Выбрать главу

J’en apprends également plus sur la femme qui a été blessée. Un témoin affirme que Bachir lui a donné plusieurs coups et l’a insultée. La principale intéressée, entendue le lendemain à la clinique, confirme les insultes et le fait que Bachir a posé la lame du couteau sur sa gorge. En revanche, elle ne parle pas de coups et déclare que Bachir lui a dit à l’oreille qu’il ne voulait pas lui faire de mal.

Lorsqu’elle s’est évanouie, la lame a entaillé sa peau. La blessure est mineure et sans complications, mais le mot « blessée » est noté dans le procès-verbal.

Au regard de sa précédente condamnation, cet élément constitue des circonstances aggravantes.

L’autre employée parle d’insultes proférées en arabe. Bachir l’aurait prise par la nuque et forcée à s’allonger par terre. Il aurait planté son genou dans son dos avant de se relever pour prendre sa collègue en otage.

Le PV stipule aussi que le braquage a été enregistré par les caméras de surveillance. La police a saisi les bandes auprès de la société de sécurité et a fait graver un CD. Le disque se trouve au commissariat central d’Anderlecht, où Bachir a été emmené après son interpellation.

Pour terminer, je consulte le dossier d’instruction générale dans lequel sont consignées les pièces ordonnées par le juge. Le juge est une juge, Olga Simon, une vieille connaissance.

Comme je m’y attendais, il n’y a pas grand-chose dans le dossier. Le rapport de téléphonie n’est pas encore arrivé. En revanche, les premières constatations de la police mentionnent qu’ils ont saisi son portable et consulté la liste des appels entrants et sortants.

Le dernier appel sortant d’Akim Bachir a eu lieu le 19 février, à 9 h 55. La communication a duré six secondes.

Je retourne au procès-verbal.

Il a pénétré dans le bureau de poste le 19 février, à 9 h 53.

Le nom du contact enregistré dans le répertoire du téléphone est Bébé. Le numéro a été testé. Il aboutit à la messagerie vocale de Rachida Bachir, son épouse. Ce qui veut dire qu’Akim Bachir a téléphoné à sa femme deux minutes après être entré dans le bureau de poste, pendant qu’il commettait son acte.

Pourquoi personne n’a mentionné ce fait ?

Quel est le contenu de ce message de six secondes ?

Je n’ai pas vu de déclaration émanant de sa femme dans le dossier. Par acquit de conscience, je reprends les documents et parcours chaque feuillet. Il est consigné qu’elle a été convoquée, mais elle ne s’est pas présentée.

À la demande de la juge d’instruction, une équipe de la police judiciaire s’est rendue au domicile d’Akim Bachir pour mener une perquisition. Le ratissage de l’appartement n’a rien donné. Ils n’ont trouvé ni armes ni drogue. La femme de Bachir était absente et les voisins n’étaient pas en mesure de donner plus d’informations.

Je photographie les différents documents avant de rendre le dossier au préposé. Je ressors du bâtiment à 10 h 45 et compose le numéro d’Adel Bachir.

Il me répond avant la fin de la première sonnerie, comme s’il vivait avec son téléphone en main.

— Bonjour, monsieur Bachir.

— Bonjour, maître, j’allais vous appeler. J’ai vu mon fils ce matin à la prison. Je suis parvenu à lui faire entendre raison. Il veut bien vous reparler.

— Dans ce cas, je vais lui rendre visite avant midi.

— Je vous remercie.

— J’ai consulté le dossier de l’instruction. Vous m’avez dit que votre fils était marié. Je n’ai pas vu de témoignage de sa femme. La police l’a convoquée, mais elle ne s’est pas présentée. Vous savez pourquoi ?

Ma question suscite un long silence.

Il reprend, embarrassé.

— Non, je ne sais pas.

— Étaient-ils séparés ? Ou en crise ?

— Je ne sais pas. Demandez-lui.

— Très bien, je lui demanderai.

Mon intuition ne m’a pas trompé.

Lors de notre rencontre à la prison, Akim m’a transmis un message pour son père, un autre pour son frère. Rien pour sa femme ou son fils. Après son arrestation, il a choisi d’appeler son père.

Je n’avais pas d’emblée relevé le fait, mais la question est pertinente. Pourquoi n’a-t-il pas pris contact avec sa femme ou laissé un message pour elle ?

Avait-il des problèmes de couple ?

Auquel cas, est-il envisageable que ses déboires conjugaux l’aient déstabilisé au point de l’amener à commettre un acte désespéré ?

Le fait qu’il ait appelé sa femme pendant le braquage et qu’elle n’ait pas répondu à la convocation de la police signifie qu’il a peut-être agi sous le coup de l’émotion.

Je remonte en voiture et prends la direction de la prison de Forest en laissant partir mon esprit en roue libre.

Je pourrais ne pas répondre à l’invitation de Katja, mais ce serait indigne de moi. Une solution expéditive serait de lui écrire qu’elle ne me plaît pas, mais elle risquerait de mal le prendre et de se plaindre à Laure.

Au final, le plus simple serait d’aller à ce petit dîner sans chichis.

9

Une idée me traverse l’esprit

Akim Bachir ne semble pas de meilleure composition que lors de notre première entrevue.

Il entre dans le parloir en traînant les pieds, le visage fermé, la barbe négligée. Son ecchymose a quelque peu dégonflé et viré au jaune.

Je lui tends la main.

— Bonjour, monsieur Bachir.

Comme la première fois, il se dérobe et émet un grognement en guise de bonjour.

Je m’assieds et l’invite à en faire autant.

— Comment allez-vous ?

Il hausse les épaules.

— Comment voulez-vous que ça aille ? On est à trois dans la piaule, serrés comme des harengs.

Il ne m’apprend rien.

— Vous avez des problèmes avec vos codétenus ?

Il secoue la tête.

— On se parle quasi pas. Ils dorment la journée et fument du shit. Ça gueule jusqu’au matin. J’arrive pas à fermer l’œil.

Les détenus ont une autre relation au temps. Ils passent vingt-trois heures en cellule et une dans le préau, pour la promenade.

— Je sais, la situation est dramatique.

— En plus, on a rien à bouffer.

— Avez-vous besoin de quelque chose ?

Nouveau haussement d’épaules.

— J’ai mal aux dents. J’ai demandé des aspirines avant-hier. J’attends toujours. Je dors pas et je mange pas. C’est pas votre problème, tant que mon père vous paie.

Je m’abstiens de répondre.

Je poursuis.

— Votre père est venu vous rendre visite. Il m’a affirmé que vous acceptiez que je sois votre conseil.

— S’il vous l’a dit.

— En effet, mais c’est vous qui êtes concerné. J’ai besoin que vous confirmiez mon mandat.

— On dirait que mon père a trop d’argent. S’il veut absolument le dépenser en vous payant, c’est son problème.

Je le regarde dans les yeux.

— Dois-je considérer cette réponse comme un accord de votre part ?

— Si vous voulez.

— Dans ce cas, j’assurerai votre défense.

Il ricane.

— N’oubliez pas de demander un acompte à mon père.

Je ne relève pas.

— J’ai anticipé notre rencontre. Je suis allé consulter votre dossier. Comme vous le savez, vous comparaîtrez demain matin. Avant ça, je dois vous poser certaines questions.

Il s’allonge sur sa chaise et croise les bras comme un étudiant rebelle à qui l’on fait un laïus barbant.

— Je réponds si je veux.

Il me paraît opportun de changer de mode opératoire.

Je me lève d’un bond, pointe un index dans sa direction et hausse le ton.