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Il retire la main de son peignoir.

Son front s’empourpre.

— Avant, les flics, ils te respectaient. Ils te disaient vous. Les nouveaux, maintenant, ils te parlent comme si tu étais un chien. Ils savent à peine écrire, mais ils se prennent pour des ministres parce qu’ils ont un uniforme et un flingue.

J’acquiesce.

— Vous n’avez pas tort. Ils sont venus poser des questions et vous ne leur avez rien dit ?

— Non, et les autres locataires non plus. Ils se sont pointés avec une armée pour fouiller l’appartement. Ils n’ont rien trouvé. D’ailleurs, ils ne savent pas ce qui s’est passé.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? Akim et Rachida se sont disputés ?

— Pas du tout.

— Ils s’entendaient bien ?

— Je vivais pas avec eux, mais ils avaient l’air très amoureux et ils adoraient leur fils. Akim en était très fier.

— Qu’est-ce qui a pu se passer ?

Il referme les pans de son peignoir et croise les bras.

— Rachida est partie. Mardi matin, elle a reçu un appel d’Akim. Je ne sais pas ce qu’il lui a dit. Elle m’a dit qu’elle devait partir tout de suite.

— Et elle l’a fait ?

— Oui. Elle m’a demandé de descendre la poussette. Elle a mis quelques affaires dans un sac et elle a pris Badri dans ses bras. Elle était affolée, comme si son appartement était en feu. Elle pleurait à moitié. Elle courait presque dans la rue. Je sais pas où elle est allée. En tout cas, elle n’est pas revenue depuis.

12

Dans la voiture

Par chance, l’après-midi a été calme. Je n’avais ni rendez-vous ni réunion, mes associés m’ont fichu la paix, les stagiaires ne sont pas venus me poser mille questions et j’ai pu avancer sur mes dossiers.

Seuls quelques mails sans importance ont troublé ma concentration.

Vers 17 heures, Estelle m’a joint sur mon portable. C’était la première fois qu’elle m’appelait depuis son départ. La seule vue de son nom sur l’écran a eu l’effet d’une secousse tellurique. Mon cœur s’est emballé et une sensation de fourmillement a parcouru mon estomac.

Le ton détaché qu’elle affectait sonnait faux.

— C’est moi. Je passerai prendre les quelques affaires qui restent en début de soirée. Je ne te dérangerai pas, j’ai encore une clé. Je la laisserai dans la boîte aux lettres en partant. Je suppose que tu ne seras pas là ?

J’ai pris une grande inspiration avant de répondre.

— Non, je ne serai pas là. Sauf si tu veux me parler.

Les secondes qui ont suivi m’ont semblé interminables.

— Si j’avais voulu te parler, je te l’aurais dit. Au revoir.

Je pensais avec naïveté que les quelques vêtements qu’elle avait laissés à l’appartement étaient un gage de retour.

Il m’arrivait de les toucher, de les sentir. Ils représentaient un lien chargé d’espoir, le dernier qui m’unissait encore à elle.

Le premier jour de l’année, elle m’a annoncé qu’elle me quittait.

Nous avions passé le réveillon chez des amis. La soirée avait été bien arrosée et s’était conclue par des danses tribales, des chants estudiantins et un feu d’artifice dans le jardin. J’avais bu plus que de raison. Estelle avait conduit pour le retour et m’avait aidé à me mettre au lit.

Le lendemain matin, après avoir avalé deux ou trois aspirines, je lui avais dit sur le ton de la plaisanterie que j’arrêtais de boire. Je lui avais ensuite demandé quelles étaient ses résolutions pour l’année nouvelle.

Elle avait lâché la bombe.

— Changer ma vie.

Malgré le mal de tête qui me rongeait, j’ai compris qu’elle était sérieuse, que ce n’était pas une déclaration en l’air. Je lui avais tendu la perche qui lui permettait de m’annoncer la décision qu’elle avait longuement mûrie.

Pour toute explication, elle m’a resservi les phrases entendues cent fois.

« Je ne sais jamais à quelle heure tu vas rentrer. Tu es toujours en retard. Tu ne préviens jamais. Tu n’es jamais là.

J’en ai marre. »

Le soir, elle quittait l’appartement.

J’ai cru à une crise passagère.

Les jours suivants, elle a fait quelques allers-retours pour emporter ses affaires. J’ai appris plus tard qu’elle n’était pas allée chez une copine qui voulait bien l’héberger le temps qu’elle trouve un studio. Je ne le connaissais pas. On me l’a décrit comme mon contraire absolu.

J’ai été harcelé par des images fugitives de corps emmêlés, d’étreintes fiévreuses, de caresses intimes, de sexe oral.

Vers 20 heures, je quitte le bureau après avoir envoyé un message à Katja pour lui dire que j’acceptais son invitation.

Je sors du parking souterrain.

Ma soirée s’annonce morne, je n’ai ni invitation ni proche pour me tenir compagnie.

Nous dînions souvent au restaurant. Estelle n’aimait pas cuisiner. Lors du grand déballage du jour de l’An, elle m’a dit que je ne lui en laissais pas l’occasion.

En semaine, quand je rentrais tard, je lui téléphonais en chemin et l’invitais au restaurant de son choix. Je l’attendais au bas de l’immeuble. Elle descendait en toute hâte. Nous nous racontions nos journées dans la voiture. Les rires faisaient partie du rituel.

Les derniers temps, un plat à réchauffer m’attendait. Un indice de plus dont je n’ai pas tenu compte.

Je ne sais quelle direction prendre.

Au contraire de bon nombre de mes confrères, je ne suis pas adepte du dîner en solitaire devant l’ordinateur. J’ai besoin de monde autour de moi, d’animation, de bruit et de musique pour recharger mes batteries.

Da Toni fera l’affaire.

J’ai de bonnes chances d’y croiser des connaissances. En plus, le patron prend le temps de venir s’asseoir à ma table et de boire un verre de vin en ma compagnie. J’aime son humour teinté de bon sens et de fatalisme.

Avant de retourner aux fourneaux, il conclut nos échanges par sa sentence favorite.

Così è la vita.

Je descends la chaussée de la Hulpe en direction du Ring. Je passe ma journée en revue en chantonnant Driving Towards the Daylight avec Joe Bonamassa.

Les femmes sont étranges. Estelle et Rachida sont mes énigmes de la journée. Comment reconquérir la première ? Où trouver la seconde ?

La réaction qu’a eue Akim lorsque je lui ai posé la question est ambiguë. Pourquoi ne veut-il pas me parler de sa femme ? Selon son voisin, le couple était en harmonie. Le scénario de la scène de ménage qui tourne au psychodrame s’éloigne.

Que s’est-il passé entre eux ? Que lui a-t-il dit durant ces six secondes pour provoquer ce départ précipité ?

Un élément de l’affaire me revient.

Le braquage a été enregistré par les caméras de surveillance. Le dossier précisait que le CD se trouvait à l’unité de police. Je ne comptais pas visionner cette vidéo dans l’immédiat, mais cet examen pourrait apporter un éclairage nouveau.

Le bon usage préconise que je demande à la juge d’instruction l’autorisation de visionner la séquence. La connaissant, il est possible qu’elle refuse ou qu’elle tergiverse.

L’autre option consiste à me rendre directement au poste de police. En règle générale, j’ai de bons contacts avec les représentants de l’ordre.

Je compose le numéro de Serge Depaepe.

Lors d’une patrouille de routine, en 2008, il est arrivé par hasard sur les lieux d’un car-jacking. Les voleurs ont ouvert le feu à la Kalachnikov. Il a été légèrement blessé, mais sa coéquipière a été tuée d’une balle dans la tête. Elle avait vingt-cinq ans.