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Quand le dernier centime du dernier franc eut terminé sa course dans une boutique de mode de l’avenue Louise, il rentra chez lui, sortit son Smalto, sa plus belle chemise et sa cravate la mieux assortie.

Il se coiffa, se rasa et s’habilla avec minutie. Il se plaça ensuite devant le miroir et tourna plusieurs fois sur lui-même en admirant sa silhouette.

L’examen terminé, il se mit à chantonner.

— Et maintenant, que vais-je faire ?

11

Elle n’est pas revenue depuis

J’entre l’adresse du domicile des Bachir dans le système de navigation et prends la direction de la gare du Midi.

Sept minutes plus tard, je descends la rue Gustave-Defnet au ralenti, à la recherche d’une hypothétique place de parking. Comme la plupart des rues de Saint-Gilles, elle est bordée de modestes maisons de trois ou quatre étages aux façades de briques ornées de balconnets en fer forgé.

À première vue, elles ont l’air d’avoir été construites par le même architecte dans les années 1920, mais chacune d’elles possède ses particularités : la tonalité des pierres de parement, la couleur des volets, celle des châssis, la largeur de la porte d’entrée ou, de manière plus prosaïque, son bon état ou son degré de délabrement.

Je fais deux fois le tour du pâté de maisons avant de me garer sur un emplacement interdit.

Une grande partie de la population saint-gilloise est issue de l’immigration de travail qui a eu lieu dans les années cinquante. Les Italiens, les Espagnols et les Portugais ont été les premiers à s’installer dans le quartier. Plus tard, les Marocains et les Algériens les ont rejoints.

Je traverse le carrefour, longe une brasserie et remonte la rue d’un bon pas.

À quelques centaines de mètres, en direction de la gare du Midi, se trouve le Tizi Ouzou, un restaurant où j’allais avec Estelle. Ma première invitation, notre premier dîner en tête-à-tête. Depuis, nous y allions régulièrement. Yaya, le patron, nous accueillait en nous serrant la main, tout sourire.

Bonsoir les amoureux.

Estelle plongeait les doigts dans son couscous pour en extraire les pois chiches et les fourrer dans ma bouche. Je faisais des grimaces en les avalant. Elle riait aux éclats. Le lien qui nous unissait semblait indestructible.

Je chasse cette pensée.

J’arrive à hauteur du domicile d’Akim Bachir, une maison de pierres grises sans caractère.

En principe, je ne devrais pas prendre ce genre d’initiative, mon rôle n’est pas de jouer au détective. Contrairement à ce que l’on voit dans les séries américaines ou les thrillers de John Grisham, les avocats n’ont pas d’enquêteurs qui travaillent pour eux.

J’aurais dû me contenter de déposer un devoir d’enquête. Les avocats sont censés faire confiance au juge d’instruction. Ce dernier est tenu d’examiner les éléments tant à charge qu’à décharge. Sa responsabilité est de rechercher la vérité. À cette fin, il fait appel à la police ou à certains experts.

Je recule et examine la façade. Les volets des fenêtres du rez-de-chaussée sont baissés, la peinture brunâtre de la porte est écaillée, des prospectus sortent des boîtes aux lettres.

La démarche d’enquête n’est pas interdite, mais la multitude de dossiers en attente sur mon bureau devrait m’ôter l’envie de me livrer à ce genre de fantaisies.

Une rangée de sonnettes disparates est fixée de guingois sur le montant de la porte. Je cherche en vain celle de Bachir. Les noms sont absents ou ont été effacés par le temps.

À tout hasard, j’actionne celle du bas.

Un grésillement lointain se fait entendre et un chien se met à aboyer dans les coulisses. Je patiente une minute avant de passer à la suivante. Le chien aboie derechef et une fenêtre s’ouvre à la volée.

Je lève la tête.

Un homme en débardeur, les cheveux en broussaille, se penche en avant et m’apostrophe d’un ton agressif.

— C’est pour quoi ?

— Bonjour, monsieur. Je cherche Mme Rachida Bachir. Je n’ai pas vu son nom sur la sonnette.

Il jette un coup d’œil dans la rue. Sa mission de reconnaissance terminée, il me questionne avec brutalité.

— Qu’est-ce que vous lui voulez ?

Je place mes mains en porte-voix et baisse le ton pour marquer la confidentialité.

— Je suis l’avocat de son mari.

Il me dévisage comme si je venais de lui demander de m’épouser.

— Je descends.

Quelques instants plus tard, la porte s’ouvre et l’homme apparaît dans le chambranle. Il est corpulent, les traits empâtés, les yeux gonflés. Un tatouage orne son cou. Il a passé un long peignoir de laine brune à motifs écossais.

Le chien continue à aboyer dans son dos tout en s’acharnant contre une porte du rez-de-chaussée.

— Je suis désolé de vous déranger. Je cherche à parler à Mme Bachir, à quel étage habite-t-elle ?

Il jette un nouveau coup d’œil dans la rue.

— Vous êtes de la police ?

— Non, je ne suis pas de la police. Je suis l’avocat de son mari.

Il se retourne et hurle dans le couloir.

— Ferme ta gueule, toi !

Le chien s’arrête aussitôt de japper.

J’esquisse un sourire.

— Merci.

— Sale bête. C’est le chien du proprio. Il aboie comme ça toute la journée. C’est à devenir dingue. Un jour, je vais le tuer, ce clebs.

— Je veux bien assurer votre défense.

Mon mot d’esprit ne le déride pas.

— Rachida n’est pas là. La police est déjà venue demander après elle.

— Je sais.

— Ah ? Vous savez ? Qu’est-ce qu’ils vous ont dit ?

— Ils ne m’ont rien dit. J’ai lu dans leur rapport qu’ils l’ont convoquée, mais qu’ils ne sont pas parvenus à lui parler.

Il cligne des yeux.

— Je sais pas où elle est.

Je fais une moue de dépit, recule d’un pas et le salue en soulevant mon chapeau.

— Dans ce cas, je vous prie de m’excuser.

Il m’interpelle du menton.

— Vous avez vu son mari ?

— Bien sûr, je suis son avocat.

Il hoche la tête.

— Quelle histoire ! Comment il va ?

— Comme vous vous en doutez, pas trop bien. Je suis passé le voir ce matin. Il aimerait avoir des nouvelles de son fils et de sa femme.

L’homme glisse une main dans l’échancrure de son peignoir et se gratte la poitrine.

— Je comprends pas ce qui lui a pris. C’était un brave garçon, gentil, travailleur.

— Vous le connaissez bien ?

— Pas vraiment. Comme ça, bonjour, bonsoir. On discutait de temps en temps. Il partait en fin de matinée et rentrait très tard. J’aidais sa femme à descendre la poussette.

Je saisis la balle au bond.

— La poussette est partie ?

Il hésite.

— Oui.

Je prends la tangente pour éviter qu’il se referme comme une huître.

— Comment s’appelle le garçon ?

— Badri.

— Merci. Je demanderai au père d’Akim s’il sait où je peux trouver sa belle-fille.

Sa main remonte sous le tissu et plonge sous son aisselle.

— Peut-être qu’il vous le dira. À moi, elle n’a pas voulu me dire où elle allait.

Je tente un ballon d’essai.

— Elle est partie mardi matin, vers 10 heures ?

Il lève les sourcils.

— Oui. Comment vous le savez ?

— Vous l’avez dit à la police ?

— Les flics ? Qu’ils crèvent !

Je fais mine de compatir.

— Ils ne sont pas toujours très aimables, j’en conviens.