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En plus de leur physique avantageux, ils sortaient des rouleaux de billets de banque de leur poche comme d’autres sortent leur briquet, ce qui n’avait pas manqué d’ouvrir l’appétit des starlettes et des femmes fatales qui gravitent autour des personnalités en vue.

Dès qu’ils eurent leur attention, chacun avait joué son rôle à la perfection, Alex celui de brute taciturne aux penchants machos, Franck celui d’artiste dilettante au regard bleu acier. Leur prodigalité aidant, il leur avait fallu moins de quarante-huit heures pour recevoir leurs premières invitations aux cocktails organisés sur les bateaux et dans les villas luxueuses.

Avaient suivi les nuits de folie aux Caves du Roy, le champagne à volonté sur les plages privées de la Voile Rouge, les petits déjeuners au caviar, les bains de minuit dans la piscine de l’hôtel et les ébats sexuels à toute heure du jour ou de la nuit.

De temps à autre, ils envoyaient l’une de leurs conquêtes changer quelques milliers de francs en prenant soin de les diriger vers des banques différentes.

Vers le milieu du séjour, Alex avait proposé d’organiser un « concours de gonzesses ».

Franck, qui venait de s’amouracher d’une Parisienne longiligne et romantique, avait déclaré forfait.

— Je te laisse gagner aux points, je suis trop sentimental. Tu es Liszt, je suis Chopin.

— Liszt ? Je croyais qu’il était abbé.

— À la fin de sa vie. C’est comme ça que tu finiras.

Le forfait de Franck n’avait pas empêché Alex de poursuivre la compétition et de s’attirer les faveurs d’une vingtaine de femmes, dont une chanteuse française bien connue.

La veille du départ, allongés tous deux au bord d’une piscine sur les hauteurs de Ramatuelle, Alex soupira pendant que Franck regardait Wiménon qui tournait sur lui-même en tentant d’attraper sa queue.

— Merde ! C’est déjà fini. Demain, on retourne au turbin. Pour moi, la vraie vie, c’est ça. Du champagne, des filles à gogo, la vie de palace. Seule ombre au tableau, la présence de ton clébard.

— Tu n’es qu’un épicurien de bas étage. Il ne tient qu’à toi que ça continue.

— Tu peux compter sur moi. Qu’est-ce que tu mijotes ?

Franck était resté mystérieux.

— J’ai quelques idées.

— Lesquelles ?

— On en reparlera plus tard. Maintenant, on rentre.

Alex insista.

— Tu as un plan ?

— Un objectif, plutôt.

— C’est quoi, la différence ?

— Un plan, c’est vague. Un objectif, c’est une mesure et une échéance.

26

Sa tête entre ses mains

Le 16 décembre 1992, peu avant 16 heures, Franck entra dans le garage Volkswagen situé rue du Mail, à Ixelles et traversa la salle d’exposition d’un pas nonchalant, affublé d’un chapeau et d’une épaisse paire de lunettes.

Comme chaque jour, la concession automobile ressemblait à une ruche humaine et personne ne prêta attention à lui.

Il se dirigea vers les ascenseurs et se rendit au parking où étaient rangées les voitures des clients. Il parcourut les allées et localisa la Golf GTI qu’il avait repérée le matin, assis à la réception, un journal à la main, en compagnie d’autres clients venus effectuer une intervention rapide.

Il enfila une paire de gants, s’assit dans le véhicule et abaissa le pare-soleil pour récupérer les clés. Il mit le contact et se dirigea au ralenti vers la sortie.

Il s’arrêta à hauteur de la borne qui commandait la barrière automatique. En guise de jeton, il introduisit la pièce de vingt francs qu’il avait façonnée et sortit du garage. Il prit la direction de la rue Dodonnée où se trouvait le box qu’il avait loué dans la cour arrière d’un immeuble.

Le soir était tombé et une fine pluie fit son apparition. Il engagea la voiture dans le box et referma la porte derrière lui sans croiser qui que ce soit. Il alluma, échangea les plaques et repartit à pied chez lui.

La première étape de l’opération avait été franchie avec succès.

Deux jours plus tard, le vendredi 18 décembre, à 23 heures, Franck et Alex se garèrent en face de l’agence du Crédit communal située non loin du parvis de Saint-Gilles.

Alex coupa le contact.

— Pas mal, la charrette. Cent soixante chevaux, seize soupapes, transmission intégrale.

Dans l’après-midi, il avait fait main basse sur une 405 Mi16 au garage Peugeot de la place Meiser en utilisant la même méthode que Franck.

Franck soupira.

— Ce n’était pas nécessaire de la prendre rouge vif, une bagnole comme ça risque de ne pas passer inaperçue dans le quartier.

Alex haussa les épaules.

— J’ai fait ce que tu m’as dit. De toute façon, on n’en aura plus besoin dans un quart d’heure.

— Je serai plus précis la prochaine fois.

Le fourgon fit son apparition dix minutes plus tard, comme le spécifiait la feuille de route. Il en était à la quatrième étape de sa tournée.

Franck comptait agir dès le premier transfert, mais Alex l’en avait dissuadé.

— Le dispatching appelle trois fois pendant la tournée. Une première fois après le départ, une deuxième vers le milieu de la tournée, la troisième à la fin. Il vaut mieux attendre qu’ils aient fait quelques livraisons et répondu au premier appel radio pour intervenir. Ça nous laissera deux heures jusqu’au prochain contrôle.

La tournée comptait trente-deux agences et bouclait son périple au centre commercial d’Anderlecht.

La date n’avait pas été choisie au hasard. À l’approche de Noël, le convoi transportait près de soixante millions de francs destinés aux distributeurs de billets et reprendrait des valeurs pour un montant équivalent. Le centre commercial à lui seul était susceptible de rapporter une vingtaine de millions.

Franck sortit de la voiture, traversa la chaussée et longea le trottoir en direction du fourgon.

Alors qu’il était à une cinquantaine de mètres, il vit le convoyeur sortir du véhicule. Il portait un casque, était équipé d’un gilet pare-balles et tenait la mallette sécurisée à bout de bras.

Alex le connaissait.

L’homme était miné par des problèmes de couple et manquait de motivation et de vigilance.

Franck était à une vingtaine de mètres lorsque l’homme actionna la porte de la banque. Dès qu’il eut disparu à l’intérieur, Franck enfila sa cagoule et pressa le pas.

Il surgit derrière lui, s’assura que l’alarme avait été désactivée et l’interpella d’un ton neutre.

— Ne lâche pas cette valise et ne bouge pas ou je tire.

L’homme sursauta et se mit à bafouiller.

— Ne tirez pas, je ferai ce que vous voudrez.

Franck posa le canon dans son cou.

— Entre et dirige-toi vers le coffre. Tiens bien ta valoche, je connais la musique.

L’homme obéit et alla jusqu’au bureau.

Lorsqu’ils furent dans la pièce, Franck lui ordonna d’ouvrir la mallette et le coffre. Il prit les pochettes et les jeta dans un sac de sport. Ils retournèrent ensuite dans la salle des guichets.

D’après Alex, cette partie de l’agence n’était pas équipée de caméras.

Franck aboya.

— Enlève ton casque et ta veste.

L’homme céda à la panique.

— Pourquoi ?

— Fais ce que je te dis.

Il s’exécuta.

Franck le bouscula.

— Mets tes mains derrière le dos.

Franck le menotta au radiateur et le bâillonna à l’aide de ruban adhésif. L’homme se laissa faire sans protester.

Franck enfila la veste du convoyeur, mit le casque et endossa le gilet pare-balles. Il referma la valise vide et se dirigea d’un pas tranquille vers le fourgon.