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Je monte à l’étage.

Des gémissements mêlés d’éclats de rire s’échappent d’une des chambres. Je me retourne pour redescendre et tombe nez à nez avec Leila. À sa tête, je comprends qu’elle aussi a entendu les plaintes.

Je joue l’innocent.

— Laissons-le. Il a trop bu. Je crois qu’il dort.

Nous redescendons, prenons nos affaires et sortons.

Elle habite à Ixelles, rue Blanche. Quand nous arrivons dans sa rue, elle m’indique une voiture en stationnement.

— Voilà, c’est là.

Je m’arrête à hauteur du véhicule.

— Dors bien, Leila. À bientôt.

Elle ouvre la portière.

— Bonne nuit, Jean. Merci pour cette belle soirée.

Elle se penche vers moi, dépose un baiser sur mes lèvres et disparaît dans la nuit.

Je rentre chez moi quelque peu déboussolé.

La tête me tourne. J’éprouve une sensation de flottement dans le ventre, je n’ai pourtant pas bu plus de deux verres.

Une fois dans mon lit, je repense à Leila, à nos échanges, à la fraction de seconde qu’a duré notre baiser. Un sourire aux lèvres, je ferme les yeux sur cette dernière image.

17

Toi et moi

Entre octobre 1989 et juillet 1990, Franck Jammet connut son premier grand amour et ses premiers échecs scolaires.

Après d’habiles manœuvres, il était parvenu à séduire Fabrizia Foscari, une bouillonnante Italienne de deux ans son aînée, descendante d’une illustre famille appartenant à la noblesse vénitienne.

Le coup de foudre avait été réciproque. Les neuf mois que dura leur romance furent les plus exaltants de la jeune vie de Franck.

Pour son plus grand bonheur, Fabrizia occupait un appartement que ses parents lui avaient loué dans un luxueux immeuble de l’avenue Franklin-Roosevelt. Franck avait profité de l’aubaine pour déserter le domicile familial et s’installer chez elle.

Les contacts qu’il entretenait avec ses parents se limitaient à une brève apparition le dimanche après-midi pour embrasser sa mère, recueillir les confidences de sa sœur et écouter d’une oreille distraite les leçons de vie de son père.

En dehors de ce court intermède, les amants passaient la majeure partie du week-end au lit pour assouvir leur passion dévorante.

Assoiffés de sexe, il leur arrivait de sécher les cours pour se ruer à l’appartement et donner libre cours à leur libido insatiable.

Tout à son idylle, Franck avait relégué son cursus universitaire au second plan. Il comptait sur sa capacité de concentration et son excellente mémoire pour réviser et assimiler la matière en temps voulu.

Seuls les cours de piano ne furent pas délaissés. Son professeur habitait en face du cimetière d’Ixelles, à quelques centaines de mètres de l’appartement de Fabrizia, ce qui lui permettait de passer deux heures chez lui le mercredi, en début d’après-midi. Même s’il avait peu d’occasions de pratiquer les exercices qui lui étaient imposés, il continuait à progresser.

C’était également un moment où il parvenait à prendre du recul par rapport à la fascination que Fabrizia exerçait sur lui.

Son amitié avec Alex pâtit également de la situation. Leurs rencontres s’espacèrent et se réduisirent à quelques appels téléphoniques.

Plus d’une fois, Alex lui reprocha son manque de réalisme.

— Ouvre les yeux. Cette fille se fiche de toi. Tu n’es qu’un roturier. Elle t’accepte parce qu’elle est loin de chez elle et que tu la baises comme un dieu. Jamais elle n’osera se promener avec toi dans son palais ou te présenter à ses amis.

La réponse que lui donnait Franck d’un ton désinvolte ne reflétait pas le fond de sa pensée.

— Ça n’a pas d’importance, je prends ce qu’il y a à prendre. Une chose est sûre, cette fille est folle de moi. Quant à la suite, on verra.

À la fin de l’automne, Alex lui annonça qu’il avait reçu sa convocation pour le service militaire. Il avait présenté sa candidature pour rejoindre les paras-commandos, un service plus long, mais qui l’attirait par sa formation intensive et son côté aventureux.

Durant cette période, Franck assista aux métamorphoses qui s’opérèrent chez son ami, tant sur le plan physique que psychique. En quelques mois, l’adolescent nonchalant était devenu un homme énergique, à la carrure de rugbyman.

Son crâne rasé faisait ressortir ses traits creusés et son regard menaçant. Sûr de lui, il n’hésitait pas à chercher la bagarre pour le seul plaisir de mesurer l’effet qu’il produisait.

Au mois d’avril, lors d’une de ses permissions, Franck l’avait invité dans une boîte branchée du quartier Louise.

En fin de soirée, éméché, Alex lui avait indiqué le bar.

— Tu vois l’armoire à glace avec ses deux cloportes ? On parie que je le mets à genoux en moins de dix secondes, avec deux doigts, sans lui donner le moindre coup ?

— Tenu.

Alex s’était approché du malabar en roulant des épaules.

— Salut, tas de viande. Ta maman sait que tu traînes dans les bars et que tu bois de l’alcool ?

Piqué au vif, le colosse avait bondi pour laver l’affront.

D’un geste, Alex avait saisi la main du gaillard entre son pouce et son médius et avait dessiné une gracieuse arabesque dans les airs en lui tordant le poignet. L’homme n’avait pu faire autrement que d’accompagner le mouvement et s’était retrouvé aux pieds d’Alex, grimaçant de douleur.

Hilare, ce dernier avait hélé Franck.

— Alors ? Tu vois ?

Il n’avait pas prévu que les cloportes en question étaient armés de couteaux et n’avait dû son salut qu’à son agilité à la course à pied.

En juin, alors que la fin de l’année scolaire approchait et que Fabrizia préparait son retour en Italie, elle mit fin à leur relation de manière abrupte, sans préavis ni explication.

Rongé de chagrin, humilié, Franck avait déprimé pendant tout l’été. Il avait refusé d’accompagner ses parents sur la côte et était resté cloîtré dans sa chambre, persuadé que la blessure ne guérirait jamais, que sa vie était finie et qu’il ne lui restait qu’à se laisser mourir.

Malgré la douleur qui le tenaillait, il s’était interdit de se réfugier dans l’alcool ou les paradis artificiels.

Fin août, il avait revu Alex.

Son ami l’avait secoué sans ménagement.

— Je ne te reconnais pas. Tu es blanc comme un macchabée. Tu pourrais te taper les plus belles filles de la Terre et tu restes à pleurnicher sur ton sort. En plus, elle n’avait pas de nichons, ta Ritale.

— Laisse-moi encore un peu de temps, je vais m’en sortir.

La leçon avait porté ses fruits.

En septembre, Franck annonça à ses parents qu’il renonçait à poursuivre ses études à l’ICHEC. Le contenu des cours ne l’intéressait plus et il ne voulait en aucun cas revoir Fabrizia.

Sa décision lui valut une longue réprimande paternelle.

Excédé, il avait fini par frapper du poing sur la table.

— J’ai vingt et un ans. Je suis majeur, je fais ce que je veux. Si ça ne te plaît pas, mets-moi dehors !

Le coup de gueule avait été salutaire. Le rapport de force s’était inversé, son père s’était rangé de son côté et Franck n’avait pas quitté le foyer familial.

En janvier 1991, il reçut une convocation l’invitant à se présenter le lundi 1er avril au Groupe Léopard, à Bourg-Léopold, en vue de suivre une formation de quatre mois comme sous-officier chef de char.

Trois jours avant la date fixée, Alex avait fêté sa démobilisation. L’espace d’un week-end, libres et dans un état euphorique, Franck et Alex avaient resserré les liens d’amitié que l’éloignement avait peu à peu distendus.