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Lorsque le président a procédé à la vérification d’identité, Olga Simon fait son rapport en dévisageant Akim Bachir avec dédain.

Elle met l’accent sur le couteau, les insultes, l’agression avec violence et la prise d’otages. À décharge, elle cite le témoignage de l’employée blessée et la phrase non menaçante que Bachir lui a murmurée à l’oreille.

Le substitut du procureur lui embraie le pas et entame son réquisitoire.

D’un ton ironique, il rappelle qu’Akim Bachir est un personnage connu en ces lieux, affirme selon la formule consacrée qu’il « présente un danger pour le maintien de la sécurité publique » et demande que le mandat d’arrêt soit confirmé.

Le président m’interpelle.

— Maître Villemont ?

J’attends d’avoir l’attention de tous pour engager les hostilités.

— Monsieur le président, l’analyse qui a été faite n’est pas la bonne. Il reste plusieurs zones d’ombre.

Je me suis volontairement abstenu des « selon moi », « d’après moi », « j’estime » ou autres précautions oratoires consacrées.

Mon aplomb le surprend.

— Sur quels éléments vous basez-vous ?

En règle générale, le président de la Chambre ne connaît pas les dossiers. Il serait bien en peine de le faire, au vu du nombre d’affaires qu’il traite quotidiennement. Au mieux, il parcourt les documents en diagonale avant l’entrée de l’inculpé.

Olga Simon se dresse sur sa chaise, les lèvres pincées. Je la regarde pendant quelques secondes avant de poursuivre.

— Je me base sur le fait que le dossier n’est pas complet.

Le président m’invite d’un geste.

— Poursuivez.

— J’estime que madame la juge d’instruction aurait dû ordonner certains devoirs qui sont utiles à la manifestation de la vérité. Une vidéo a été prise lors des faits. Elle n’a pas été visionnée. De plus, l’épouse de M. Bachir n’a pas été entendue. Monsieur Bachir lui a téléphoné alors qu’il était dans le bureau de poste, ce qui n’est pas un comportement que l’on constate habituellement. Il faudrait entendre la version des faits de Mme Bachir.

Il se frotte le menton.

— Autre chose ?

— Certains témoins ont parlé d’une voiture qui stationnait devant le bureau de poste pendant que M. Bachir y était. Cette voiture a démarré à l’arrivée de la police. Il faudrait creuser cette piste.

Il dodeline de la tête.

— Je vois. Que concluez-vous ?

— Attendu que mon client souhaite garder le silence, j’en conclus qu’il n’avait pas l’intention de commettre un braquage. J’en conclus également qu’il est soit psychologiquement déséquilibré, soit qu’il tentait de se soustraire à une menace.

Akim Bachir me fixe avec intensité.

Je soutiens son regard. Je craignais qu’il rompe le silence et explose de colère.

À mon propre étonnement, je ne lis ni stupeur ni fureur dans ses yeux, mais une peur panique qui l’empêche de prononcer un mot.

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Entrer dans la légende

Le vendredi 22 février 2013, aux environs de 11 heures, Franck Jammet fut interpellé dans sa propriété d’Oppède-le-Vieux, à une dizaine de kilomètres de Cavaillon.

Conduit dans les locaux du commissariat central de police d’Avignon, il fut longuement interrogé par les enquêteurs de l’OCLCCO, l’Office central de lutte contre le crime organisé.

Il nia toute participation dans le braquage de Zaventem et déclara aux policiers qu’il avait pris la décision de tourner la page de son ancienne vie et n’avait plus fait parler de lui depuis trois ans.

Par ailleurs, il fournit aux policiers un alibi pour la journée du lundi 18 février. Il affirma avoir passé la majeure partie de la journée à la Philharmonie de Luxembourg et attesta qu’une vingtaine de personnes pourraient le confirmer.

En fin d’après-midi, vers 18 heures, il avait quitté le Grand-Duché et fait le plein de carburant à la station Aral de Berchem avant de poursuivre sa route vers la France pour rejoindre sa compagne dans le Lubéron.

La police s’était empressée de vérifier ses déclarations.

Plusieurs personnes qui travaillaient à la salle de concert, dont le directeur, confirmèrent avoir vu Franck Jammet et déclarèrent qu’il avait quitté les lieux vers 18 heures.

Les caméras de surveillance de la station-service luxembourgeoise avaient enregistré son passage à 18 h 17. Il apparaissait clairement sur les images.

Le tout-terrain Mercedes avait ensuite été repéré à la station d’entrée du péage de Gye à 20 h 08 et à la sortie de Villefranche-Limas à 23 h 15. Néanmoins, les photos ne permettaient pas d’attester qu’il s’agissait de Franck Jammet au volant.

Le véhicule avait ensuite été signalé au péage de Vienne à 23 h 57 et à la sortie d’Avignon Sud à 1 h 50.

La compagne de Franck Jammet déclara aux policiers qu’il était arrivé vers deux heures et demie, ce qui correspondait à l’horaire théorique de l’itinéraire.

Plusieurs villageois affirmèrent avoir vu Franck Jammet se promener dans les rues d’Oppède en fin de matinée, le mardi 19 février.

Malgré cela, les policiers continuèrent à douter de ses déclarations. Selon eux, Franck Jammet aurait pu faire le plein à Luxembourg, laisser sa voiture à un complice et prendre la direction de Bruxelles.

Il objecta qu’il lui aurait fallu parcourir plus de deux cents kilomètres en une heure et demie pour arriver à l’heure sur le lieu du braquage, ce qui équivalait à rouler à cent cinquante kilomètres heure de moyenne. Considérant le trafic sur la E411 et les embouteillages à l’entrée de Bruxelles en fin de journée, ce scénario était irréaliste.

Un tel argument ne suffit pas à décourager les policiers. Ils avancèrent qu’il aurait pu utiliser une voiture puissante ou une moto de forte cylindrée. L’hypothèse était d’autant plus vraisemblable que l’Audi S8 qui avait participé au braquage était équipée de plaques d’immatriculation françaises.

Après le braquage, il aurait eu le temps de rentrer à Oppède-le-Vieux et de se montrer le lendemain matin dans le village.

Néanmoins, ils ne trouvèrent aucune trace d’une quelconque Audi S8 aux différents péages, ce qui ne signifiait pas pour autant que Franck Jammet n’était pas impliqué dans le casse. Il aurait pu rentrer au volant d’un autre véhicule.

Les preuves étant insuffisantes, ils mirent fin à la garde à vue le samedi 23 février, en milieu d’après-midi.

Alertés entre-temps, les médias s’étaient rués à Avignon.

Christine Ferjac, une journaliste du Parisien, revint sur le bref échange qu’elle avait eu avec Franck Jammet à la sortie de la prison de la Santé, un an auparavant, et titra à la une du quotidien.

Après Ronnie Biggs et Albert Spaggiari,
Franck Jammet va-t-il entrer dans la légende ?

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Cette dernière image

Patrick m’accueille, un verre d’alcool à la main, l’œil allumé, la chemise ouverte jusqu’au nombril.

— Et alors ? C’est à cette heure-ci que tu arrives ?

— J’ai été enlevé par des extraterrestres.

— Je vois ça. Ils t’ont offert un de leurs chapeaux en souvenir ?

D’un geste théâtral, il m’invite à entrer et m’indique le salon.

Un joyeux désordre règne dans la pièce. Des assiettes et des verres vides traînent de tous côtés, des relents de cuisine asiatique flottent dans l’air et une musique techno aux basses assourdissantes fait trembler les murs.