Выбрать главу

Il fait son apparition une demi-heure plus tard. Il est exsangue, sa barbe fait ressortir son teint livide. Il a l’air d’avoir perdu dix kilos. Son odeur laisse supposer qu’il n’a pas pris de douche depuis son arrestation.

— Bonjour, monsieur Bachir.

Il m’offre un grognement en guise de réponse.

Son père m’a prévenu. Je sais ce qu’il va me demander et je sais déjà qu’il y a très peu de chances que sa requête aboutisse.

Il reste debout, les épaules tombantes, la tête penchée en avant, comme un gosse buté pris en faute.

Je prends le temps de m’asseoir et l’invite à en faire autant.

— Asseyez-vous.

Il secoue la tête.

— Je reste debout.

— Que se passe-t-il ?

— Il faut que je sorte d’ici.

— C’est ce que votre père m’a dit. Autant vous prévenir, ce n’est pas simple. Les changements d’établissement pénitentiaire sont rares dans le cas d’une préventive. Je veux bien en parler à la juge d’instruction, mais je pense qu’elle refusera, sauf si je lui présente de bonnes raisons.

Il se laisse tomber sur la chaise et prend sa tête entre ses mains.

— Si je reste ici, je vais crever. C’est une bonne raison ?

Je m’attendais à un raccourci du genre.

Le fait qu’il ait tenté de m’appeler à plusieurs reprises et l’état de panique de son père me le laissaient présager.

Je fais mine de compatir.

— Je sais que les conditions de détention sont exécrables, mais ça ne suffit pas pour justifier une demande de transfert. Votre famille vous aide ? Vous avez les moyens de cantiner ?

Il relève la tête et m’agresse du regard.

— Ça n’a rien à voir avec la bouffe.

Je continue sur mon chemin de traverse.

— Je prendrai contact avec la juge d’instruction demain. Elle va me demander ce qui motive la demande. Quelles raisons dois-je invoquer ?

Il hausse les épaules.

— Je sais pas, racontez-lui ce que vous voulez, c’est vous le spécialiste.

— L’un des arguments qui pourraient être pris en compte est de lui dire que vous vous sentez menacé, que vous êtes en danger.

Il fait un geste brusque.

— Alors, dites-lui ça.

— Elle va vouloir des détails.

Il plonge une nouvelle fois son visage entre ses mains.

— Je peux rien dire de plus.

— Quelqu’un vous a menacé ?

Dans les prisons, les agressions sont fréquentes, à Forest en particulier. La plupart du temps, ce sont des rackets qui se passent pendant la promenade et visent les détenus faibles ou isolés.

Passe-moi tes baskets, file-moi ta montre, donne-moi du shit.

Si le type n’obtempère pas, ils fondent sur lui à une dizaine, l’entraînent dans un coin de la cour et le passent à tabac. Pour aller plus vite, ils mettent des morceaux de verre ou une boîte de conserve dans une chaussette et y vont de bon cœur. Quand leur proie est knock-out, ils terminent le travail à coups de pied.

Parfois, le massacre passe inaperçu. Le préau a la taille d’un terrain de tennis. Une cinquantaine de prévenus s’y promènent en même temps, surveillés de loin par un gardien et des caméras. Si le planton remarque l’attaque à temps, il donne l’alerte. Les matons débarquent à dix, vingt ou trente et foncent dans le tas. Bien souvent, il est trop tard. Le gars est mort ou défiguré, le sport préféré des racketteurs étant le tir de pénalty dans la tête.

Il relève le menton.

— Vous n’avez pas compris ? Je peux rien dire de plus.

Je décide de lâcher du lest.

— Je suis allé voir la vidéo des faits. Je suis convaincu que vous ne vouliez pas braquer cette poste, mais que vous cherchiez à vous protéger des hommes qui se trouvaient dans la voiture. Vous aviez des traces de coups, c’était tout récent.

Il ne répond pas.

Je poursuis.

— Vous avez téléphoné à votre femme et elle est partie à toute vitesse. Avec Badri. Je suis allé chez vous. Votre voisin me l’a confirmé. La police a essayé de la joindre, sans succès. On ne sait pas où elle se trouve et votre père ne veut rien dire. Vous aviez peur que les hommes dans la voiture s’en prennent à elle ?

Il secoue la tête pour se débarrasser de la question.

— Si je parle, je suis mort.

Sa déclaration confirme mes craintes.

Il faut être naïf pour penser que l’on est en sécurité en prison. Les détenus les plus dangereux sont ceux qu’ils appellent les Blédards. La majorité d’entre eux sont des clandestins. Ils ont agressé ou tué et savent qu’ils vont prendre entre dix et trente ans. Leur vie ne vaut rien et ils n’ont rien à perdre. Ils se promènent en groupe et agissent comme les hyènes.

Pour quelques euros ou quelques grammes de cannabis, on peut leur passer une commande et mettre une tête à prix. Pour un règlement de comptes en face-à-face ou les douches pour une mise à mort, leur terrain de prédilection est la salle d’attente de l’infirmerie.

Ils s’arrangent pour y aller en même temps que leur cible et s’y mettent à quatre ou cinq, à coups de pain de savon glissé dans une chaussette ou un gant de toilette. Quand ils quittent les lieux, les matons retrouvent le cadavre et lancent une enquête interne. Ils sont interrogés, mais n’ont rien vu, rien entendu et ne savent rien.

À ce tarif-là, il est facile de passer un contrat sur la tête de quelqu’un, même de l’extérieur.

Si Bachir est menacé, il doit trouver d’autres moyens de se protéger que de s’abstenir d’aller à la promenade ou de prendre une douche.

— Vous avez des amis, ici ? Des frères de sang pour vous aider ?

— J’ai personne. Ils m’ont tous laissé tomber.

— Qui, tous ?

Il croise les bras et se mure dans le silence.

— Je suis votre avocat. Tout ce que vous me direz restera entre nous. Nous sommes dans le même camp.

Il se lève.

— Vous mentez ! Avant-hier, vous avez raconté au juge un tas de choses que je ne vous ai pas demandées.

— Pour votre bien.

— Vous êtes comme tous les avocats, vous ne comprenez rien !

Cette fois, la moutarde me monte au nez.

Je me lève à mon tour.

Nos visages se touchent presque.

— J’ai fait preuve de beaucoup de patience avec vous, mais maintenant j’en ai marre ! Vous ne voulez rien dire, je mens, je ne comprends rien. Arrêtez ce cirque et crachez le morceau !

Je m’attendais à une nouvelle attaque verbale.

Il me dévisage, les yeux ronds.

Ses lèvres se mettent à trembler légèrement.

Comme s’il était pris d’un malaise, il s’effondre sur la chaise et éclate en sanglots.

Je reste sans voix.

Il se recroqueville et pleure à chaudes larmes, le corps agité de spasmes. Il secoue la tête de manière convulsive et scande entre deux sanglots.

— Je peux rien dire. Je peux rien dire. Je peux rien dire.

Cette crise confirme qu’il est psychologiquement instable.

Je mettrais ma main à couper qu’il n’a pas agressé cette femme en février 2007. Il était sur les lieux, mais n’a pas participé à l’agression, il n’a pas le profil. En revanche, il a toutes les caractéristiques du type qui porte le chapeau. Il est faible et influençable. Ses acolytes l’ont envoyé au casse-pipe.

La seule façon d’être reconnu par les siens est de ne rien dire et de ne pas passer pour une balance.

J’attends qu’il se soit calmé et je murmure presque.

— Si vous ne voulez rien dire, ne dites rien. Sachez que ça ne m’empêchera pas de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour vous sortir de là.

Il relève la tête, les traits défaits, les yeux rougis.