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— Maintenant, ça suffit, monsieur Bachir ! Je suis ici pour vous aider. Si vous avez l’intention de saboter mon travail, dites-le-moi tout de suite. J’ai des choses plus intéressantes à faire que de perdre mon temps. Décidez-vous : vous collaborez, ou je sors d’ici et vous demandez à votre père de trouver quelqu’un d’autre.

Il accuse le coup.

Ce n’est pas la première fois que je me livre à ce genre de coups de gueule. Ils ont le mérite de remettre les pendules à l’heure.

Il rectifie sa position sur la chaise.

— Ça va, faut pas vous énerver, je suis pas un enfant. Allez-y, posez-moi vos questions.

Je me rassieds, ouvre ma serviette et sors un bloc de papier.

— Demain, il est fort possible que le président ou la juge d’instruction commence par vous faire une leçon de morale. Si vous voulez un bon conseil, ne réagissez pas de la même manière.

— Je ferai ce que vous me direz, chef.

Le ton est ironique, mais j’ai marqué des points.

— Venons-en au dossier. Un témoin déclare vous avoir vu sortir d’une voiture avant d’entrer dans la poste.

Il se redresse d’un coup.

— Pas du tout, j’étais à pied.

Je poursuis sans ciller.

— D’autres personnes affirment que vous êtes arrivé seul, mais qu’une voiture dans laquelle se trouvaient deux hommes vous attendait devant le bureau de poste.

Il s’emporte.

— C’est faux ! D’ailleurs, ils disent des choses différentes. Je ne sais pas s’il y avait une voiture devant la poste. En tout cas, c’est pas moi qu’elle attendait.

— Vous maintenez que vous avez agi seul ?

— Bien sûr.

Je prends note.

En général, ce genre de braquage se pratique à deux ou à trois et se commet pendant les heures de faible affluence.

Le « cri sec » — entrer seul dans une banque ou une poste, la braquer et ressortir sans faire appel à un complice — est une entreprise périlleuse qui, de nos jours, a toutes les chances d’échouer.

Bachir devrait le savoir. Il a des antécédents judiciaires. Il a fait quatre ans de prison. De plus, ses coups précédents ont été commis en bande.

— Soit. Point suivant. Un témoin présent dans le bureau de poste a déclaré que vous avez insulté les employées et que vous leur avez donné des coups.

Il ne me laisse pas le temps de terminer ma phrase.

— C’est pas vrai, je ne les ai pas frappées ! J’ai demandé à la première de se coucher par terre, je l’ai poussée dans le dos, même pas fort. Après, j’ai passé mon bras autour de la taille de l’autre meuf, mais je ne lui ai pas donné de coups. Demandez-lui.

— La police s’en est chargée. Elle a démenti avoir reçu des coups, mais elle a confirmé que vous les avez toutes deux insultées et menacées avec un couteau.

— Je ne voulais pas lui faire de mal.

— Elle a été blessée. Elle a dû être hospitalisée.

— C’est pas moi qui l’ai blessée. Elle s’est évanouie et s’est coupée en tombant.

— C’est ce qui se trouve dans sa déclaration. Elle a stipulé que vous lui avez dit ne pas vouloir lui faire de mal.

Cette information semble le calmer quelque peu.

— Oui, c’est exact. Il ne faut pas qu’on m’accuse de coups et blessures.

Je note, sans commenter.

— J’aimerais revenir sur votre précédente condamnation. Que s’est-il passé avec votre avocat ?

— Il m’a pas défendu. À la dernière minute, il s’est fait remplacer par une gamine, mais il a pas oublié sa facture. J’ai écopé de quatre ans et j’ai fait quatre ans. Je n’ai pas eu de remise de peine, rien !

— C’est pour ça que vous avez refusé qu’on vous aide ?

— Si c’est pour refaire la même chose, je préfère me défendre moi-même.

Je passe du coq à l’âne.

— Votre intervention a été enregistrée par les caméras de surveillance. Ne changez pas votre version des faits, ça pourrait se retourner contre vous.

— Je dirai ce qui s’est passé, sans changer un mot. C’est tout ? Vous avez d’autres questions ?

— Youssef est venu vous voir ?

— Pas encore. Il a trop de travail au magasin. C’est lui qui fait tout. Mon père se contente de compter l’argent. Vous lui avez transmis mon message ?

— Oui, j’ai fait ce que vous m’avez demandé.

Ce message avait attiré mon attention.

Dites à mon frère que je suis vivant.

Contenait-il un double sens ? Akim souhaitait-il faire comprendre à Youssef qu’il en avait réchappé ?

La réponse de Youssef pourrait le laisser penser.

Ça veut dire qu’il n’est pas mort.

Pourquoi cherche-t-il à s’assurer que je l’ai bien transmis ? J’enregistre cette donnée dans un coin de ma mémoire.

— Autre question. Étiez-vous sous l’emprise de l’alcool ou de drogues au moment des faits ?

— Je ne bois pas et je ne me drogue pas. D’ailleurs, je n’ai jamais bu et je ne me suis jamais drogué. Vous avez fini ?

— Presque.

Je ne lui poserai aucune question sur les motivations de son acte. Si la récidive semble être une surprise pour son père, je la considère comme accessoire. Je ne compte plus les criminels repentis qui retombent dans le piège. Un besoin pressant d’argent ou la perspective d’un coup juteux suffit bien souvent à les faire revenir sur leurs bonnes résolutions.

Je décide d’aborder le sujet sensible.

— Selon le dossier de police, il semble que vous ayez téléphoné à votre femme alors que vous étiez dans le bureau de poste.

Il se referme aussitôt.

— Je ne sais pas, c’est possible.

Je pose mon stylo d’un geste las.

— Monsieur Bachir, soyons sérieux. Ils ont saisi votre téléphone. Ils savent quels numéros vous avez composés et ceux qui vous ont appelé. Ils savent à quelle heure ont eu lieu les appels et combien de temps ils ont duré.

— Et alors ?

— Il est logique que la question vous soit posée. De plus, il semble que la police n’ait pas réussi à joindre votre épouse. Elle n’a pas encore été entendue. Où est-elle ?

Il frappe du plat de la main sur la table.

— Ne vous occupez pas de ça ! Ne mêlez pas ma femme à cette affaire, ça me regarde.

Je n’ai pas pour habitude d’abandonner la partie.

À mon tour, je tape sur la table.

— Arrêtez ce jeu, monsieur Bachir ! Vous ne pouvez pas vous en sortir avec cette réponse. L’appel a duré six secondes. Si on vous demande ce que vous lui avez dit, qu’allez-vous répondre ?

— C’est à vous de trouver. Vous êtes mon avocat, je suis votre client.

— Non, ce n’est pas à moi d’inventer une réponse. Vous êtes marié, vous avez un enfant. Si vous avez agi sous le coup de la colère, autant le dire, ça pourrait constituer des circonstances atténuantes.

Il se lève, le regard fuyant, les mâchoires crispées.

— J’ai plus rien à dire.

— Comme vous voulez. Nous nous verrons demain, au Palais de Justice.

Je quitte la prison, perplexe.

En quoi sa situation familiale a-t-elle joué un rôle dans cette affaire ? Une chose est sûre, une zone d’ombre entoure l’absence de Rachida Bachir.

Je traverse l’avenue de la Jonction lorsqu’une idée me vient à l’esprit.

10

Que vais-je faire ?

À la fin de l’été 1987, Franck Jammet avait dix-huit ans. Il mesurait un mètre quatre-vingt-huit et promenait une carrure imposante. La gymnastique et la pratique quotidienne du vélo lui avaient façonné un corps d’athlète.