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Alex se frotta les mains.

— Génial ! Qu’est-ce qu’on refile aux donateurs ?

Franck sortit une feuille cartonnée de l’un de ses tiroirs.

— Voilà la maquette. Ce sera une photo du singe, numérotée. Je m’occupe de les faire imprimer. Ça ressemblera à une carte de membre. Il y aura la somme donnée au verso, histoire de valider le montant.

Alex se leva d’un bond.

— On commence quand ?

— Samedi. On partage le fric en deux.

— Tope-là.

Ils se serrèrent la main pour sceller le pacte.

Dès le lendemain, Franck visita les principales bibliothèques de la capitale en vue de trouver une photo de tamarin pinché susceptible de fendre l’âme du public cible.

Selon lui, le succès de l’opération tenait en grande partie à la sensiblerie dont les gens faisaient preuve lorsqu’il s’agissait d’animaux en péril. La campagne menée quelques années plus tôt par Brigitte Bardot contre la chasse aux bébés phoques en était la preuve. Personne ne s’était soucié du fait que ce combat contribuait à détruire une partie importante du mode de vie des Esquimaux.

Les cartes d’adoption imprimées, Franck et Alex rassemblèrent leurs équipes. Après leur avoir expliqué les enjeux de l’opération, ils se penchèrent sur la stratégie commerciale.

Cette fois, ce fut Alex qui fit preuve d’opportunisme et de bon sens.

— Commencez par leur demander s’ils aiment les animaux. Ensuite, montrez-leur la photo et demandez-leur s’ils accepteraient de laisser mourir ces petites bêtes sans rien faire.

Les gamins embrayèrent.

L’opération fut un grand succès. Entre le samedi 19 mars et le dimanche 17 avril, à raison de trois après-midi par semaine, vingt-huit scouts écumèrent les rues de Bruxelles, ralliant plusieurs centaines de personnes à la cause.

De leur côté, Franck et Alex faisaient feu de tout bois, visitant sans relâche les commerçants et les petites entreprises. Chaque soir, l’argent récolté était remis aux deux compères qui déclaraient le verser sur le compte en banque de l’association.

Au début du mois de mai, Franck s’acheta un cabriolet Alfa Romeo de 1984, de couleur ivoire, qu’il acquit après une longue négociation avec un marchand de voitures de seconde main.

Plus tape-à-l’œil de nature, Alex jeta son dévolu sur une Ford Mustang rouge sang de 1977.

Galvanisés par leur exploit, ils lancèrent en juin une opération destinée à sauver le percnoptère d’Égypte.

14

Prononcer un mot

Il est 8 h 55 lorsque j’arrive au Palais de Justice.

Comme chaque matin, des hordes d’avocats parcourent les couloirs, leur longue robe noire flottant dans leur sillage.

Je traverse le hall monumental et prends la direction de la Chambre du conseil. Les quatre salles se situent à l’étage inférieur. À partir de 9 heures, les affaires passent les unes après les autres, en fonction du juge qui instruit le cas. L’ordre de traitement est planifié de huit minutes en huit minutes, mais l’horaire n’est jamais respecté.

Pour les habitués, c’est l’occasion de croiser les confrères, de prendre des informations, d’échanger quelques potins, de recevoir ou de lancer une invitation.

Si certains avocats se réjouissent de cette opportunité, il n’en va pas de même pour les détenus. Une comparution est une épreuve douloureuse.

Réveillés à 6 h 30, ils se rasent et se coiffent pour se donner une apparence respectable. S’ils n’ont pas reçu de vêtements de leur famille, ils sont contraints de remettre ceux qu’ils portaient quand ils ont été arrêtés. Il n’est pas rare qu’ils soient déchirés ou maculés de sang.

Auparavant, ils devaient se mettre à poil et faire quelques flexions pour montrer qu’ils n’avaient rien caché dans leur anus. À présent, ils sont autorisés à garder leur slip. Certains profitent de la situation pour dissimuler du tabac, des allumettes ou des barres de shit.

Je suis au bas de l’imposant escalier lorsque Patrick, un de mes compagnons d’infortune, fonce droit sur moi. Il est accompagné d’une jeune avocate dont le visage ne m’est pas inconnu.

— Salut Jean. Tu m’as fait faux bond l’autre midi. J’allais t’appeler, tu es libre demain soir ?

Il connaît ma situation et m’invite régulièrement chez lui. Divorcé depuis peu, il collectionne les conquêtes et se fait une joie de les exhiber comme autant de trophées.

— J’ai un tas d’invitations, mais je vais tout annuler.

— Je n’en attends pas moins de toi. 20 heures chez moi, ça te va ?

— J’y serai.

Il me désigne la jeune femme.

— Je te présente Leila. Elle vient de rejoindre le cabinet.

Elle me tend la main.

— Très heureuse de vous revoir.

Je m’incline.

— Le plaisir est pour moi. De me revoir ? Nous nous connaissons ?

— Leila Naciri, j’ai suivi un de vos cours, quand j’étais jeune.

— Quand vous étiez jeune ?

Elle n’a pas plus d’une trentaine d’années.

La silhouette élancée, de longs cheveux auburn, des yeux noirs scrutateurs, elle dégage un indéniable charme auquel Patrick ne doit pas être insensible.

Elle sourit.

— Vous m’avez transmis votre passion. En plus, j’ai apprécié votre sens de l’humour.

Patrick mime la grimace de la fan en extase et s’adresse à elle.

— Dans ce cas, viens te joindre à nous demain soir. Jean te donnera une mèche de cheveux, tant qu’il lui en reste.

Elle fronce les sourcils.

— Demain soir ? J’ai un truc, mais je peux m’arranger.

Je jette un coup d’œil à ma montre.

— Je dois y aller. À demain ?

— À demain.

Je poursuis mon chemin en pensant à Akim Bachir. Il est arrivé au Palais bien avant moi. À l’heure qu’il est, il ne doit pas être au mieux de sa forme, encagé dans un espace minuscule, au sous-sol.

Les quatre-vingts cellules installées sur quatre étages sont souvent toutes occupées. Il arrive que deux ou trois détenus doivent cohabiter pendant plusieurs heures dans un cachot à peine plus grand qu’une cabine téléphonique.

Ils sont survoltés, surtout s’il y a des femmes dans les cellules contiguës. Ils s’apostrophent, échangent des messages, se provoquent, s’insultent. La situation tourne à la cacophonie généralisée.

9 h 19.

Je prends mon mal en patience et fais les cent pas dans le couloir. Les comparutions se tiennent à huis clos et ne durent que quelques minutes, mais, pour une raison ou une autre, il se peut qu’une affaire prenne deux heures au lieu des huit minutes prévues.

La plupart du temps, l’avocat de la défense se contente de déclarer que manifestement, eu égard aux faits, il s’en remet à la sagesse de la cour. Le détenu retourne en prison pour un mois. À la fin de cette période, une nouvelle comparution est prévue, et ainsi de suite, de mois en mois.

À 9 h 45, l’huissier fait son apparition dans le couloir.

Il m’appelle et m’informe que je suis le prochain sur la liste.

À 10 h 15, j’entre dans la salle.

Akim Bachir se présente quelques instants plus tard, menotté et encadré par deux agents.

Il ne fait pas bonne figure avec son ecchymose et ses baskets crasseuses. Son père lui a apporté une chemise blanche et un costume trop grand pour lui. Attifé de la sorte, il a peu de chances d’impressionner l’assemblée.

Je jette un regard à Olga Simon, la juge d’instruction, connue pour son franc-parler et son accent bruxellois prononcé. J’ai eu affaire à elle à plusieurs reprises. Le courant ne passe pas entre nous.