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Elle acquiesce d’un signe de tête.

— Ce sont des perruches ondulées, un couple. Je les ai depuis six ans. Ça demande pas mal de soins.

En plus des volatiles, un aquarium glougloute sur un coin de la table et un véritable jardin botanique envahit les meubles.

Je ne comptais pas de prime abord me pâmer devant sa ménagerie, mais c’est une manière efficace de l’amadouer.

— Elles parlent, vos perruches ?

Elle incline la tête.

— Parfois. En temps normal, elles chantent. Quand on essaie de me mentir, elles poussent des cris aigus.

— Me voilà prévenu.

Le cheveu court, le nez retroussé, elle aurait un certain charme si elle n’avait ce caractère détestable.

Elle m’indique une chaise et pose les mains à plat sur son bureau.

— Je suppose que vous n’avez pas demandé à me rencontrer pour venir admirer mes perruches. Que puis-je faire pour vous, maître ?

— Je viens vous voir au sujet d’Akim Bachir.

Elle hoche la tête d’un air entendu.

— Je vois. Qu’est-ce qui se passe avec l’affaire Bachir ?

— J’aimerais que vous lui accordiez une autorisation de transfert.

Elle me dévisage.

— Tiens donc.

Ma tentative de diversion a échoué. Elle n’a pas oublié mes propos de vendredi à la Chambre du conseil et compte me le faire payer.

Elle plisse les yeux.

— Vous faites moins le malin maintenant que vous avez besoin de moi.

Je ne relève pas.

— L’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît.

Elle continue sur sa lancée.

— Je fais mal mon boulot ?

— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.

— C’est en tout cas ce que vous avez laissé entendre. « Madame la juge aurait dû, madame la juge n’a pas… » Vous ne seriez pas un peu misogyne ?

— Je suis désolé si mes paroles vous ont heurtée. Je souhaitais attirer l’attention sur certains aspects de cette affaire.

— Croyez bien que je ferai ce qu’il faut faire pour que ces aspects soient explorés. Pourquoi il veut être transféré, votre Bachir ? Il trouve le lit pas assez confortable ? La viande pas assez tendre ?

Ce n’est pas la première fois qu’elle joue dans le registre sarcastique.

Elle embraie aussitôt.

— Ces types sont incroyables. Ils ont protesté parce qu’il y avait Canal Plus à la télévision et qu’on voyait de temps en temps un nichon. On a enlevé Canal Plus. À la place, on leur a mis Al Jazeera et je ne sais quelle autre chaîne avec des barbus qui récitent le Coran à longueur de journée. Et puis quoi encore ?

— Là n’est pas la question et vous le savez.

— Si, là est la question. Imaginez qu’on vous arrête au Maroc et qu’on vous mette en prison. Après quelques jours, vous demandez d’avoir Télé Vatican dans votre cellule parce que vous êtes catholique. Vous croyez qu’ils vont accepter ? Et après ça, on s’étonne qu’ils deviennent djihadistes. Les meilleurs centres de formation se trouvent dans les prisons belges. On est le plus grand pays exportateur de terroristes. Un jour, on aura une vague d’attentats à Bruxelles, vous verrez.

Elle n’est pas la seule représentante de la magistrature à tenir ce genre de discours en aparté. Parfois en plus large comité.

Je fais un effort pour ne pas m’emporter.

— Nous nous écartons du sujet, madame la juge.

Elle croise les bras et recule sur sa chaise.

— Si vous le dites. Quelles sont les raisons invoquées ?

— Mon client se sent menacé.

— Menacé par qui ? Par des détenus ou par les gardiens ?

— Par des détenus.

— Vous avez les noms de ces détenus ?

— Il refuse de parler, il ne veut dénoncer personne.

Elle décroise les bras et lance les mains au ciel.

— S’il ne veut pas parler, je ne peux rien faire pour lui.

— Sa vie est en jeu.

L’argument ne semble pas la toucher.

— C’est possible.

Elle prend son téléphone pour me signifier que l’entretien est terminé.

— J’ai du travail, maître.

— Vous ne pouvez vraiment rien faire ?

Elle repose le combiné, l’air excédé.

— Je peux l’envoyer à l’annexe psychiatrique, chez les fous. C’est la seule chose que je peux faire pour lui.

Je me lève.

— Je vous remercie. J’ai été ravi de vous rencontrer.

L’une des perruches pousse un cri aigu quand je franchis la porte.

23

Une guerre russo-arabe

Assis en équilibre au bord du divan, je mange du bout des dents en repensant à l’attitude bornée d’Olga Simon.

À l’arrière-plan, la télévision relate en sourdine les derniers rebondissements du casse de Zaventem et l’état de l’enquête une semaine après les faits. D’après la police, les enquêteurs avancent à grands pas. Ce genre de déclaration signifie généralement qu’ils ne sont nulle part.

Je ferai un crochet par Forest demain pour expliquer à Akim que sa demande est rejetée.

Mon festin terminé, je vais ranger mes couverts dans le lave-vaisselle.

Chaque recoin de l’appartement porte l’empreinte du passage d’Estelle. Je pourrais retracer le parcours qu’elle a effectué jeudi dernier. Ses chaussures dans le hall, son rire qui résonne dans le salon, des particules d’Eau d’Issey qui ondoient dans la chambre.

Les derniers vêtements ont disparu. L’appartement est orphelin de sa présence.

Des images défilent.

Nos vacances à la montagne, notre escapade à Rome, les balades en scooter, nos folles journées de shopping à New York, le sentiment que nous étions plus forts que le temps qui passe, la certitude que rien ne viendrait défaire ce que nous avions construit.

Je tente d’endiguer la vague de nostalgie qui déferle en arrimant mes pensées sur les instants passés en compagnie de Leila.

Ils me paraissent sans commune mesure avec ceux que j’ai vécus avec Estelle.

La sonnerie du téléphone vient chasser ma mélancolie.

— Maître Villemont ?

— Lui-même.

— Vincent Dedoncker, vous vous souvenez de moi ?

Vincent Dedoncker est le directeur de la prison de Forest. Sous ses dehors de brute, c’est un homme consciencieux et de bonne volonté. Il est malheureusement dépassé par les événements et la situation chaotique qui règne dans son établissement. Un appel de sa part n’augure rien de bon.

— Bien sûr, monsieur Dedoncker, je vous écoute.

— Je suis au regret de devoir vous informer que M. Akim Bachir a été victime d’une agression cet après-midi, vers 16 heures. Il est dans un état grave, mais ses jours ne sont pas en danger.

— Merde !

Le juron m’a échappé. Je jette un coup d’œil à ma montre.

20 h 10.

Quatre heures se sont écoulées.

Dans les cinq minutes qui ont suivi l’agression, les gardiens et l’ensemble des détenus ont appris ce qui s’était passé, mais il leur a fallu quatre heures pour prendre contact avec l’avocat de la victime.

Cette lenteur désespérante est habituelle. L’administration pénitentiaire est un modèle d’inefficacité bureaucratique.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Il allait à la visite. Son frère l’attendait. Une bousculade a éclaté dans le couloir, plusieurs détenus lui ont porté des coups de brosse à dents. Il a été touché une vingtaine de fois.

La brosse à dents, vicieuse à souhait. Le manche est râpé contre les murs et taillé en pointe. L’objet devient aussi meurtrier qu’un poignard. Les agresseurs cherchent la carotide ou les reins.

— Où est-il ?