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— Je veux juste revoir ma femme et mon fils.

20

Parle-moi de ton infirmière

Alex enfila le costume que Franck lui avait offert et alla se présenter à la société de sécurité.

Durant l’entretien de recrutement, il suivit à la lettre les conseils que son ami lui avait donnés et répondit sans détour aux questions du chef du personnel, un homme à l’épaisse tignasse rousse qui triturait son stylo avec nervosité.

La dernière question l’avait quelque peu désorienté.

— Imaginons que vous trouviez un portefeuille dans lequel il y a vingt mille francs, que faites-vous ?

Alex lui avait adressé un clin d’œil.

— Je prends les vingt mille francs.

— Et ensuite ?

— Je remets le portefeuille dans la poche du type.

L’homme avait souri.

— Vous avez le sens de l’humour.

La société mena une enquête préalable qui se révéla concluante. Alex sortait des paras-commandos, présentait de bons états de service, faisait bonne impression et avait un casier judiciaire vierge. Il signa son contrat et entra en fonction.

La première mission qui lui fut confiée consistait à se poster à l’entrée du parking souterrain des Communautés européennes pour contrôler les badges d’accès. Il comprit rapidement que sa présence avait pour réelle finalité de faire fuir les colporteurs qui importunaient les fonctionnaires aux heures de pointe.

En période creuse, il restait assis dans une minuscule guérite. Cette brève occupation lui permit de s’initier à la discipline reine des agents de sécurité affectés à ce type de tâche, les mots croisés.

Ce furent ensuite des gardes de nuit dans des bâtiments administratifs déserts ou autour d’entrepôts dont il ignorait le contenu.

Toujours sous l’impulsion de Franck, il soigna son image et se porta volontaire pour remplacer les collègues souffrants ou ne répondant pas à l’appel. On sut rapidement qu’en cas de coup dur, on pouvait faire appel à Alex Grozdanovic, même un dimanche à 3 heures du matin, qu’il se présenterait à l’heure fixée sans rechigner, l’uniforme propre et repassé.

Le 26 décembre 1991, alors que Mikhaïl Gorbatchev venait d’annoncer la disparition de l’empire communiste, il fut envoyé dans les locaux de la station de radio RTL, sous le coup d’une hypothétique menace terroriste.

Son rôle se bornait à effectuer des rondes régulières autour de l’immeuble, situé en face de l’université de Bruxelles. En guise de compagnon d’armes, il hérita d’un berger allemand entraîné pour la détection d’explosifs. Soucieux de ne pas ternir sa réputation de baroudeur, il s’était gardé d’avouer qu’il avait peur des chiens en général, et de celui-là en particulier.

Le dernier jour de l’année, alors que la neige tombait, une réceptionniste lui proposa de prendre un café pour se réchauffer.

Dans l’arrière-cuisine, il fit la connaissance de plusieurs présentatrices et se rendit compte de l’effet qu’il produisait sur elles, avec son allure martiale, son uniforme et sa manière détachée de poser une fesse sur la table en jonglant avec son trousseau de clés.

Avec l’aide de l’une d’elles, il dénicha un local inoccupé et y enferma le chien. Dès cette minute, il passa l’essentiel de ses journées à parader autour de la machine à café, ne sortant que pour faire un rapide tour d’inspection.

La mission lui parut moins déplaisante et les heures plus courtes. Trois jours plus tard, il invita l’animatrice complice au restaurant et termina la soirée dans son lit.

Fier de son exploit, il téléphona à Franck pour lui relater ses dernières aventures.

Ce dernier n’eut pas la réaction attendue.

— Tu rigoles ? Tu veux te faire foutre dehors ? Tu n’es pas là pour baiser des starlettes. Tu vas faire ton boulot et arrêter de déconner.

Alex n’insista pas.

— D’accord, ne t’énerve pas.

Quelques jours plus tard, il fut convoqué par le chef du personnel. Persuadé que le subterfuge du chien avait été découvert et que le pronostic de Franck allait se vérifier, il se tint sur la défensive.

À sa surprise, il reçut des compliments pour son professionnalisme et sa rigueur. Au vu des rapports positifs venant des clients, on lui proposa de suivre les cours destinés à obtenir le permis de port d’armes.

Alex réussit le parcours haut la main et reçut son arme de service, un vieux Smith & Wesson.38. Il accédait ainsi au statut d’« homme armé », titre qui majorait son salaire de deux mille francs par mois et autorisait l’entreprise à facturer un supplément de huit mille francs par jour à ses clients.

En avril, il reçut une promotion. Désormais, il serait affecté au service de transferts de fonds.

Le soir même, il alla trouver son ami pour lui faire part de la nouvelle. Franck venait de retourner à la vie civile et cherchait un appartement pour s’affranchir du joug paternel.

Il accueillit l’annonce avec enthousiasme.

— Bravo ! Ça y est ! On est dans la place. Tu es un type formidable.

Alex eut un mouvement d’humeur.

— Il est temps ! Ça fait des mois que je moisis dans cette boîte pour un salaire de misère. J’ai dû revendre ma bagnole pour payer mon loyer. Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

— Tu vas noter avec précision la manière dont se déroulent les transferts.

Alex acquiesça.

— Je m’en occupe. Et toi, qu’est-ce que tu fais ?

— J’ai un appart en vue et j’ai trouvé un job à mi-temps dans un club de fitness. Je donnerai aussi quelques leçons de piano de temps en temps. En attendant.

— En attendant quoi ?

— Ton rapport sur les transferts.

Un mois plus tard, Alex débarqua avec le rapport attendu.

L’appartement que Franck avait loué se trouvait avenue Montjoie, au quatrième et dernier étage d’un vieil immeuble sans ascenseur. Bien que vétuste, il était lumineux et donnait sur les courts du Tennis Club Churchill.

Après une rapide visite des lieux, ils s’assirent autour de la table.

Alex prit l’initiative.

— J’ai noté la procédure, point par point, minute par minute, comme tu me l’as demandé.

Franck prit un bloc de papier et un crayon.

— Je t’écoute.

— Les transferts se font de nuit. Je me pointe à 21 heures au dépôt, rue Mercelis. Je prends mon flingue, puis je mets mon casque et mon gilet pare-balles.

Franck inscrivit avec soin les informations.

— Après ?

— Je vais dans le hangar où sont parqués les véhicules. La feuille de route et le trousseau de clés sont dans le fourgon. Je fais la même tournée toutes les nuits, avec le même type. On est chauffeur ou convoyeur, à tour de rôle.

— Tu le sais combien de temps à l’avance ?

— Une semaine.

Franck était absorbé dans ses pensées, comme s’il cherchait à analyser les données en même temps qu’il les recevait.

— Ça devrait suffire. Ensuite ?

— Je vérifie les niveaux et je descends au sous-sol avec le fourgon. En bas, je demande par CB l’ouverture du sas de sécurité.

— Quelle est la procédure ?

La question parut surprendre Alex.

— Je prends le micro, je pousse sur le bouton et je dis : « Dumbo One à dispatcher, demande ouverture des portes. »

Franck s’esclaffa.

— « Dumbo One » ? C’est comme ça que tu t’appelles ?

— Je vois pas ce que ça a de drôle.

Franck reprit son sérieux.

— Continue.

— Au sous-sol, j’entre en marche arrière dans un box étroit. Je descends du bahut et je vais au fond du garage. Je passe un sas, je file ma feuille de route à une employée et elle me donne les pochettes avec le fric.