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— J’avais remarqué. Merci.

— Blague à part. Continue ton histoire.

Leurs fronts se touchèrent presque.

— Le plus difficile est d’immobiliser le fourgon. Après, c’est un jeu d’enfant. En gros, il y a trois façons de faire. La première est de prendre le fourgon en tenaille entre deux poids lourds, la deuxième est de le percuter de face ou sur l’un des côtés avec un camion, la troisième est de menacer les convoyeurs avec des armes lourdes. Au prix où ils sont payés, ils n’ont pas envie de jouer aux héros, surtout si on leur met des bazookas ou des lance-roquettes sous le nez. Dans les trois cas, ça se termine par des morts ou des blessés. Moi, je ne veux pas avoir de sang sur les mains.

Alex leva les yeux au ciel.

— Alors, on fait quoi ? On prie saint Braqueur ?

— Il faut innover. Les fourgons ressemblent de plus en plus à des forteresses roulantes. Le toit est renforcé, les vitres sont à l’épreuve des balles, le blindage est capable de résister aux rafales de mitraillette et ils peuvent rouler pendant plusieurs kilomètres avec les pneus crevés. Si tu les canardes au bazooka, tu les transformes en cocotte-minute. La température monte à trois mille degrés, tu as deux morts sur la conscience et plus un billet n’est intact.

Le regard d’Alex pétillait d’excitation.

— Mais toi, tu as trouvé l’astuce.

Franck lui fit un clin d’œil.

— C’est un peu comme les femmes. Il suffit de trouver leur point faible. Je te montrerai. On fera un test grandeur nature.

Alex saisit la tête de Franck entre ses mains et l’embrassa sur le front.

— Tu es grand, Franck, je t’adore. On commence quand ?

— Compte neuf à dix mois de préparation.

— Neuf à dix mois ? Tu rigoles ?

— J’ai l’air ? Quand tu auras le plan complet des tournées, tu donneras ta démission et nous monterons une boîte.

— Quelle boîte ?

— Une société de création et d’entretien de jardins. Nous serons associés à parts égales. On louera un hangar dans le sud de Bruxelles. Je prépare le plan de financement. On demandera un prêt à la banque et tout se fera dans la légalité.

L’idée ne parut pas enthousiasmer Alex.

— Tu nous vois tondre les pelouses des vieux bourgeois à longueur de journée ?

— Rien de tout ça. Nous prospecterons les administrations communales et les sociétés de gestion immobilière. Ces gens paient des salariés à l’année pour entretenir les jardins et les espaces verts. Ça leur coûte une fortune et les gars renâclent parce qu’ils ne sont pas motivés. Nous allons leur proposer de sous-traiter ces travaux. Je m’occuperai de la gestion et des relations avec les clients. Tu superviseras les gars. Ça, c’est la partie visible de l’iceberg.

— La partie cachée ?

— Pour la partie cachée, on sera cinq. Il nous faudra deux gars en plus. J’ai un type en vue, je l’ai rencontré pendant mon service militaire. Il s’y connaît en explosifs.

Alex dodelina de la tête.

— Moi aussi, je m’y connais en explosifs.

— Tu auras un autre rôle à jouer. Pour le deuxième type, j’ai pensé à l’Italien dont tu m’as parlé, celui que tu as connu aux paras.

— Cirilli ? Le type avec qui je cassais les bars ? Le Rital qui piquait des bagnoles pour rentrer à la caserne ? Il faudrait que je le recontacte, on ne s’est plus vus depuis pas mal de temps. Mais tu m’as parlé de cinq personnes, qui est le cinquième ?

— Le cinquième est une cinquième. Elle s’appelle Julie.

Alex recula sur sa chaise.

— Tu veux mêler une nana à nos affaires ?

— Le succès dépend en grande partie d’elle. Elle nous dira comment opérer et nous empêchera de faire des erreurs.

— Une nana qui va nous empêcher de faire des erreurs ?

Franck s’attendait à cette réaction et avait préparé une réponse.

— Il y a quelques semaines, des types ont voulu se faire un fourgon en utilisant une méthode révolutionnaire. Ils ont hissé un bloc de béton dans un 4 x 4. Tu sais, un de ces cubes que tu vois au bord des chantiers, une masse d’une tonne. Ils se sont engagés sur l’autoroute et ont dépassé le fourgon qui roulait à cent vingt à l’heure. Ils se sont rabattus devant lui, ont ouvert le hayon et ont balancé leur chargement. À ton avis, qu’est-ce qui s’est passé ?

Alex médita pendant quelques instants.

— Le bloc s’est écrasé dans le fourgon ?

— Pas du tout, le cube s’est mis à rouler en revenant vers eux, comme un dé sur une table de jeu. Ils ont dû décrocher vite fait. On appelle ça se faire prendre à son propre piège. Les braqueurs sont rarement des prix Nobel de physique.

Alex fit la moue.

— Et ta Julie sait comment faire ? On verra. Je connais pas ton expert en explosifs, mais Sergio Cirilli est une tête brûlée, un misogyne et un solitaire. Dans ce genre d’associations, le plus difficile est de faire travailler tout le monde ensemble, surtout une nana avec quatre types.

— J’y ai pensé et j’ai une idée pour y arriver.

— Laquelle ?

— Tu connais La Truite de Schubert ?

31

Elle a obtenu ce qu’elle voulait

Les giboulées de mars approchent, l’air est glacial. La pluie cingle, mais l’auvent de l’épicerie Chez Bachir résiste avec bravoure aux trombes d’eau.

Leila est au rendez-vous.

Dès que je sors de la voiture, elle se précipite, un parapluie à la main, et hausse la voix pour couvrir le bruit de la bourrasque.

— Si j’étais toi, je ferais l’impasse sur le chapeau.

J’ajuste mon Stetson d’un geste solennel.

— Il est conçu pour affronter les pires tempêtes. En revanche, ton parapluie risque de ne pas faire long feu.

Elle m’embrasse sur la joue.

— J’ai pris un taxi, je viens d’arriver. J’ai jeté un coup d’œil, ils sont occupés à fermer.

— J’ai téléphoné au père cet après-midi, il m’attend.

— Tu l’as prévenu que tu serais accompagné ?

— Je ne lui ai rien dit. On va jouer sur l’effet de surprise. Je lui dirai que nous travaillons ensemble et que j’ai proposé de te ramener chez toi. Il est inutile d’en dire plus. Je demanderai à lui parler en privé et tu resteras dans le magasin. J’espère que Youssef sera là et que tu arriveras à l’approcher.

Elle hausse les épaules avec fatalisme.

— Inch Allah.

Je lui offre mon bras.

— On y va ?

Elle s’y accroche et se blottit contre moi.

Dans la matinée, j’ai appelé Katja pour l’informer que je ne pourrais être des leurs ce soir. Je me suis contenté de lui dire que j’étais désolé. Elle a joué la carte de la désinvolture. « Tant pis, ce sera pour une autre fois, peut-être. »

Nous traversons la rue et entrons dans le magasin.

Youssef nous observe du coin de l’œil. Il a rentré les présentoirs et les aligne contre le mur. Ils sont détrempés. L’eau dégouline et forme des flaques.

Son père est derrière la caisse, absorbé dans ses comptes. Il a chaussé une paire de lunettes. L’une des branches est rapiécée à l’aide d’un sparadrap.

Il relève la tête, l’air sombre.

— Bonsoir, maître.

— Bonsoir, monsieur Bachir.

Il ôte ses lunettes et dévisage Leila.

J’anticipe.

— Leila Naciri est une de mes consœurs. J’ai proposé de la ramener, elle n’habite pas loin d’ici.

Il hésite quelques instants.

— Vous avez bien fait, avec le temps qu’il fait, il vaut mieux ne pas sortir. Bonsoir, madame.

Elle lui sourit.

— Bonsoir, monsieur. Je vais attendre sagement que vous ayez terminé.