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Le juge d’instruction chargé de l’affaire demanda aux autorités judiciaires de ne pas diffuser d’informations aux médias avant que l’identification des corps n’ait eu lieu, mais la femme du principal témoin les avait déjà alertés. Contre son gré, il convoqua une conférence de presse au Palais de Justice de Nivelles en fin d’après-midi.

L’information fit la une des journaux télévisés du soir.

30

La Truite de Schubert

Franck mit plusieurs semaines pour parvenir à digérer le fiasco du 18 décembre 1992.

À longueur de journée, il se repassa les événements pour tenter de comprendre les raisons de cet échec et évaluer les options qui lui auraient permis de l’éviter. En plus de la frustration, il redoutait chaque minute de voir surgir une horde de policiers.

Par chance, la blessure d’Alex n’était que superficielle.

Un membre de son ancienne bande l’avait amené chez un médecin et l’homme l’avait soigné sans poser de questions.

Il était retourné travailler le lundi et avait appris ce qui s’était passé de la bouche de ses collègues. Ni la télévision ni les radios n’avaient parlé du braquage.

D’après ses collègues, les enquêteurs soupçonnaient les auteurs du casse d’avoir eu recours à une taupe, un convoyeur qu’ils auraient recruté au sein de la société.

Durant quelques jours, il craignit d’être convoqué par la police, mais rien de tel ne se produisit.

Quelques jours après, Franck et Alex organisèrent un tête-à-tête discret dans le parking de la Bascule, durant lequel ils prirent la décision d’éviter de se téléphoner ou d’être vus ensemble pendant au moins trois mois. La police avait leur signalement et il se pouvait qu’Alex ait été placé sous surveillance.

Le fait que les policiers détenaient un échantillon de son sang l’inquiétait.

Franck l’avait rassuré.

— Ne t’en fais pas. D’après ce que je sais, le processus d’identification à partir du sang ne permet pas de résoudre une enquête et nous avons toujours porté des gants. À part un très vague signalement, ils n’ont rien.

Dans la foulée, il avait endossé la responsabilité de l’échec.

— Je suis désolé pour ce qui s’est passé. Tout est de ma faute. Je n’ai pas bien préparé le coup. J’aurais dû te dire de garer ta bagnole autre part, les contrôles sont fréquents dans le bois, surtout le week-end.

Alex avait soupiré.

— On ne peut pas tout prévoir, mais je te fais confiance. Si tu veux arrêter, on arrête. Si tu veux recommencer, tu peux compter sur moi. Et si tu veux qu’on aille en enfer, je te suivrai.

Franck avait souri.

— Il y a de bonnes chances qu’on y aille, mais le plus tard possible. Réfléchissons chacun de notre côté. On se reparle au printemps.

Au moment où Franck sortait de la voiture, Alex l’avait interpellé.

— Encore une chose. Il faut que je te dise un truc.

— Je t’écoute.

Il y eut un court silence. Alex semblait chercher ses mots.

— Pour moi, tu es comme un frère.

Franck fut troublé, Alex ne s’était jamais ouvert à lui de la sorte.

— Toi aussi, tu es mon frérot, Alex.

Durant les mois qui suivirent, Franck visita de nombreuses bibliothèques et consulta les archives des principaux quotidiens du pays. Il lut quantité de bouquins, étudia des piles de documents et décortiqua l’autobiographie de truands célèbres.

Lors de ses recherches, il fit la connaissance de quelqu’un qui allait se révéler incontournable pour la suite de son projet.

Les retrouvailles des deux amis eurent lieu un soir de mars 1993, à la Canardière, un restaurant connu des oiseaux de nuit bruxellois qui venaient y manger des pâtes jusqu’à l’aube.

Après s’être donné une longue accolade, Alex avait complimenté Franck pour son nouveau costume et s’était moqué de la présence de Wiménon qui lui faisait une fête.

— Tu as l’air d’un parrain de la mafia.

Franck avait tourné sur lui-même.

— Ermenegildo Zegna, laine mérinos superfine.

— La classe. Dis à ton clébard d’arrêter de me bouffer les godasses.

— Ce chien a du cœur, il est heureux de te revoir.

Ils s’assirent et se penchèrent l’un vers l’autre.

Le brouhaha ambiant leur assurait une certaine discrétion. À mots couverts, ils revinrent sur leurs tribulations, le fourgon, la réussite à portée de main, le grain de sable, la poursuite et l’issue désastreuse.

Lorsque l’évocation douloureuse toucha à sa fin, Franck entra dans le vif du sujet.

— Tu veux toujours te taper un fourgon ?

Alex sourit.

— Si je veux toujours me taper un fourgon ? Plus que jamais. Je n’attends que ça. Je n’ai plus un kopeck, je me fais entretenir par une nana friquée et j’en ai marre de mon boulot.

— Tu ne vas pas rester là-bas. Aie un peu de patience. Il faudrait que tu mettes la main sur le planning de toutes les tournées, surtout celles qui ont lieu en dehors des agglomérations.

Alex fit la moue.

— Rien que ça ? Il y a une centaine de fourgons qui se baladent chaque jour dans le pays. J’ai accès aux tournées qui se passent à Bruxelles. Je vais essayer d’obtenir celles de Wallonie et de Flandre.

— Regarde ce que tu peux faire. Au pire, on fera des repérages.

— Pourquoi en dehors des agglomérations ?

Franck jeta un coup d’œil circulaire et baissa le ton.

— Je me suis documenté sur la question. Ces dernières années, la plupart des attaques ont été menées par des types armés qui visent les convoyeurs hors du fourgon. Ces mecs trimballent des flingues, des mitraillettes ou des riot-guns à canon scié.

— C’est encore le cas aujourd’hui.

— Plus pour très longtemps.

— Qu’est-ce qui va changer ?

— Avec la guerre qui sévit dans ton pays, en Croatie et en Serbie, les pros du braquage peuvent maintenant se payer des Kalashnikov, des lance-roquettes et des explosifs. Il leur suffit de s’inscrire dans un club de tir et de s’adresser aux bonnes personnes. L’arsenal va s’alourdir, la sécurité va se renforcer, les méthodes vont évoluer.

Alex eut une mimique admirative.

— Tu en sais des choses.

Franck plissa les yeux comme s’il se préparait à raconter une histoire incroyable.

— À Marseille, il y a une petite dizaine d’années, une bande de braqueurs a pris d’assaut un fourgon en plein jour. Au lieu de s’attaquer aux portes, ils ont découpé le toit du fourgon et se sont barrés avec le fric. Les flics ont baptisé ça la technique de la boîte de conserve.

— Et ?

— Ce jour-là, ces types ont innové.

Il allait poursuivre lorsqu’il fut interrompu par leurs voisines de table, deux femmes d’une trentaine d’années.

L’une d’elles pointait un doigt sous la table.

— Il est mignon, votre chien, c’est comment, son nom ?

Franck évalua la femme.

Blonde, maquillée à outrance, elle semblait éméchée. Elle était en compagnie d’une Noire à la voix rauque et à la poitrine plantureuse.

— Il s’appelle Wiménon.

— Wiménon ? Comme « oui, mais non ». C’est rigolo. Il vous suit partout ?

Franck lui adressa un clin d’œil.

— À quelques exceptions près.

La femme rit et retourna à sa conversation.

Alex se pencha vers Franck et glissa à mi-voix.

— Ne surestime pas le pouvoir de séduction de ton cabot, ce sont des putes.