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Alex était blanc comme un linge.

— Démarre.

Franck s’exécuta.

— On a gagné quelques secondes, mais les autres vont débarquer.

Il remonta l’avenue et tourna dans une rue pavée qui longeait un quartier résidentiel. Le pare-chocs arrière raclait le sol, l’un des pneus avait éclaté et la voiture crissait de toutes parts.

Après une centaine de mètres, il freina et éteignit les phares.

— Ton bras ?

— Ce n’est qu’une éraflure, mais ça saigne.

— On se tire.

Ils sortirent de la voiture. L’air leur parut glacial. Le hurlement des sirènes trouait la nuit. Ils n’avaient que quelques secondes d’avance sur leurs poursuivants.

Ils étaient à peine sortis de la voiture que la Volvo pénétrait dans la rue.

Franck rugit.

— Par les jardins, toi à gauche, moi à droite.

Ils se séparèrent.

Franck escalada une grille et plongea dans un jardin. Le quartier était peuplé de bâtisses luxueuses et de vastes jardins.

Il enjamba une haie, foula une longue pelouse, contourna une piscine et continua de courir à l’aveuglette jusqu’à la haie suivante.

Le souffle commença à lui manquer. Des branchages lui fouettaient le visage. Du sang coulait. Il passa une ultime bordure et déboucha dans une rue calme.

Un chien aboyait dans un jardin voisin.

Au loin, les sirènes continuaient leur concert. Il était exténué, les lèvres desséchées par la soif, la langue gonflée sous l’effet de l’adrénaline.

Il marcha jusqu’au bout de la rue et examina la plaque. Il se trouvait à dix kilomètres de chez lui, drève Saint-Georges.

Les bus et les trams ne circulaient plus à cette heure et il était hors de question de prendre un taxi. Ses jambes le faisaient souffrir, continuer à pied était trop risqué.

Il revint en arrière, franchit la haie une nouvelle fois et finit par dénicher un abri de jardin dans lequel se trouvait un vélo.

Il enfourcha la bicyclette, emprunta un sentier, prit la direction de la forêt et s’enfonça dans les bois.

Après quelques kilomètres, il jeta le vélo sur le côté.

Le corps meurtri, la rage au ventre, il s’assit à même le sol et prit sa tête entre ses mains.

27

Alex

Je parcours les couloirs au pas de charge à la recherche de la chambre d’Akim Bachir.

En fin d’après-midi, vingt-quatre heures après les faits, Olga Simon m’a téléphoné. Elle ne semblait pas bouleversée par ce qui était arrivé.

Elle m’a informé qu’il était à l’hôpital Saint-Pierre, qu’il était sorti des soins intensifs et qu’ils l’avaient installé dans une chambre isolée, sous surveillance policière.

Quand les médecins estimeront que son état le permettra, il sera transféré à la prison de Saint-Gilles. Elle se trouve à deux pas de celle de Forest et dispose d’un centre médico-chirurgical.

Je n’ai pas mis les pieds à Saint-Pierre depuis plus de dix ans. La dernière fois, j’y suis venu pour chercher Estelle et la ramener à la maison.

Lors d’une visite de routine, son dentiste lui avait conseillé de se faire enlever les quatre dents de sagesse. À trente ans passés, elle a cru qu’il se moquait d’elle. Il lui a expliqué que ces molaires capricieuses sont susceptibles de se manifester chez les octogénaires et lui a détaillé les risques qu’elle encourait si elle s’obstinait à vouloir les garder.

Elle a accepté.

Malgré la douleur qui la tenaillait, elle a trouvé la force de plaisanter. Je la revois dans le divan, prostrée, des compresses froides autour du visage, me vantant les articles du téléachat : le balai à vapeur, la ceinture abdominale à électrostimulation, le nettoyant pour pierres tombales.

Au détour du couloir, je croise le frère d’Akim. Il m’a reconnu, mais fait mine d’inspecter le sol.

Je l’apostrophe au passage.

— Bonsoir, Youssef, comment va votre frère ?

Il s’arrête et relève la tête à contrecœur.

— Il va mal. Il a failli mourir. Il ne parle pas.

— Vous avez prévenu Rachida ?

— Rachida, je sais pas où elle est.

— Et votre père, il sait ?

Il détourne les yeux.

Je ne tirerai rien de ce côté.

— Vous êtes allé plusieurs fois à la prison, Akim vous a parlé ? Vous savez qui le menaçait et pourquoi il a été agressé ?

Il secoue la tête.

— C’est vous qui parlez avec lui, pas moi. Vous saviez qu’il était menacé, il vous l’a dit, vous n’avez rien fait pour le protéger.

— Ce n’est pas comme ça que ça se passe, Youssef. J’ai sondé la juge d’instruction à propos d’une demande de transfert. Elle l’a refusée.

Il m’interrompt.

— Il aurait pu être tué. Il a eu de la chance, mais ils vont recommencer et la prochaine fois, ils le rateront pas.

— Qui ça, ils ?

Il hausse les épaules avec dédain, comme le fait son frère.

— Vous n’avez qu’à lui demander.

— C’est votre frère, vous le connaissez. Il a peur de passer pour une balance. Je ne cherche qu’à l’aider.

— Je peux rien vous dire de plus.

Inutile d’insister.

Je lui tends l’une de mes cartes de visite.

— Si vous voulez me parler ou me poser des questions, je suis joignable. Même au milieu de la nuit.

Il empoche la carte sans un mot et poursuit sa route.

Quelques mètres plus loin, le couloir dessine une courbe. Un jeune flic est assis en équilibre sur une chaise devant l’une des portes, une gazette à bout de bras.

Il m’aperçoit, replie son journal et se lève.

Il ne doit pas avoir plus d’une vingtaine d’années. Son uniforme est trop large et sa chemise mal boutonnée. Il fait un pas dans ma direction, pose une main sur la crosse de son arme et me dévisage d’un air qu’il veut intimidant.

— Je peux vous aider ?

— Jean Villemont, je suis l’avocat de M. Bachir.

Il me jauge, le sourcil soupçonneux. Il n’imagine pas qu’un avocat puisse être ainsi attifé, ganté et chapeauté comme je le suis.

À toutes fins utiles, il sort une liste de sa poche et la passe en revue tout en continuant à m’examiner à intervalles réguliers.

— Je vois. Vous avez une pièce d’identité ?

Je m’exécute.

Il incline la tête.

— C’est bon. Allez-y.

Je pousse la porte de la chambre.

Deux lits occupent la pièce. Le premier est vide. Akim Bachir est allongé dans le second, du côté de la fenêtre. Il est couché sur le dos, les yeux fermés, des tuyaux en plastique lui sortent de partout.

Un maton est à ses côtés, affalé dans un fauteuil entre les lits. Il regarde la télévision, les yeux mi-clos.

— Monsieur ?

— Bonsoir. Je suis l’avocat de M. Bachir.

Le regard qu’il promène sur ma tenue signifie qu’il pense la même chose que le planton.

— Bonsoir, maître. Vous voulez que je sorte ?

Je désigne Akim du menton.

— Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Comment va-t-il ?

Il fait la grimace.

— Il est dans le cirage. J’ai l’impression que les infirmières lui donnent des trucs pour dormir. Parfois, il ouvre les yeux et il baragouine quelques mots d’arabe. J’ai pris mon tour de garde à 6 heures, je peux pas vous en dire plus.

Je m’approche du lit et prends la main d’Akim.

Ses paupières se mettent à trembler.

— Bonsoir, Akim. C’est Jean Villemont.

Il ouvre les yeux et fixe le plafond.

Après quelques instants, il passe sa langue sur ses lèvres et referme les yeux.