis-je. Par là, j'entends celles qui sont à même de me fournir tous renseignements utiles sur le premier fugueur ; le footballeur.
— Mais c'est le deuxième qu'il me faut d'urgence ! Sa mère vient le voir samedi, et si je n'ai que son lit vide à lui montrer…
— Procédons par ordre, docteur. Et soyez gentil, laissez-moi enquêter à ma guise.
Il hausse les épaules.
— Ah, c'est vrai, San-Antonio, ami très cher. Un skieur comme vous ! Excusez mon impatience. Mais maintenant que vous avez vu mon installation, vous comprenez mon désespoir. Bon, bien, faites. Mais vite ! Tout le monde ici va vous aider, se mettre à votre dévotion. Ordonnez ! Je vous délègue mes pouvoirs. Il n'y a plus qu'un seul maître à bord après moi, c'est vous.
Bravo !
Et il se laisse tomber, exténué, dans un fauteuil pivotant.
C'est la Mme Cordeth, cheftaine émérite, qui me cicéronne. Elle est fougueuse, aboyeuse, mais gentille tout plein, cette personne. Par-derrière son avant-scène bondée de nichons, elle me couve d'un regard chaleureux et intéressé. Chemin faisant, elle m'explique qu'elle adore Paris. Elle y va, tous les cinq six ans, se retremper le mental, faire une cure de folie.
Elle descend dans le dix-huitième : l'Hôtel des Trois Suisses et du Moulin à Vent. C'est modeste, pas coûteux, et plein d'artistes fauchés qui vous baisent pour cinquante francs ou contre un repas à prix fixe.
Elle a son franc-parier.
Le démontre complaisamment. Vaudoise, mais délurée. Parigote, quoi ! Et puis, dans le corps médical, hein ? Ô Surtout lorsqu'on travaille avec des toubibs français qu'il n'y a pas pire salauds, qu'ils te vous culbuteraient sur le billard, au côté du patient, pendant une opération à cœur ouvert si on les laissait faire, les bougres. Elle pense que ça vient du métier. Il porte à la peau. A force de tripoter de la viande humaine, fatal ! De considérer les choses à travers un spéculum… Elle rit. Elle est dégourdoche à outrance. La vraie presse-bites. Tu lui sollicites une petite fantoche, vite fait sur le pouce, elle doit pas rechigner, Charlotte. A se demander si seulement elle porte une culotte. Je lui demande. En guise de réponse, elle se trousse. Non : n'en porte pas pour l'instant. La figouze dodue, petite médème ! Avec la barbichette maurassienne. Du cuisseau à toute épreuve. Le téméraire qui veut s'en confectionner une cravate risque de périr étouffé. Elle se marre, rabat sa blouse après cette belle farce somptueuse qui laisse Béru dans des rêveries abyssales. Pinaud aurait rougi si son sang avait encore la force de grimper plus haut que son thorax. Il a les yeux en forme de 8.